Je n’ai pas l’habitude de plonger les doigts
Dans les bocaux de l’éternité mauve et sale
Comme un bistrot de petite ville provinciale
Et que m’importe qu’en les siècles l’on dispose
De mon âme comme d’une petite chose
Sans importance ainsi qu’au plus chaud de l’été
Dans la poussière le corset d’un scarabée
Je prodigue à plaisir et même quand je dors
Il y a cette flamme en moi qui donne tort
A tout ce qui n’est pas cette montée sévère
Vers l’admirable accidenté visage de la terre
Je plonge dans ma vie une main de chiendent
Et c’est trop de bonheur lorsque de temps en temps
L’heure venue d’agir j’en tire la semence
Qui d’année en année prolonge ma patience
Ah tu verrais faner les ciels et les chevaux
O mon cœur sans que rien ne te semblât nouveau
Même dût-on mourir dans le frais de son âge
Rien que d’avoir posé son front sur un corsage
Et fût-il d’une mère on a bien mérité
De croire dans la vie plus qu’en l’éternité.
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René-Guy Cadou (1920-1951) – Hélène ou le règne végétal (1952)