Le mercato médias 2013 est complètement fou. Alors que Monaco enchaîne les arrivées en football, Canal en est presque son équivalent télévisuel. Voyant les audiences chuter, Rodolphe Belmer, grand patron de la chaine cryptée, a décidé de frapper fort. Pour remplacer Michel Denisot au Grand Journal, de nombreux noms ont été avancés. À la surprise générale, c’est Antoine de Caunes qui est sorti du chapeau. L’ancien trublion de Nulle Part Ailleurs a décidé de revenir par la grande porte. Retour raté dans les années 90 ou renaissance du Grand Journal ?
Que la surprise fut grande. Déclarant préférer le cinéma à la télévision de nombreuses fois, Antoine De Caunes est bien de retour à ses premiers amours. Toujours sur le groupe Canal avec la diffusion de ses documentaires ou bien la présentation des Césars, diffusé sur la chaine, il aura la lourde tâche de faire remonter les audiences d’un « empire » en perte de vitesse. Soumis à la concurrence, moqué sur les réseaux sociaux, la tâche s’annonce difficile.
Le retour aux sources
Dans la conscience collective, Antoine de Caunes représente l’esprit Canal. A Nulle Part Ailleurs, il a permis à la chaine cryptée de prendre son envol. Il joue le rôle d’humoriste de 1987 à 1995. Vitrine pour la 4, il intervenait au début de l’émission, au milieu afin d’interroger l’invité de façon caustique et à la fin avec, la plupart du temps, son acolyte, José Garcia. Leurs sketches auront marqué toute une génération.
Le duo magique
Mais NPA était avant tout un talk-show. Des invités de divers horizons (écrivain, chanteurs, acteurs & co) venaient sur le plateau pour parler de leur actualité. L’émission mixait également information, musique et humour. 80 % de l’émission se basait sur une interview sérieuse des invités. Mais les gens ne se souviennent que des bêtisiers, ou presque. Des images qui continuent, durant chaque fête de fin d’année, de faire le tour des TV et d’amuser la galerie.
Antoine de Caunes quitte le navire en pleine gloire après 6 ans de bons et loyaux services. Mais le succès est toujours présent pour la chaîne ! En janvier 1997, l’émission réalise sa meilleure audience depuis deux ans et demi. Avec une moyenne de 1,4 million de téléspectateurs et une part d’audience de 7,8 % (chiffres issus d’un article de Libération daté de 1997), l’émission phare de la chaine cryptée est toujours dans la vague. À cette époque, l’émission est scindée en deux parties, l’une présentée par Jérôme Bonaldi (18 h 35/19 h 10) et la seconde partie par Philippe Gildas (de 19 h 10 à 20 h 30).
Gildas, le taulier.
Crédit photo : Rue 89
Pire, la légende que l’émission ne marchait pas sans De Caunes et Garcia est obsolète. En janvier 1999, c’est Guillaume Durand qui assure l’animation. Le succès est toujours au rendez-vous. Alors que Philippe Gildas n’est plus présent depuis maintenant un an et demi, NPA affiche un très bon bilan lors des 6 premiers mois de l’année 1999 avec 1,4 million de fidèles soit 7,4 % d’audience lors de la seconde partie de l’émission. Nagui arrive pour remplacer Guillaume Durand. Les chiffres ne baissent pas ! Pour sa première semaine à l’antenne, l’émission atteint les 8,8 % de part de marché. C’est au début de l’année 2000 que le succès commence à s’estomper pour s’écraser au fil du temps. Comme quoi, les souvenirs ne sont pas toujours exacts.
Le syndrome du « c’était mieux avant »
« Il est très bien, Antoine, mais je pense que, pour les jeunes, il ne représente plus rien ». La phrase est de Cyril Hanouna, animateur de Touche pas à mon Poste, émission « médias » de D8, chaine du groupe Canal. Sur son plateau, le futur Michel Drucker du PAF a réagi en direct sur l’info exclusive de Libération concernant le retour d’Antoine de Caunes sur Canal. Il a même pris longuement en parole, chose plutôt rare pour être remarquée.
Cyril Hanouna s’exprime sur son confrère
Or, la question mérite d’être posée. Lorsque de Caunes était au sommet de sa gloire, la TNT n’existait pas et le choix des chaines hertziennes se résumait à seulement six canaux. Un total bien maigre. L’époque a bien changé et les médias aussi. Avec la course au « buzz » comme le prouve Nabilla et son fameux « Allô », le nouvel animateur du Grand Journal devra redoubler d’ingéniosité pour faire parler de son émission et de rameuter la tranche des 15-25, nouvelle cible des chaines de la TNT.
