Au 415 rue du Verger, tu viens à peine d’emménager. Pourtant déjà à bicyclette tu as fait le tour du quartier.
Il a raison, car autrefois dans ton quartier, il y avait un verger. Et sur ta rue, bien alignés, des centaines de pommiers. Printemps, été, automne, hiver. Jamais pareils, toujours changeants. Et à les voir en février, maigres vieillards aux longs bras nus, n’eût été leurs bourgeons en dormance, on les aurait déclarés morts.
Petits bourgeons sur chaque branche et sur chaque arbre des milliers. Petits bourgeons à peine visibles où sommeillaient feuilles et fleurs qui au printemps s’ouvraient bien grand et s’étiraient en plein soleil. Les feuilles d’abord, les fleurs ensuite pour, à la fin du mois de mai, habiller branches et rameaux. Et dans un souffle avant l’été, redonner vie aux grands vieillards.
Et nous, enfants, sous la feuillée d’un de ces arbres-fleurs, d’un de ces arbres presque nuages, assis sur une branche basse et adossés au tronc rugueux, tout près du cœur de l’arbre et enivrés de ses parfums, nous rêvions. Autour de nous les colibris et les abeilles allaient, venaient d’une fleur à l’autre. Dans une course contre le temps. Car il est court le temps des fleurs, vite achevé d’un coup de vent et de pétales jonchant le sol. Triste. Comme neige au printemps.
Feuillaison, floraison, nouaison. Bientôt des fruits grosseur d’une pomme. Pour nous, enfants, le bon moment pour apprendre, du travail, chaque jour la patience, la minutie et le temps long. Dans chaque pommier, de bas en haut et du pourtour jusqu’à son centre, inspecter branches et rameaux. Du bout des doigts, d’un geste sûr, y faire tomber les fruits menus pour que ceux de la grosseur d’une bille puissent atteindre pleine maturité et, à la fin de la saison, devenir pommes et non pommettes. C’était une tâche rebutante, mais qui avait ses bons côtés. Car nous aimions grimper aux arbres, comme nous aimions courir les champs et puis nous baigner dans l’étang.
À la fin d’août débutaient les cueillettes qui ne s’achevaient qu’aux gelées. Et pour, dans ces pommiers immenses, parvenir à tout récolter, il fallait se diviser les tâches. Aux adultes, la plus difficile : cueillir, juchés sur de lourds escabeaux. À nous, enfants, celle de ramasser au sol toutes les pommes tombées. Et de cueillir au beau mitan de l’arbre les pommes enfouies sous sa feuillée. Ou bien, accrochées au sommet, celles qui nous forçaient à grimper. Grimper, là-haut, sur une branche frêle qui sous le poids d’un adulte aurait cédé.
Printemps, été, automne, hiver. Ainsi se terminait le cycle tout comme il avait commencé. Pieds dans la neige, branches dénudées, noueux, rugueux, quatre cents pommiers. Et parfois, dans l’un de ces arbres en dormance, quelque part au bout d’une branche, quelques feuilles par le vent agitées. Et puis, là-haut, couleur novembre, dure et gelée, une pomme au sommet oubliée.