Quand on pioche entre l’A$AP Mob, Pro-Era ou les Flatbush Zombies, on se retrouve avec les Underachievers, pionniers du beast coast, comprenez par là le meilleur des deux mondes, entre best coast et east coast… Ou plutôt le meilleur des deux monstres. Issa Dash et AK forment l’un des duos rap les plus compétents et intéressants de cette jeune génération de rappeurs qu’on voit envahir nos blogs. Le simple fait qu’ils aient signés sur Brainfeeder, label du mastermind Flying Lotus, plutôt que chez Universal ou Def Jam devrait largement suffire à vous en convaincre.
A peine moins d’un an d’existence musicale qu’ils sont déjà super compétents : leur flow est intouchable. Leur idéologie est aussi appréciable que bien exécutée ; prônant la paix, l’élévation de l’esprit et l’ouverture tout en conservant une empreinte bien street, ils feront penser à de gentils A$AP Rocky avec un flow bien à eux.
Commençons par les bonnes choses sur leur première mixtape. D’abord, il y a la production qui sonne à mi-chemin entre le roster habituel du label et le hip-hop alternatif des années 90 — poussé jusqu’à sampler l’ultra-classique 93′ Til Infinity qui a d’ailleurs fêté ses 10 ans cette année. Dans un sens, AK et Issa Dash rappellent le groupe mythique et leur state of mind de jeunes qui s’amusent pour diverses raisons – car comme le dit si bien le génial Noz, ce n’est pas ça le hip-hop ? – tout en gardant une idéologie forte et engagée. Bref, je m’égare. Les structures même des chansons rappellent l’underground ancien, évitant au maximum les refrains, alternant les flows et les rimes internes entre les couplets, sur un mélange de samples soul, jazz, du boom bap comme du trap. The Mahdi, leur hymne, est la plus représentative de ces sonorités, samplant le classique en question pour un résultat du plus bel effet.
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Heureusement pour nous, les beast coastiens ne font pas partie de cette longue liste de rappeurs aux productions intéressantes sans flow pour parfaire le tout. Nos deux rappeurs sont vraiment extrêmement gâtés sur ce point là et bénéficient en plus d’une alchimie quasi-naturelle, leurs flows se complétant avec brio, les bars de l’un fondant dans celles de l’autre, les rimes internes de l’autre finalisées par celles de l’autre. Non, c’est un pur joyau de flow.
Maintenant, il reste aussi l’épreuve du feu : un flow aussi maîtrisé doit servir à appuyer leurs lyrics. Pourtant, aussi intéressant que leur concept peut être, ils ne racontent pas grand chose sur cet album. Quand on a écouté l’intro on a déjà tout écouté – littéralement – tellement les thèmes se répètent. Ce n’est pas qu’ils parlent dans le vide, au contraire vu leur doctrine intéressante… Juste qu’il ne se passe rien d’intéressant. L’intro fait tout, puisque sur tout le reste de la mixtape, on aura droit au mêmes trucs : Third eye til’ the fucking death, beast coast nigga, knowledge over everything, oh lord… Mais quelle intro, quelle intro. C’est l’un des meilleurs sons qu’on a écouté de toute l’année et c’est d’ailleurs dommage qu’une chanson aussi excellente ouvre la mixtape, ça met la barre beaucoup trop haut pour le reste.
Philanthropist remplit parfaitement son rôle d’intro en posant tous les éléments du duo : Le beat original, le flow démentiel, tous les thèmes… Dès la première seconde, quand AK dit First things first let me lay it down, young indigo nigga here to take the crown, on le croit et on se dit qu’il est déjà sur le trône. C’est alors que son partner-in-crime Issa Dash arrive sans refrain et reprend le flow encore plus fort et alterne entre les tons avec sa voix aigue avec un skill purement dingue. Si ça ne suffisait pas, le tout est baigné dans un mysticisme fabuleux, chaque lyric prônant la spiritualité, l’âme, l’élévation de l’esprit, des références à Dragon Ball Z, le pouvoir de la connaissance… et d’autres trucs qu’aucun autre rappeur actuellement ne prône en fait. Chaque line est digne d’être inscrite dans un book of rhymes de Nas. En à peine moins de trois minutes, les deux compères s’affirment déjà comme deux des meilleurs rappeurs vivants.
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Ce n’est pas qu’ils disent rien, comme on l’a dit – leurs sons sont très inspirants et c’est rare de voir des rappeurs aborder ce genre de thèmes tout en sonnant comme… comme des rappeurs. Ils écrivent très bien mais on aimerait juste qu’il se passe quelque chose sur ces (très longues) 58 minutes. Ah oui, voilà l’autre problème : c’est vraiment trop long. Pas que ce ne soit pas de la qualité, au contraire, mais comme on l’a dit il y a deux ou trois lignes, il ne se passe rien et quand il ne se passe rien d’intéressant lyriquement sur une heure… on commence à se dire qu’il y a beaucoup de fillers. C’est une mixtape pleine de pures perles, comme l’intro, The Mahdi, Herb Shuttles, Leopard Shepard, mais c’est surtout une mixtape à écouter à petites doses. Enfin, on ne peut pas en vouloir au duo de nous offrir tellement de bonne musique d’un coup.
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Au final, Indigoism nous convertit avec plaisir à leur doctrine indigoïste. Il n’aura fallu que les 2 minutes et 38 secondes de l’intro mais si l’envie vous prend de continuer sur 1h, vous trouverez énormément de plaisir entre les tribulations spirituelles d’un des duo les plus skilled et fascinants du rap gam actuel. Dommage que par moments, l’ennui et la longueur gâchent une ambiance extrêmement old-school et bien exécutée ainsi qu’un flow spectaculaire et empêche un premier draft d’être excellent malgré ses moments de génie. Mais eh ! Ce n’est que le début. En moins d’un an, on a déjà droit à ça, et vu qu’ils appartiennent maintenant à Flying Lotus… On ne peut s’attendre qu’à un coup de génie pour la prochaine fois. Ça ne devrait pas vous dissuader de plonger dans leur univers.