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L'ours est la goutte qui a fait déborder le gave

Par Baudouindementen @BuvetteAlpages

Le 23 juin, plusieurs milliers d'agriculteurs manifestaient à Paris à l’appel des syndicats « Par besoin de reconnaissance et pour réclamer de pouvoir vivre de leur métier » Les agriculteurs et éleveurs « allaient à la rencontre des Parisiens et des consommateurs » (1), leurs clients, ceux là mêmes qui par ailleurs leur demandent de respecter des clauses environnementales et de cohabiter avec la faune sauvage.

Pour le figaro (3), « Les agriculteurs accueillent les Parisiens dans une ambiance festive et pédagogique ». Le secrétaire général de la FNSEA ajoutant « autour de nombreuses animations comme la découverte des animaux de la ferme, nous voulons sensibiliser les Parisiens sur la chance que représente l'agriculture pour l'économie française et sa gastronomie ».
Le but de cette « ferme à Paris » étaient multiples (2) :

  • obtenir des mesures d'aide et de soutien financier (NDLB : 12.871.600.000 € de subventions agricoles en 2006) ;
  • masquer les tensions internes qui parcourent aujourd’hui la « grande maison » pour reprendre le terme utilisé par les adhérents de la FNSEA. (Certains céréaliers du syndicat auraient préféré que le thème abordé lors de cette journée soit plus large que l'élevage et englobe aussi les producteurs de grandes cultures souvent pris pour cible par le grand public qui les considère comme des «nantis» (3) ;
  • obtenir une meilleure indexation du prix des produits sur les charges ;
  • obtenir un allègement des contraintes administratives et environnementales « qui nuisent à l’investissement et à l’esprit d’entreprise ».

Pour La France Agricole (4) qui n’évoque pas les prédateurs, les causes du malaise sont :

  • les difficultés à répercuter l'augmentation des coûts de production et la hausse des matières premières,
  • les contraintes administratives et règlementaires,
  • la nécessité d'un soutien fort de la Pac en faveur de l'élevage, 
  • les relations avec la grande distribution et l'industrie agroalimentaire,
  • la mention de l'origine de la viande (l’importation de viandes étrangères),
  • la mainmise des céréaliers sur les aides et la réorientation vers l’élevage des aides dans le cadre des négociations de la Pac (ce sujet a été évité car c’est un sujet qui fâche et qui divise le monde agricole),
  • les importations de bœufs aux hormones, de poulet au chlore, de maïs OGM.

Causes auxquelles FR3 Bourgogne (5) ajoute :

  • la baisse importantes des revenus,
  • la sécheresse de 2011 qui a forcé les éleveurs à acheter du fourrage en insistant sur le problème des marges de la grande distribution : sur 100 euros de dépenses alimentaires, seuls 7,60 euros reviennent aux agriculteurs, le reste allant aux intermédiaires de la chaîne alimentaire, « Le rapport de force avec la grande distribution nous est systématiquement défavorable. Or, chaque fois qu'on perd, ce sont des exploitations qui disparaissent »

Le point (6), pour sa part évoque également :

  • « la fluctuation des cours des céréales et autres grandes cultures nécessaires à l'alimentation animale »

Le journal cite aussi le président des JA, François Thabuis pour qui :

  • « le premier défi, c'est le renouvellement des générations. Car s'installer aujourd'hui pour un jeune, c'est quasiment mission impossible. » Or, la moitié des éleveurs bovins ont déjà plus de 50 ans. « Et nos partenaires en aval sont eux aussi dans une situation extrêmement difficile », reprend Xavier Beulin (FNSEA), citant les activités d'abattage, de découpe ou de transformation.

D’autres causes sont aussi évoquées : « Comparé à l'Espagne ou l'Allemagne, "le différentiel de prix, de 4 à 6 euros par heure travaillée, est insupportable à l'heure européenne » (1). Seul Metronews évoque « la protection accordée aux prédateurs » dans lesquels ils classent : loups, sangliers et ... campagnols.

Intempéries

Ours-goutte-eau-gave

A toutes ses causes structurelles, il convient d’ajouter la météo de l’hiver 2012-2013 et de ce printemps pourri.
Dans le Haut-Béarn, l’IPHB a fait le point sur les estives et les cabanes. La situation n’est pas bien fameuse, entre une hauteur de neige qui empêche tout estivage avant, au plus tôt fin juillet, et les dégâts aux cabanes ou aux pistes d’accès.
En pays toy, la situation est encore bien plus critique :

  • villages, maisons et exploitations ravagés,
  • infrastructures détruites (routes, ponts, parkings),
  • abattoir de l'AOC fortement endommagé,
  • prairies dans les fonds de vallées détruites.

Avant les intempéries de la semaine passée, les bêtes ne pouvant monter en estives consommaient l’herbe des étages intermédiaires ou des prairies de fond de vallées, hypothéquant les récoltes de foin. Les intempéries ont souvent obligés les éleveurs à rentrer les bêtes quand les pâtures étaient inondées ou impraticables. Les foins n'ont pu être coupés comme les autres années, ce qui alourdira d'autant leurs factures en fourrages. (6)
Pour le berger Didier Crampe, ces gouttes d’eau font déborder le vase d’une vie de servitudes montagnardes. « De janvier jusqu’au 31 mai, j’ai vécu entouré de 3 mètres de neige. Cinq heures de marche pour remonter toutes les semaines 25 kilos de provisions depuis Luz-Saint-Sauveur. Et, quand enfin elle fond, voici que la pluie saccage aussitôt la seule route qui nous relie au monde… » Alors, une fois bradé son troupeau de 30 vaches et 100 brebis, l’enfant du pays a promis de le quitter pour la ville. (7)
Laurent Lassalle-Carrère est éleveur à Luz-Saint-Sauveur. Ses vingt hectares de prairie ont disparu, recouverts par une étendue de pierres. Ses étables ont été détruites, mais ses vaches épargnées, car elles étaient en altitude. " Toutes les prairies de fauche, les meilleures, les plus plates, sont dans cet état là, plus ou moins", déplore Sylvain Boueilh, éleveur et président de l'Appelation d'origine protégée Barèges. Il faudra des mois pour réparer les routes de montagne effondrées entre Barèges et Luz-Saint-Sauveur, a estimé, dimanche, la préfecture des Hautes-Pyrénées, ravagées par les crues des gaves. (8)

Les causes de la crise du pastoralisme sont connues de tous, même des éleveurs.

