23 juin
Le 12 juin 2013, Pierre Condamin-Gerbier, ancien banquier de la banque suisse de Cahuzac, Reyl & Cnie, et ancien responsable de l’UMP en Suisse, a été auditionné par le Sénat.
Ses déclarations sont stupéfiantes…
“Il y a parfois des petits miracles au Sénat. Devant des bancs presque vides et dans l’indifférence de la presse, la Commission d’enquête sur le rôle des banques dans l’évasion fiscale a auditionné, mercredi 12 juin, le banquier de Genève Pierre Condamin-Gerbier, qui en une petite heure, en aura dit plus que le retentissant Cash Investigation d’Elise Lucet diffusé la veille.”
Pierre Condamin-Gerbier : le cauchemar des banquiers suisses
émoin principal dans l’affaire Cahuzac, ce Français et ex-employé de Reyl & Cie multiplie les révélations sur le système bancaire suisse. Une médiatisation qui crée le malaise à Genève.
Il assurait, la semaine dernière, avoir dans les mains une liste de quinze personnalités politiques françaises disposant de comptes en Suisse. Pierre Condamin-Gerbier, ancien collaborateur de Reyl & Cie, à Genève, est devenu le poil à gratter de la place financière suisse. Vendredi 14 juin, il était auditionné officiellement par l’Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi contre la fraude fiscale.
«Des Cahuzac, il y en a d’autres», lance-t-il, en dénonçant «l’hypocrisie de la classe politique française». D’abord anonyme, son témoignage est devenu public après les aveux de l’ancien ministre des Finances. «Je n’ai pour l’instant fourni aucun document à la justice, assure ce Français de 42 ans dans un café lausannois. J’ai juste renseigné sur des pratiques généralisées.» Il évoque les méthodes des commerciaux pour séduire les clients, les valises pleines de billets qui passent la frontière, les techniques complexes pour transférer de l’argent en Suisse en toute discrétion. Il n’aurait toutefois pas fait personnellement ce genre de transactions. Spécialisé dans le «family office» - la conciergerie de luxe -, l’homme affirme avoir passé, entre 2006 et 2010, des années «passionnantes» comme associé-gérant chez Reyl & Cie, qui fait désormais l’objet d’une enquête menée par le juge d’instruction Renaud Van Ruymbeke pour blanchiment de fraude fiscale. «La réussite de l’entreprise était fantastique, se souvient-il, et mes rapports avec les Reyl très corrects, avant que nous nous séparions de manière certes peu élégante.» Il répète n’avoir rien su du compte caché de Jérôme Cahuzac. Sans entrer dans les détails, un ex-collègue confirme qu’il n’avait pas accès aux informations les plus sensibles. De son côté, la banque genevoise a déclaré dans un communiqué daté du 14 juin qu’elle «n’entretient aucune relation de compte avec des résidents français exerçant des charges politiques».
«Quand l’affaire Cahuzac a explosé, je me suis dit que je devais parler»
La politique, Pierre Condamin-Gerbier la connaît bien: ce natif de Saint-Étienne a été responsable de la délégation UMP en Suisse entre 2006 et 2009. «J’avais été approché par Thierry Mariani car nous n’avions que 23 adhérents, à l’époque. Avant de m’engager, j’avais bien sûr demandé l’autorisation de la famille Reyl, poursuit-il. Et j’ai toujours séparé les deux activités.» Claudine Schmid, députée UMP des Français de Suisse, dit ne pas bien le connaître. Agacée, elle lâche: «S’il a des noms, qu’il les donne! Ou qu’il se taise, plutôt que de jeter le discrédit sur notre communauté.»
Arrivé de Londres en 2004, Pierre Condamin-Gerbier a d’abord passé quelques mois chez UBS avant de rejoindre Reyl. Puis il crée son propre «family office» en 2010 et travaille quelques mois comme consultant pour la banque Bénédict Hentsch & Cie. Pourquoi a-t-il décidé de devenir un lanceur d’alerte? «Cela faisait plusieurs années que j’étais choqué par ce que je voyais, explique-t-il. Alors quand l’affaire Cahuzac a explosé, je me suis dit que je devais parler.»
Peu de soutiens en Suisse
En Suisse, ses révélations irritent un secteur bancaire habitué à la plus grande discrétion. Proche de Reyl & Cie, le quotidien économique L’Agefi ironisait fin avril: «Il parle, mais ne sait rien.» Isolé, Pierre Condamin-Gerbier n’a que peu de soutiens en Suisse. Ses liens avec l’UMP sont aussi rompus depuis quatre ans, après, notamment, un désaccord au sujet des comptes de la section. Ce libéral a aussi été très «déçu par Nicolas Sarkozy».
Aujourd’hui, son activité professionnelle est concentrée sur quelques clients. Toujours domicilié en Suisse, non loin du Léman, ce père de famille se dit «traqué» et craint pour sa vie. Par sécurité, il a remis ses documents à un tiers. Des cernes sous les yeux mais le sourire aux lèvres, il dit attendre la fin de la tornade, avant d’envisager une reconversion.
