INTERVIEW- Come revient en Suisse après 15 ans d’absence pour tourner la réédition de leur premier album. C’est la fête au Romandie et l’occasion de rencontrer ce groupe légendaire du Boston des années 90 et de parler sur leurs projets personnels, leur tournée actuelle et la relation spéciale qu’ils entretiennent avec Lausanne.
Le concert de Come au Romandie fut une occasion unique pour apprécier sur scène le talent d’un groupe légendaire dans son intensité. A part quelques concerts exclusifs de réunion depuis 2010, le quatuor de Boston était resté inactif depuis 1998, avec les guitaristes Thalia Zedek et Chris Brokaw dédiés à leurs projets personnels et autres (le dernier avec The New Year et Codeine).
Leur musique avait marqué sa décennie grâce à un premier album poignant d’un blues à la puissance dévastatrice d’une tornade: ELEVEN : ELEVEN (1992). Celui-ci a eu un impact considérable sur leurs contemporains comme J. Mascis, Kurt Cobain et Bob Mould, des fans reconnus, et fut considéré récemment par le webzine Pitchfork comme une des perles perdues du catalogue de Matador Records – qui compte pourtant à l’époque avec d’autres excellents albums de Yo La Tengo, Pavement et Superchunk.
Le disque qui avait imprimé d’une force inouïe le blues et le rock, en leur redonnant une allure sauvage, défiante et nostalgique, était introuvable depuis longtemps sous aucun format. C’est pour cela que Come et Matador ont accordé de le sortir de l’ombre et de fêter ses 21 ans- leur musique était underground à la base, un plaisir précieux, certes, mais est-ce qu’elle ne mérite pas d’être re-diffusée à une époque où d’autres avec le cinquième de leur talent trouvent un public plus large? Certes, il y a peu de groupes, avant ou après eux, qui eussent atteint leur niveau d’impact, avec un style mélodique raffiné et une énergie aussi viscérale. The Dirty Three, peut être, dans la façon dont ils se donnent, dont ils s’offrent en corps et âme à leur art.
La réédition d’ ELEVEN : ELEVEN est le motif de cette tournée qui passe par Lausanne et qui a inclus un saut préalable au Primavera Sound à Barcelone. «Nous nous sommes réunis pour tourner fêter la sortie à nouveau de l’album, pour faire savoir aux gens qu’elle a eu lieu», commente Brokaw. Du matériel nouveau sera-t’il enregistré? «Non», répond Zedek. Elle vient de sortir un album solo en mars chez Thrill Jockey, d’ailleurs, VIA. «Nous sommes vraiment heureux de ressortir notre premier disque avec Come et nous nous sommes réunis juste pour ça», elle ajoute. Thalia Zedek est une des figures les plus importantes de la scène underground de l’East Coast entre New York et Boston depuis le début des années 1980: elle a joué avec les Dangerous Birds, Uzi et Live Skull, et sa figure est à placer à côté d’autres front-women visionnaires comme Lydia Lunch, Patti Smith, Kim Deal et Kim Gordon, celle d’une songwriter d’exception.
La réunion de Come comporte la formation originale du groupe, celle qui signa les deux premiers albums et construisit sa réputation. Celle-ci ne tournait pas en Suisse depuis 1994, lorsqu’ils étaient passés à la Dolce Vita. «Je me souviens d’avoir dansé jusqu’au bout de la nuit», se rappelle Arthur Johnson, le batteur. «Personnellement, j’ai une relation très spéciale avec Lausanne. Je prends beaucoup de plaisir à jouer ici. Je suis devenu ami avec des gars qui ont ouvert pour nous lorsqu’on a joué là (Marvel, ndr). Philippe (Ventura) est un très bon ami à moi et j’ai joué au mariage de Giuliano. J’ai fait aussi quelques shows en solo depuis dans cette ville», explique Brokaw.
L’année dernière, Chris Brokaw est sorti en tournée avec Codeine (à la lenteur démolissante et émotionnelle et à ranger à côté de Slint et de Seam), un autre groupe disparu depuis longtemps. «Ce fut un peu le même procès que maintenant, car il y a eu une rééditions des albums», il précise. «Je crois que les deux groupes tournent pour la même raison, c’est comme si nous disions: voilà cette musique qu’on a faite il y a 20 ans», ajoute Brokaw.
Le contact entre les membres de Come a été gardé au cours des années, avec quelques collaborations entre le bassiste Sean O’Brien et Thalia Zedek, et entre Arthur Johnson et Chris Brokaw, en plus des visites respectives lors des tournées en solo des guitaristes. Ce dernier participa entre temps de The New Year avec les frères Kadane de Bedhead, et d’un projet intéressant avec des membres de Tortoise (Doug McCombs et Bundy K. Brown) et Curtis Harvey de Rex: Pullman. «C’était un groupe de studio et surtout l’idée de Bundy Brown de nous réunir tous et faire un album avec des guitares acoustiques, ce qui était une folie à l’époque. Puis, on a fait un deuxième disque. On a tourné une seule fois. Il y a eu des conversations flemmardes au long de ces années autour de faire un troisième album, on verra», commente Brokaw.
Une fois sur scène, l’interprétation de Come de classiques tels que "Off to One Side", "German Song", "Let’s Get Lost", "William" et "Submerge" fut magnifique, et c’était un véritable plaisir de revoir un groupe à l’aura abrasive et mythique (leurs concerts à l’Usine de Genève ou à la Dolce Vita à l’époque en témoignent), et d’une performance tout le temps au bord de l’abime. Le répertoire, tel que Thalia Zedek l’avait annoncé dans les loges auparavant, se centra sur les deux premiers disques, ELEVEN : ELEVEN et DON’T ASK, DON’T TELL (1994). Pour les fans, ce fut un régal, pour ceux qui découvraient le groupe dans le cadre de la semaine américaine au Romandie, ce fut une secousse de proportions sismiques.