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Nicholas Evans a connu le
meilleur tout de suite, quand son premier roman, L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux, est devenu un
best-seller international dès sa parution en 1995, rapidement et efficacement relayé
par le film de Robert Redford. Dix-sept ans plus tard, au moment où son
cinquième livre sort en traduction française, l’écrivain britannique n’a
toujours pas retrouvé le même niveau de succès. Il ne s’en inquiète pas outre
mesure : « J’ai eu beaucoup de
chance avec mon premier roman. Heureusement, on ne sait jamais pourquoi un
livre marche très bien et d’autres moins. Mais avoir eu cela une fois dans ma
vie, c’était un beau cadeau. »
Il y a aussi des chevaux
dans Les blessures invisibles, bien
qu’ils jouent un rôle moins central. Il y a surtout, autour de Tommy enfant
puis adulte, en Angleterre et aux Etats-Unis, bon nombre de personnages aux
trajectoires complexes qui se croisent et s’éloignent, selon les périodes, pour
de bonnes ou de mauvaises raisons.
Parmi les éléments en
apparence disparates que Nicholas Evans organise dans un récit ample, il en est
un qui a, plus que les autres, déclenché l’écriture : « C’était en 2003, quand Bush et Blair, d’autres aussi, ont envoyé
des soldats en Irak. Comme des millions de gens en Angleterre et partout dans
le monde, j’étais furieux. Un soir, à la télévision, j’ai vu une conférence de
presse de George Bush, dans son ranch au Texas. Il était habillé comme un
cow-boy. Il avait un Stetson, des bottes, un jean. J’ai été frappé par le fait
que le président des Etats-Unis, le pays le plus puissant du monde, au moins à
ce moment-là, se présente en cow-boy. L’Ouest sauvage continuait à être un
symbole très important. J’ai été immédiatement renvoyé à mon enfance. Petit
garçon, j’étais fasciné par les westerns, je jouais aux cow-boys et aux
Indiens. Aujourd’hui, on connaît la vérité sur la conquête de l’Ouest :
c’est une histoire violente, pleine de massacres d’hommes et d’animaux. Pourtant,
le mythe reste plus puissant que la vérité… »
Tommy est lui aussi un
enfant fou de westerns. Mais pas très heureux dans sa famille. Moins encore au
pensionnat où il devient le souffre-douleur d’autres élèves. Sa sœur, Diane,
déjà une jeune femme – on comprendra mieux les années qui les séparent grâce à
une des nombreuses révélations qui font rebondir le roman –, est une actrice
pleine d’avenir. Les Etats-Unis l’appellent et elle devient la compagne de Ray
Montane, un acteur spécialisé dans les… westerns, précisément. De quoi faire le
bonheur de Tommy, ou presque. Car il devra apprendre combien la fiction de
l’écran est parfois très éloignée de la réalité. « Ray joue le rôle d’un homme bon et honnête, mais sa personnalité
n’est pas du tout celle-là. »
Ray ne deviendra donc pas
le père de substitution que cherche l’enfant au milieu des secrets de famille
mis progressivement au jour et qui ont déchiré sa vie. Beaucoup plus tard,
Tommy sera lui-même père d’un fils, Danny, qui devient militaire et se trouvera
accusé d’un massacre en Irak – on revient à cette guerre. Nicholas Evans n’a eu
besoin que de suivre l’actualité pour cet épisode : « J’ai lu beaucoup de choses sur le massacre de Haditha, en 2005,
qui vient d’ailleurs d’être jugé. Et, finalement, personne ne sera vraiment
puni. »
La construction du roman bouscule sans cesse la
chronologie. Dès le premier chapitre, on apprend que la mère de Tommy est
condamnée à mort. « On le sait, mais
on ne sait pas grand-chose », dit Nicholas Evans dans un grand éclat
de rire. Il réserve en effet, dans les quatre cents pages qui suivent, de
belles surprises à son lecteur. Même si celui-ci ressemble à l’écrivain,
l’atmosphère dramatique de la scène initiale l’aidera à poursuivre : « Je suis un lecteur lent. Et, si un
livre ne m’intéresse pas après 60 ou 70 pages, parfois, je le laisse. Donc, je
veux que le lecteur soit tout de suite dans l’histoire. » Le résultat
est convaincant.