Source : Le Figaro
« L’ensemble des établissements qui se sont développés depuis 10, 20, 30, 40 ans et plus, sur la place de Genève se sont aussi développés grâce à l’accueil de clientèles non déclarées. C’est un secret de polichinelle. Jérôme Cahuzac est un cas qui fait beaucoup parler parce qu’il est très symbolique. Il était le ministre du budget, en charge de la lutte contre la fraude fiscale. De plus, il était en renégociation d’un certain nombre de conventions avec des pays comme la Suisse. C’est aussi le mensonge qui a fait que l’on a beaucoup parlé de ce cas. Mais il est évident, là aussi, c’est un secret de polichinelle que la clientèle française des hommes et des femmes politiques de tout bord est un segment de clientèle important de bon nombre d’établissements de la place suisse depuis très longtemps.
Pierre Condamin-Gerbier © Benoît Collombat/Radio France – 2013
− Jérôme Cahuzac n’est pas le seul homme politique à avoir déposé de l’argent non déclaré au fisc en Suisse ?
C’est certain.
− Qu’est-ce qui vous permet de l’affirmer ?
18 ans d’expérience ! Il y a des Cahuzac à droite, il y a d’autres Cahuzac à gauche. Il y a des Cahuzac sur l’ensemble de l’échiquier politique. Il y a des Cahuzac qui sont liés non pas simplement à un « simple » enrichissement personnel, mais il y a aussi des Cahuzac qui ont été utilisés par des systèmes, par des partis, par des réseaux. À gauche comme à droite.
− Pour du financement politique ?
Incluant du financement politique.
− Ça vous paraît particulièrement choquant ?
Bien sûr que ça me parait choquant. On peut avoir un jugement moral sur les gens qui ne déclarent pas leur actifs et les cachent à l’étranger, mais dans la plupart des cas, ces gens là ont « l’honnêteté intellectuelle » de rester discret, en tous cas, de ne surtout pas donner des leçons et de rentrer dans le : « Faites ce que je dis, pas ce que je fais. » Là où c’est scandaleux dans le cas de politiques, c’est que ce sont censés être des représentants de la nation, de la République, qui, encore une fois, demandent beaucoup d’efforts, donnent beaucoup de leçons, et quand évidemment ils font tout autre chose, à titre personnel ou au titre de leur parti, ça devient totalement insupportable. Tout établissements confondus il y a certainement plusieurs dizaines d’hommes et de femmes politiques de gauche et de droite français détenant, au ayant détenu, des actifs, ou ayant porté des actifs non déclarés pour d’autres, en Suisse et ailleurs, partout où on a pu trouver les mêmes avantages qu’en Suisse.
− Sur des places off-shore ?
Sur des places off-shore, oui.
− Pourquoi dites-vous que si les investigations progressent dans cette affaire, on peut découvrir « un vrai secret d’Etat », « un vrai scandale républicain » ?
Si effectivement les questions sont bien posées, et que l’on a des gens du côté français comme du côté suisse qui décident de travailler main dans la main sur ces questions, on s’apercevra qu’il n’y a pas qu’un Jérôme Cahuzac. Ce n’est pas juste le mensonge d’un homme. C’est le mensonge d’un système.
− Un système politique ?
Le groupe Reyl et Compagnie, devenu une banque en 2010 © Benoit Collombat D’un système politique, oui. Maintenant pour qu’on soit aussi très clair, il ne faut pas, non plus, tomber dans l’autre extrême qui est celui du : « Tous pourris. » Il y a énormément d’hommes et de femmes politiques qui n’ont pas du tout recours à ces pratiques. Le but ce n’est pas de jeter l’opprobre général, mais d’être conscient que, néanmoins, à un très haut niveau, et surtout au sommet de la pyramide, ces pratiques ont existé et continuent d’une certaine façon d’exister. Il n’y a pas qu’une motivation fiscale, il y a d’autres motivations du secret qui sont tout à fait détestables.
Finalement, ce ne sont pas les affaires de Monsieur Cahuzac qui sont explosives, ce sont les réseaux communs à beaucoup de ces affaires que l’affaire Cahuzac est en train de soulever. Ce sont les pratiques, les techniques, l’hypocrisie. Ce sont des acteurs qui jouent « les vierges effarouchées » sur les ondes et les écrans de télévision en France, qu’on retrouve « les mains dans le pot de confiture. » C’est en cela que cette affaire Cahuzac est un scandale d’Etat. Non pas parce qu’il s’agit spécifiquement de Monsieur Cahuzac ou que derrière il y a tel ou tel établissement, mais parce qu’on a maintenant sur la table, à la lumière, une pratique dont on s’aperçoit que, contrairement à ce que tout le monde nous a dit, à gauche comme à droite, n’est pas la pratique d’un homme mais la pratique d’un système.
− Est-ce que certaines personnes vous on conseillé de vous taire ?
Beaucoup de gens m’ont conseillé de me taire, en me disant que ce n’est pas à moi de parler, que ça peut m’amener des problèmes et que ça peut interférer dans ma carrière. Mais à un moment donné, il faut choisir. J’ai aussi envie quand je me regarde dans la glace le matin, ou quand je regarde ma petite fille, d’être en paix avec ma conscience de citoyen.