Antoine de Caunes manque de notoriété auprès des jeunes. Heureusement pour lui que les Césars – et son compte Twitter avec une portée moins importante – lui permet d’être toujours dans le « vent ». Lorsqu’on pose la question aux bacheliers de cette année, les réponses fusent. « Antoine de Caunes, c’est le mec bourré avec l’acteur de la vérité si je mens ? », « Je ne sais pas qui c’est. Désolé » ou encore « Je m’en fiche, je ne regarde que le Petit Journal » sont quelques échantillons obtenues au près de ma sœur et ses amis, tous bacheliers cette année. Le défi d’Antoine de Caunes est de s’imposer chez les jeunes et dynamiter l’image austère qui colle au Grand Journal. « On veut de l’actu, mais aussi du fun, du pep’ s, de la fantaisie, de la surprise, plus de piquant, plus de mordant », explique Rodolphe Bermer à Libération. La révolution est en marche.
» Regardez ! Je suis drôle «
Crédit photo : Le Figaro
Le vrai danger réside également dans la nostalgie. Que ce soit dans la musique, la télévision ou même le cinéma, les critiques sont souvent les mêmes. « C’était mieux avant ». Dans le milieu hip-hop français, ça en est même devenu un vrai débat. À la TV, c’est différent. Le téléspectateur a un besoin certain d’être rassuré. Pour ça, les productions en appellent aux fondations. On fait confiance aux mêmes présentateurs, aux mêmes chroniqueurs et bien sûr on réactive de vieux concepts. Le Juste Prix, Intervilles ou encore Champs-Élysées mettent en abyme cette idée. De plus, dès qu’une nouvelle émission est produite, les comparaisons avec des programmes plus anciens affluent de partout. Avec souvent la même rengaine, « c’était mieux avant ». Antoine de Caunes devra donc également « se battre » contre cette vision archaïque assumée par une grande partie du public. Pouvons-nous reprocher à Canal – mais pas que – de nous proposer toujours les mêmes présentateurs n’acceptant pas de se remettre en question ? Oui, nous avons le droit. La nouvelle génération de téléspectateurs veut du changement !
Pourquoi Antoine de Caunes va réussir
Les risques existent bien, mais Antoine de Caunes a toutes les cartes pour réussir. Ayant comme objectif de reconquérir le jeune public – mais aussi les trentenaires dits branchés – il pourra se reposer sur Thomas Thouroude. L’ex-présentateur de l’Équipe du dimanche, maintenant aux commandes de Formula One, a remporté la case en clair de la chaine cryptée. L’émission s’intitulera « Before » et aura lieu de 18 à 18h45. « Ce sera un journal de la pop culture adressé aux 15-35 ans (…) L’idée, c’est de s’intéresser à une manière assez peu brassée à la télé parce que plus segmentante : la mode, la musique, les réseaux sociaux » affirme Rodolphe Belmer, le boss de Canal.
Thomas Thouroude sait mettre le feu
Crédit photo : Télérama
Réputé pour son humour et ayant une grosse cote auprès du public, mais aussi sur les réseaux sociaux, il représente cette volonté de rajeunissement et « d’entertainment » voulue par le patron de la chaine. Ainsi, nous imaginons mal ce même public changer de chaîne et ne pas continuer leur début de soirée en compagnie d’Antoine de Caunes et sa bande, inconnue pour le moment. Les deux présentateurs semblent être complémentaires. Le premier représente le « renouveau » de l’esprit Canal alors que le second en est l’investigateur. Un duo permettant de rameuter un large panel de téléspectateurs.
Attendons dorénavant le programme proposé par le Grand Journal. Avec une forte concurrence sur le même créneau, Antoine de Caunes va devoir sortir le grand jeu afin que l’émission sorte de son marasme ambiant. Avec plusieurs échecs au cinéma, dont le mauvais biopic sur Coluche, l’ancien humoriste de Nulle par Ailleurs a sûrement les crocs. En voyant ses prestations lors des Césars – à part lors de la cérémonie de 2013 – l’espoir est permis. Redevenons des Enfants du Rock, enfin de Canal.
Antoine de Caunes, au milieu, était déjà dans le vent à l’époque.