C’est le titre, que j’ai d’abord trouvé énigmatique, de l’exposition actuelle du programme “Satellite” au Jeu de Paume Concorde, dont la commissaire, Fabienne Fulchéri, nous a déjà fait faire de belles découvertes. Cette fois, un couple de jeunes Brésiliens, Angela Detanico et Rafael Lain, occupe non seulement l’espace souterrain qui leur est attribué, mais envahit aussi subrepticement l’entrée du musée.
Mais 25/24 ? Une fraction ? Un nouveau format de télévision ? J’ai cru un instant que, comme Déjà Vu de Douglas Gordon, on allait jouer là sur une vitesse de projection, un accéléré à peine perceptible à 25 images par seconde au lieu de 24. Non, mais il est bien question de temps ici. S’il vous est arrivé de regarder avec attention un planisphère avec fuseaux horaires (24 fuseaux justement, plus quelques endroits décalés d’une demi-heure), vous n’avez sans doute guère prêté attention à la forme de ces fuseaux, rubans allant d’un pôle à l’autre aux formes anguleuses, parfois discontinus, s’écrasant ici et se gonflant là, frontières immatérielles comme l’équateur, barrières régissant la vie des hommes qui les traversent. Et le décodeur attentif et un peu obsessionnel de fuseaux horaires peut se passionner pour le corridor du Wakhan, là où, franchissant une frontière à près de 5000 mètres, changeant de fuseau, l’heure augmente soudain, non point d’une heure, mais de 3h30 en quelques pas.
Donc 24 fuseaux horaires. Et 25 ? 25 lettres de l’alphabet, bien sûr ! Detanico et Lain sont fascinés par la langue, par les signes, les codes. On les avait vus il y a un an au Musée Zadkine transformer le nom des étoiles, et, aussi, chez Martine Aboucaya, justifier le monde. Oubliant la lettre j, mistigri pour l’occasion, ils ont donc créé un nouvel alphabet, associant chaque lettre à un fuseau. Cela donne des compositions fluides et colorées, dont les titres sonnent comme une comptine enfantine : Midi à Paris (en haut), Treize heures à Zanzibar, Une heure à Hong Kong,… Les fuseaux s’entrechoquent, se déclinent, se juxtaposent; on s’approprie le temps. Ce détournement et cette reconstruction de codes intriguent, mais il s’en dégage surtout une certaine poésie à mi-chemin entre le voyage rêveur devant les cartes, et l’agileté oulipienne compulsive.
Plus bas, dans les profondeurs du musée, on croirait, le matin, voir une tombe, massive, avec en surface une eau stagnante où se distingue un N marquant le Nord, et deux aiguilles d’horloge. Il faut attendre 13h, quand le soleil se lève à Washington, pour que la pièce s’anime: non point une tombe, mais un cadran solaire. La silhouette du Pentagone y est projetée et les ombres y traduisent le passage du jour. Le bâtiment guerrier est ici réduit à sa plus simple expression, simple témoin de la lumière du jour, du temps qui passe, immuable.
Au mur, deux écrans scintillent, témoins de la manipulation logicielle d’une image. C’est un état intermédiaire entre fixe et mobile, entre photo et cinéma, évoquant l’image-temps et l’image-mouvement (venant de là, bien sûr).
Les deux artistes ont également occupé l’entrée du Musée avec une moquette que tout d’abord nul ne remarque. Serait-ce l’ancien logo de Citibank ? C’est un tapis de roses des vents, répétées à l’infini, brouillant la perception de l’espace. Le Nord a beau être indiqué, comment nous situons-nous ? Où devons-nous nous placer ? Sommes-nous du Nord face au Sud, après avoir été de l’Ouest face à l’Est ? Avons-nous perdu le Nord? Sommes-nous à l’Ouest ? Voici en tout cas quelques paires de jambes sur moquette au moment du vernissage (peu de jupes…). A vous de reconnaître directrice du Musée, commissaire de l’exposition, artiste brésilienne ou artiste française !
Photo 1 courtoisie Jeu de Paume et Galerie Martine Aboucaya. Autres photos de l’auteur. © Angela Detanico et Rafael Lain.