− Vous avez été menacé ?
Bien sûr.
− C’est-à-dire ?
Vous avez des gens qui interrompent des conversations dans le cadre de projets personnels ou qui vous font passer des messages (jamais eux même directement, courageux mais pas téméraire !), par l’intermédiaire de journalistes, de connaissances communes…
−Quel genre de message ?
On vous fait savoir que vous pourriez avoir une ribambelle de poursuites judiciaires. On pourrait vous fermer beaucoup de portes. Il pourrait arriver des choses à vous-même ou à votre famille…
−C’est allé jusque là ?
C’est allé jusque là, absolument. Je dénonce surtout l’hypocrisie de la classe politique française. Encore une fois, je pense que c’est mon devoir de citoyen français de témoigner. Beaucoup de gens ont témoigné à la périphérie de toutes ces questions. Il était peut-être temps qu’un observateur de l’intérieur puisse témoigner, et dénonce une pratique en espérant que ce témoignage servira à ce que cette pratique cesse.
Si la justice va au bout, cette affaire peut aller très loin. Elle peut aller jusqu’à la révélation intégrale d’un système. On s’apercevra qu’il y a aujourd’hui un problème systémique, une pratique systémique de fraude impliquant des gens importants. Des politiques… et d’autres, parce qu’il n’y a pas que les hommes politiques qui sont donneurs de leçons. Il y a des hommes d’affaires, des sportifs. Ils vous expliquent à quel point c’est mal de faire certaines choses alors qu’eux-mêmes l’on fait pendant plusieurs années, et pour certains continuent de le faire.
Pierre Condamin-Gerbier connaît bien les rouages politiques puisqu’il a été responsable de la délégation UMP en Suisse en 2007-2008. Il a notamment été le témoin d’une visite en Suisse, en mars 2007, du trésorier de l’UMP Eric Woerth et de Patrick Devedjian, venus lever des fonds pour la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy.
Pierre Condamin-Gerbier revient sur cet épisode et sur ce qu’il considère comme le « double discours » de sa propre famille politique, à partir du moment où Eric Woerth, alors ministre du budget, a annoncé qu’il partait en guerre contre la fraude fiscale…
« Ce qui m’a profondément choqué a été l’ostracisme complet d’Eric Woerth, Patrick Devedjian et d’autres à l’UMP, vis-à-vis de personnes dont ils serraient les mains, avaient de grands sourires et étaient très amicaux, tout en les traitant ensuite de « mauvais patriotes », ou de mauvais Français. Ils ont eu des discours et des doigts pointés extrêmement agressifs envers eux, alors que ces gens là étaient des amis quelques semaines auparavant…
Mon espoir était que, enfin, avec l’arrivée au pouvoir d’un nouveau gouvernement et d’un nouveau président, Nicolas Sarkozy, on allait pouvoir faire table rase du passé. Et dire : ‘voilà, il y a eu des pratiques dans le passé. On ne peut pas revenir dessus, et l’effacer, mais on peut maintenant créer un système afin que tout cela s’arrête et que les choses soient faites de façon beaucoup plus transparente’. »
— Ces pratiques n’ont pas disparu ?
Ces pratiques n’ont absolument pas disparu. Simplement, comme les législations se sont renforcées, les marges de manœuvre se sont resserrées. Ces pratiques ont simplement dû devenir beaucoup plus techniques, plus complexes, plus opaques. La forme a changée, mais le fond est toujours là. C’est le double discours de ma propre famille, de la plupart des familles politiques en France que je trouve considérablement scandaleux. Vous avez, d’un côté, des liens très forts qui existent entre des politiques et des gens qui pratiquent la fraude fiscale, y compris à l’UMP (comme partout), qui ne correspondaient pas au discours de lutte affichée de lutte contre ces pratiques. Sur le fond, comme sur la forme, les choses ne coïncidaient pas.
Source : France Inter
Slate a réalisé un best of :
Premier constat: le fisc ne peut rien face aux dernières innovations financières en matière de fraude. Comme dans le cyclisme, seul les dopés amateurs se font prendre.
Les valises de billet, c’était la préhistoire de l’évasion fiscale…
La mode aujourd’hui, c’est d’aller à Hong-Kong. Bien plus que Singapour, où Cahuzac avait rapatrié son compte.
Les banques recrutent tranquillement leurs clients à l’évasion fiscale à quelques centaines de mètres du Sénat.
Et maintenant, un tuto d’évasion fiscale… Première méthode: l’assurance-vie luxembourgeoise.
Deuxième méthode: les prêts Lombard, très pratique pour rapatrier de l’argent douteux en France.
Sinon, reste le monde de l’art. Avec une petite dédicace aux tableaux de Laurent Fabius. Fabius qui était le ministre du Budget en 1982 lorsque le gouvernement Mauroy fit le choix d’exclure les oeuvres d’art de l’impôt sur les grandes fortunes.
L’évasion de capitaux, ça peut aussi être un grand jeu selon Condamin-Gerbier, qui accuse directement la Société Générale.
Vincent Glad pour Slate