J’ai récemment demandé sur twitter qui avait déjà été « peloté » (je n’aime pas cette expression qui minore la réalité mais elle est bien comprise par tous et toutes) par un-e inconnu-e dans un espace public. J’ai eu énormément de réponses, par twits, DM et emails et nous allons tenter de les analyser. J’emploierai le terme « peloter » dans le texte car c’est avec ce terme que la question a été posée et certain-e-s peuvent souhaiter en conserver la symbolique pour des raisons qui leur appartiennent.
Il ne s’agit évidemment pas de culpabiliser ou d’établir qu’il y a de bonnes réactions face à ce type de comportements.
21 hommes ont témoigné avoir été pelotés. Trois l’ont été par des femmes. Dans 10 des cas, ils n’ont pas réagi car ils ont été « surpris« . C’est le mot qui revient le plus dans les témoignages masculins ; ils n’auraient pas pu penser que cela pouvait leur arriver. Les autres ont réagi soit verbalement soit physiquement. la plupart des réactions ont été verbales ; la réaction la plus physique a été un coup de boule. Un seul homme a confié avoir eu « peur« . Je ne sais pas si d’autres ont éprouvé cette sensation mais n’ont pas osé me la confier.
123 femmes ont témoignées avoir été pelotées dans l’espace public. 33 ont réagi, 90 n’ont pas réagi et ont eu « peur« , ont été « surprises« , ont été « sidérées« . Le motif de surprise chez les femmes s’exprime de manière différente que chez les hommes ; les femmes mettent plus en avant qu’elles ont douté de ce qu’elles ressentaient. Étaient-elles bien touchées ? Allait-on les croire si elles s’énervaient ? Allaient-elles viser la bonne personne ? N’était ce pas accidentel ?
Celles qui ont réagi l’ont fait de trois manières différentes :
- en changeant de place
- en criant contre l’agresseur
- en frappant l’agresseur (la réponse la plus physique a été de lui saisir les parties génitales).
Plusieurs de celles qui ont réagit ont dit qu’elles ne réagissaient pas il y a quelques années. Il est à noter que si, de manière générale, les hommes n’ont subi qu’une seule agression, les femmes en ont connu en général plusieurs.
Dans certains cas, la réaction des gens autour a été favorable ; ils ont sorti l’agresseur du métro. Dans d’autres cas, plus nombreux, l’agression a été minorée (« vous exagérez »), niée (cas d’un vieil homme qui a été jugé inoffensif par les témoins) (autre cas où l’agressée a été jugée aguicheuse) (autres cas où les réactions ont été jugées disproportionnées et hystériques).
Une twitta a souhaité m’envoyer par mail l’expérience théâtrale menée dans un tram. La voici.
Une comédienne, en mini jupe, se fait toucher les fesses par un comédien dans un tram. Elle le dit de façon haute et intelligible, il nie puis lui dit qu’elle la bien cherché. Elle lui dit de descendre du tram. Comme personne ne réagit, 3 autres personnes complices sont chargées de tenter de faire intervenir les gens. Aucune réaction jusqu’au moment où elle le gifle où on signale à la personne agressée qu’elle n’aurait pas du le gifler. Quand une complice demande à l’ »agresseur » de sortir du tram, quelqu’un intervient pour leur dire de baisser le ton, qu’ils dérangent tout le monde. L’ »agresseur » finit par descendre de lui même. L’ »agressée » se met alors à pleurer et des femmes se moquent d’elle en disant qu’elle est hystérique. Un homme vient alors lui expliquer qu’elle doit tout oublier et que cela n’est pas si grave.
Il me semble extrêmement important de noter plusieurs choses : je m’appuierai ici sur des réflexions de kriss_dek qui m’a énormément aidée à réfléchir sur certaines situations.
- il existe extrêmement peu de femmes qui n’ont pas vécu une telle situation
- la majorité des femmes ne réagit pas à cause d’une peur paralysante (nous sommes éduquées à peu réagir et dans la peur panique face au viol) ou parce qu’elle n’a pas confiance dans ce qu’elle ressent.
- Les regards extérieurs ont, également, peu confiance dans ce que peuvent dire les femmes. On le voit dans certains cas d’agression racontés au dessus, les femmes ont vu nier leur agression, ce qui entraîne une réaction somme toute logique où l’on se dit qu’on a exagéré, que peut-être même on débloque un peu. Est ce si grave, n’est-on pas en train de se comporter comme une hystérique. Comme le dit Kriss « La crainte du déni par autrui se transforme en déni tout court et pour soi-même ! »
Se posent lors d’une agression, pour beaucoup de femmes les questions suivantes :
« - a-t-on la certitude de ce qui s’est passé exactement ?
- est-on sûre de savoir qui est le fautif ?
- a-t-on la *preuve* (puisque malgré les témoins, on pourrait me traiter de menteuse !) irréfutable d’un « cas grave » et qui sera bien perçu comme tel par tout le monde en général et notre entourage en particulier.
Si cela n’est pas le cas, beaucoup de femmes ne diront rien.
La situation, injuste au départ, le devient encore davantage ; l’agresseur ne sera jamais puni, il a un sentiment d’impunité totale et il est probable qu’il recommencera. La personne agressée n’aura aucune réparation et il est probable que, si elle en parle, cela sera vu comme un impondérable de la vie en société. Cela sera parfois même minoré, moqué ou nié.
Des ressources (toujours fournies par Kriss)
I Was Groped on the Subway (des policiers chargés d’enquêter sur des pickpockets dans le metro ont fini par s’intéresser aux peloteurs).
Différents liens expliquant les mécanismes qui se mettent en place.
Une video de Violence & Silence: Jackson Katz (en appuyant sur cc vous avez les sous-titres en anglais). Nous en parlerons dans un prochain article, elle mérite, je pense, un article entier.