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L'histoire en appui des opérations

Publié le 24 juin 2013 par Egea

Ci-dessous un très texte d'Hervé Drévillon, publié dans Armées d'aujourd'hui. Guerres et conflits l'a déjà mis en ligne, je me permets donc de le mettre à l'attention des égéens. D’ailleurs, il faut savoir que le service historique des armées était, à l'origine, une cellule de "retex" (Retour d'expérience). Mais comme il y avait le mot "histoire", les scientifiques l'ont investi et c'est devenu quelque chose de bien (trop) éloigné des préoccupations militaires, au point qu'il a fallu réinventer un processus Retex, et mettre en place des cellules dédiées, en interarmées (à l'EMA) ou par armées (pour l'AT, au CDEF). En fait, Drévillon revient aux sources !

L'histoire en appui des opérations
source (opération Chromite)

O. Kempf

L’HISTOIRE EN APPUI

  • Hervé Drévillon in Armées d’aujourd’hui n° 381, juin 2013

Cartes, journaux d’opérations… Longtemps, les documents de ce type ont été les outils de référence pour préparer une campagne. À l’heure de la géolocalisation par satellite, cet héritage est ignoré par la mise sur pied des OPEX, au risque de rendre amnésique la pensée militaire.

Aujourd’hui, nos soldats combattent au Mali dans des espaces jadis parcourus par l’armée française. Sont-ils suffisamment conscients de cet héritage historique et disposent-ils des moyens de se l’approprier ? Certes, ils possèdent de très efficaces systèmes de renseignement, qui semblent reléguer les anciens outils de reconnaissance et d’analyse aux oubliettes. À quoi bon exploiter les vieilles cartes établies au temps de la domination coloniale lorsqu’on dispose de données recueillies par satellite ? Qu’apprendre des méharistes lorsqu’on circule en VBCI ?

Le Dépôt de la guerre : un véritable outil opérationnel

Il fut un temps où de telles questions eussent parues incongrues tant la mémoire des opérations passées semblait indispensable à la planification des campagnes futures. Le Dépôt de la guerre, créé par Louvois en 1699, n’était pas uniquement destiné à la conservation inerte des archives. Il formait une gigantesque base de données dans laquelle puisaient les chefs militaires et politiques pour préparer de nouvelles opérations. Louis-Alexandre Berthier, le chef d’état-major de Napoléon Ier, le savait mieux que quiconque, lui qui avait appris le métier d’ingénieur géographe aux côtés de son père, Jean-Baptiste, qui organisa le Dépôt de la guerre comme un véritable outil opérationnel. À cette époque, on était persuadé que Frédéric II de Prusse avait perdu la bataille de Kolin (18 juin 1757) parce qu’il n’avait pas pu disposer des cartes du théâtre d’opération.

Le travail cartographique réalisé par les ingénieurs géographes constituait un matériau utile, même lorsque les cartes étaient périmées. Celles-ci, en effet, ne sont pas de simples photographies du territoire. Elles en sont une lecture, une interprétation. Elles racontent une histoire, qui peut être complétée par d’autres sources qui sont celles de l’histoire militaire : les mémoires, les reconnaissances et les journaux des marches et des opérations, institués en 1874. Après la défaite de 1870, on savait que le témoignage des opérations présentes nourrirait l’histoire et la réflexion stratégique de l’avenir. De fait, dans le sillage de l’École supérieure de Guerre, créée en 1876-1880, la pensée militaire s’enracina dans la réflexion historique. Contrairement à une idée couramment admise, l’exploitation de l’histoire par les penseurs militaires de la période 1870-1914 ne fut pas caricaturale. Elle se révéla, au contraire, d’une incroyable richesse et donna naissance à une grande profusion d’idées nouvelles. C’est la transcription doctrinale de cette profusion qui fut défaillante, en réduisant le modèle napoléonien à quelques mots d’ordre réducteurs. Cette simplification d’une réalité complexe était le contraire de l’exercice critique auquel nous invite la science historique. Elle désolait ceux qui, comme Hubert Camon (La Guerre napoléonienne, 1903-1910) ou Jean Colin (Les Transformations de la guerre, 1911), durent parmi les meilleurs historiens de la guerre napoléonienne. Les erreurs de 1914 ne sont pas nées d’une trop grande vénération pour l’histoire, mais de la volonté doctrinale d’en réduire la richesse.

Vestiges d’un temps révolu ?

Aujourd’hui, c’est un autre danger – celui de l’amnésie – qui guette la pensée militaire. Le lien entre les opérations en cours et l’histoire des conflits passés s’est considérablement distendu. Les archives du Service historique de la Défense apparaissent souvent comme les vestiges d’un temps révolu. Elles ne sont pas connectées aux circuits du retour d’expérience et aux sphères opérationnelles. L’amnésie d’aujourd’hui crée ainsi les conditions de celle de demain. Il n’y a, à cela, aucune fatalité. Pratiquée avec méthode, rigueur et esprit critique, l’histoire peut encore nourrir la pensée militaire.

H Drévillon


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