Cette connaissance des causes de la crise n’empêche pas les éleveurs de profiter des intempéries en pays toy pour reporter, d'une manière indécente, tous les problèmes sur l’ours : « L'Etat doit retirer ce prédateur », estime Marie-Lise Broueilh, présidente de l'association des éleveurs du pays Toy. « Si ses services traînent les pieds, nous prendrons nos dispositions. » Et de préciser: « Vous retirez les ours ou nous les tuons. »

Le mythe de l'ours est bien vivant : "La battue à l'ours va canaliser l'émotion, les réactions instinctives des bergers et des valléens bien au-delà de la simple vengeance contre le mangeur occasionnel de quelques brebis. Le mythe est un élément stabilisateur qui joue le rôle de « soupape de sûreté» de l'esprit humain dans un système social donné. Dans la société pastorale, c'est la poursuite d'un animal s'attaquant au bétail qui joue ce rôle (ours, loup ... ). L’acte de chasse collectif va servir de catalyseur du groupe, comme le prouvent les références continues à la solidarité, au désintéressement, à l'esprit d'équipe ... à l'unité de tous dans cette action commune. Unité bien difficile à obtenir, d'ailleurs, si ce n'est contre un « ennemi» commun." (Gérard Caussimont)

Louis Dollo, lui n'hésite pas à ajouter  "les écologistes auxquels beaucoup impute (sic) la responsabilité des inondations". Un ennemi de plus, des sauvages ! Un don qui devraient remplir bien vite les caisses du parti EELV, vu les sécheresses dans le monde (et en Béarn ;-)
LaDépêche du Midi n'est pas en reste. Elle titre : « Après les inondations, l’ours s’en prend aux élevages de mouton dans les Hautes-Pyrénées ». « Alors que les agriculteurs essayent, tant bien que mal, de sauver leur exploitation après les importants dégâts liés aux inondations, il semblerait que l’ours profite de leur absence sur les estives pour « croquer en libre-service les troupeaux ».

La Dépêche aurait pu écrire " croquer les troupeaux en libre service." Rappelons que la charte de l’AOC Barèges-Gavarnie stipule " En estive, les animaux pâturent en liberté totale de jour comme de nuit afin de trouver l’alimentation nécessaire à leur croissance et engraissement. Au minimum une fois par semaine, l’éleveur effectue une surveillance du troupeau, soit de manière visuelle, soit par rassemblement des animaux." (...) Le libre service est donc de la responsabilité des éleveurs toys.
Les subventions ovines du secteur viande en zone pastorale sont de plus de 13.000 €/exploitation/an en moyenne. Cela fait juste 3 ans qu'on a procédé à une forte réévaluation des subventions ovines du secteur viande en zone pastorale et déjà, on reparle de nouvelles mesures nécessaires, alors que la PAC post 2013 n'est même pas encore finalisée ! « [l'agriculture de montagne a] des atouts qui ne sauraient perdurer sans l'ajustement des politiques publiques aux spécificités de la montagne et de ses agricultures. » Sans accroissement régulier des subsides publics, point de salut pour le pastoralisme, quelles que soient les espèces exterminées en parallèle pour se défouler. (Lire « Je ne dis pas que c’est pas injuste, je te dis que cela soulage ».
La consommation de viande ovine est passée de 5,5 kg au début des années 1990 à 3,2 kg équivalent carcasse par an et par habitant en 2011.

Mais l’ours est la goutte qui a fait déborder le gave..., à n'en pas douter.
Lire aussi

  • Les causes de la crise ovine
  • Pastoralisme et ours : un autre regard
  • La mortalité des brebis dans les Pyrénées et l’incidence de l’ours brun
  • Résultats économiques 2012 pour les exploitations spécialisées ovins viande


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(1)   http://www.huffingtonpost.fr/2013/06/23/eleveurs-marche-paris-consommateurs_n_3486451.html
(2)   http://www.ouest-france.fr/actu/AgricultureDet_-Les-eleveurs-de-la-FNSEA-manifestent-a-Paris-le-23_3640-2203569_actu.Htm
(3)   http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2013/06/23/20002-20130623ARTFIG00030-veaux-vaches-cochons-couvees-se-donnent-rendez-vous-aux-invalides.php
(4)   http://www.lafranceagricole.fr/actualite-agricole/elevage-la-fnsea-et-ja-mobilisent-a-paris-74028.html
(5)   http://bourgogne.france3.fr/2013/06/23/250-300-eleveurs-bourguignons-manifestent-paris-l-appel-de-la-fnsea-275701.html
(6)   http://www.lepoint.fr/societe/10-000-agriculteurs-en-colere-attendus-a-paris-23-06-2013-1684948_23.php
(7)   http://www.sudouest.fr/2013/06/24/apres-la-crue-mortelle-des-villageois-prisonniers-de-la-montagne-1094741-4971.php
(8)   http://www.francetvinfo.fr/video-les-inondations-transforment-une-prairie-en-champ-de-cailloux-dans-le-sud-ouest_354868.html


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