À la bonne heure ! Dans un calme et une sobriété parfaits, un projet de loi fiscale (la n°1011) a été déposé à l’Assemblée Nationale et permettra enfin de propulser la République des Câlins Gentils dans une nouvelle ère de bastonnade fiscale moelleuse et chaleureuse. Heureusement, personne n’en parle.
Plusieurs lecteurs m’ont, très récemment, alerté sur ce projet qui vient donc d’être poussé dans l’enceinte démocratique. La presse a, comme d’habitude, fait son travail en remuant ciel et terre pour informer le citoyen de ce qui va se passer. Les syndicats, les députés, les journalistes sont, tous, montés au créneau pour alerter l’opinion publique devant la menace qu’entre de mauvaises mains, une telle loi pourrait représenter. Le peuple, conscient du problème, a bien vite réagi et tout est rentré dans l’ordre dans le pays des Droits de l’Homme où, il faut le rappeler, chaque jour, on combat d’arrache-pied contre le retour des Heures Les Plus Sombres de Notre Histoire et contre le ventre de la Bête Immonde (qui est, d’après plusieurs observateurs attentifs, très fécond paraît-il).
Voilà voilà.
En fait, non, pas du tout.
Tout le monde se fiche comme d’une guigne de ce qui peut bien se passer sur les bancs de l’Assemblée. Il est vrai que la coterie de frétillants anus qui s’y frottent les uns contre les autres n’aide absolument pas à rendre la démocratie parlementaire palpitante aux yeux du public. Mais justement : sachant la faune qu’on y trouve, on devrait y porter la plus grande attention. Ou, à tout le moins devraient s’y intéresser les journalistes puisqu’ils sont le quatrième pouvoir, la voix de l’opinion (publiée à défaut de publique), les fières plumes défenderesses de la liberté d’expression, de la veuve, de l’orphelin, des petits chatons, du terroir qui chante et de tout le reste. Mais non : ils ont mieux à faire (relater la mort d’un anticapitaliste dans une vente privée, relater les balbutiements de l’épithélium en charge du Dressement Reproductif, etc…)
Bilan : à part quelques libéraux (comme au PLD, par exemple), et quelques professions qui vont devoir se taper les conséquences de cette loi (comme le Barreau), on n’en entend pas parler.
Je résume : un nouveau texte de loi va s’occuper de tailler en pièces les fraudeurs fiscaux, en mettant en place le même type d’arsenal juridique que pour la lutte contre le grand banditisme.
Oui. Vous avez bien lu. Le projet de « loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière » est un magnifique texte, plein d’emphase et d’envolées lyriques dans ce style si agréable à lire de nos députains législateurs ; rédigée par la fine fleur de nos ministres, dans le plus pur esprit qui anima jadis la Révolution Française (pas la version « baissons les impôts » de 1789, mais plutôt la version Terreur avec des têtes qui tombent), ce projet nous propose de tester de nouveaux territoires d’intrusion policière dans le domaine fiscal.
L’idée générale, comme d’habitude, part d’un sentiment parfaitement pourri de jalousie mélangé à cette compulsion atavique, assez typiquement socialiste, de vouloir tout contrôler et de choper sans pitié celui qui oserait se soustraire à la ponction étatique, aussi violente et injuste soit-elle. Le fait, bien sûr, que ce projet de loi soit présenté au moment où la pression fiscale française atteint des records inégalés n’est pas fortuit : comme toute cocotte-minute que le feu fait siffler, les ministres entendent arrêter le bruit enquiquinant en bouchant la soupape, sans pour autant diminuer la chaleur.
Ainsi, l’article 3 propose d’étendre les « techniques spéciales d’enquêtes » aux brigades financières. Ces techniques, pour rappel, sont l’infiltration, les écoutes, gardes à vue prolongées, … On ne parle pas de personnes qui tuent ou qui séquestrent des otages. On ne parle même pas de trafiquants de produits stupéfiants, d’armes ou de contrebande. On parle ici de personnes qui ont gagné de l’argent et ne veulent pas se soumettre aux taux confiscatoires d’impôt, les gros vilains. Ces gros méchants sont scandaleux parce que, comprenez-vous, l’État est un excellent gestionnaire, offre des Services Publics de Qualitaÿ, et ses représentants (les ministres notamment) sont, eux, irréprochables au plan fiscal.
L’article 4, en conséquence, n’est que logique : puisqu’on parle ici d’ennemis du peuple, la confiscation du patrimoine entier est d’actualité. L’article 10, quant à lui, autorise l’emploi de n’importe quelle source pour choper les fraudeurs, y compris les sources douteuses ou illégales:
« Il est proposé de prévoir la possibilité pour l’administration fiscale de recourir à tout mode de preuves, y compris illicites
Oui monsieur, oui madame, c’est un texte français, c’est de la loi française, de la qualité Taubira estampillée Made In France par Montebourg, c’est du solide, du costaud, du qui laisse des traces durables. Que voulez-vous, il ne peut y avoir de demi-mesure dans la lutte contre les opposants au régime. Et puis, la délation, sport national qui fut utilisé dans chacune des périodes charnières du pays, pourra enfin trouver une utilité en ces temps de disette budgétaire. On patauge génialement dans un remix moderne de la loi des suspects….
Ici, l’analogie avec la loi des Suspects n’est même pas de mon fait mais de Christian Charrière-Bournazel, président du Conseil National des Barreaux, qui a je pense déjà vu passer pas mal de lois et doit s’y connaître un tout petit peu (après 40 ans de service) en matière de législation plus ou moins fantaisiste, mais qui a quand même fait un petit bond à la lecture du projet ; il juge cette loi complètement inique dans ces termes :
La paranoïa fiscale qui atteint aujourd’hui les hauts fonctionnaires, auteurs du projet de loi, s’inspire directement de Robespierre et de ses complices : ceux qui n’auront rien fait contre l’État seront cependant suspects de n’avoir rien fait pour lui.
Pas un membre du gouvernement ne semble frappé par le décalage croissant entre l’aspiration du peuple à être gouverné de façon juste par des dirigeants honnêtes, et la réalité, catastrophique, de leurs comportements lamentables d’aigrefins, de repris de justice et de purs filous dont tout indique qu’ils forment maintenant une mafia sans honneur et sans honte, prête à toutes les vilenies et toutes les turpitudes les plus lamentables pour assouvir leurs pulsions et rester au pouvoir.
La direction prise par tout ceci ne laisse aucun doute : ce pays est foutu.