Après la réforme du mariage, après la réforme des rythmes scolaires, après la réforme des enseignements introduisant de riantes expériences sociétales dès le plus jeune âge, il fallait bien une petite réforme des retraites pour mettre un peu de peps dans une vie politique française trop tranquille…
Et la question d’une réforme ne se pose même pas puisqu’avec les différentes bidouilles qui ont eu lieu sur les 20 dernières années, la situation n’a pas changé : l’âge moyen de départ à la retraite n’augmente pas assez vite alors que le temps à en profiter, lui, continue de grimper, suite à l’augmentation constante de l’espérance de vie en France. Parallèlement, le nombre d’actifs cotisant pour l’usine à gaz par répartition ne cesse, lui, de diminuer, ce qui, conjugué avec l’éclatement du papy boom, provoque des tensions de plus en plus importantes dans les comptes des fonds chargés de payer, justement, les joyeux retraités.
On se souvient que, sous l’ère Chirac, un frémissement de réforme avait été tenté, visant à ramener progressivement les régimes spéciaux dans le giron du régime général. En décembre 1995, la France s’était donc complètement bloquée, grâce à l’action vigoureuse des syndicats des transports en commun et des fonctionnaires, toujours soucieux du bien collectif, citoyen et festif. Le courageux Juppé avait avec courage baissé son pantalon courageusement pour laisser le champ libre aux protestataires, et, toujours avec audace, avait reculé puis s’était fermement tu jusqu’aux élections suivantes qui l’éjectèrent de sa place au chaud.
Depuis, il n’a bien sûr plus jamais été question de gommer (même progressivement) les consternants avantages des retraités de la fonction publique et assimilés avec ceux du régime général. En revanche, il a largement été question que le régime général soutienne les régimes spéciaux, déficitaires. Il a même été question que la gestion calamiteuse de la dette sociale soit épongée par le Fonds de Réserve pour les Retraites, à hauteur — tout de même — de plusieurs dizaines de milliards d’euros, dans le silence compact des médias de l’époque (autrement dit, le gouvernement a utilisé des fonds de long terme pour colmater une brèche sans rapport, et bye bye les retraites futures).
Mis face à ses responsabilités, et face aux écarts de plus en plus criants, de plus en plus injustes et illégitimes entre les différents régimes, le petit pépère du peuple a décidé de hocher la tête, d’émettre un petit rot étouffé, quelques « heu… » fermes et décidés, pour tourner autour du pot et contester mollement l’inégalité flagrante qui se joue en France actuellement.
Le président est dans une phase difficile ? Heureusement, sa fine équipe, de véritables ninja ministériels affûtés comme des lames de sabre japonais, vient à son secours pour bien expliquer ce qui va se passer. Ou, plutôt, ce qui ne va pas se passer. La réforme sera millimétrique, dans la douceur, aérienne, et, pour tout dire, si diaphane que personne ne pourra trouver à y redire (sauf, bien sûr, ceux qui cotisent au régime général, les plus nombreux mais les moins vocaux).
C’est ainsi que Marisol Touraine est montée au créneau.
Vous ne vous rappelez pas trop qui est Marisol Touraine ? C’est normal : comme beaucoup de ces gens dont on ne comprend pas trop pourquoi ils font de la politique, ce qu’ils y font et quelle est, exactement, leur fonction au sein d’un gouvernement de bras cassés pathétiques, Marisol Touraine passe inaperçue tant elle se fond dans la masse ; c’est son côté caméléon. Les fringues, sans doute.
Et pour elle, c’est très clair : il faut arrêter tout ce méchant fonctionnaire-bashing qui oppose les Français entre eux. Mieux, pour notre ministre qui pète la Santé,
« Il y a un mode de calcul différent, mais la question qui doit être est posée est celle de savoir si pour les retraites des fonctionnaires et des salariés du privé, le taux de remplacement comme on dit techniquement (…) sont si différents que cela. Il y a beaucoup moins de différence que ce que certains disent entre les retraites du privé et les retraites du public. »
Ici, on peine, un peu, à garder son calme.
D’une part, si l’on s’en tient simplement aux émoluments versés en moyenne, le public sort grand gagnant, notamment parce que le salaire moyen dans la fonction publique est meilleur et tout au long d’une carrière plus linéaire que dans le privé, mais aussi parce que les bases de calcul sont notoirement différentes. Et d’autre part, lorsqu’on regarde l’âge de départ moyen actuel et futur, les perspectives d’avenir en terme de pensions versées et les cotisations afférentes par type de cotisant, on obtient ceci :
Ah oui, pas de doute, Marisol, il n’y a aucune différence ! Tu as tout à fait raison, Marisol, ça ne vaut pas le coup de faire du fonctionnaire-bashing, puisque les chiffres et la réalité suffisent amplement à comprendre que les salariés, les professions libérales et indépendantes sont en train de se faire purement et simplement voler, sans la moindre honte, par toute un caste de population dont les syndicats, rétrogrades et jusqu’auboutistes, refuseront toute négociation et préfèrent déjà, par leur attitude, mettre tout le monde au trou plutôt que céder.
Alors évidemment, on comprend qu’en tant que ministre, Marisol, tu as intérêt à la jouer mollo avec François. On comprend que tu as ta propre retraite à assurer, on comprend aussi qu’il vaut mieux pour toi sortir les plus gros mensonges plutôt qu’admettre les évidences. On comprend aussi que pour chaque tenant de la République du Bisounoursland où tout se résout toujours par une distribution de bisous et d’argent des autres, les inégalités n’existent que dans la tête des méchants, des libéraux, des capitalistes ou de l’opposition. Mais on comprend aussi que tout ceci n’est qu’une fumisterie de plus pour tenter de camoufler le vol d’une majorité par une minorité hontectomisée à laquelle, Marisol, tu as prêté allégeance.
Certes, il est parfaitement sain de ne pas vouloir monter, bêtement, une population contre une autre, si tant est que cela soit possible. Il est indispensable, même, d’examiner avec le plus d’impartialité les systèmes de retraites actuellement en place, et d’essayer d’en réduire la complexité et l’écart puisqu’après tout, ce pays se gargarise d’égalité et qu’en plus, il en va de la survie de tout le système. Parce qu’il faut bien voir que les privilèges des uns s’effondreront en même temps que disparaîtra, subitement, la retraite des autres si le système s’effondre de n’avoir pas été adapté à la donne actuelle : le système tel qu’il fut conçu sous Pétain n’est plus adapté. C’est devenu un vol manifeste, des promesses sur du vent, et la misère assurée pour le plus grand nombre.
Et si l’on fait, justement, le travail de comparaison impartial qui semble être le vœu de la ministre, alors les chiffres ne laissent aucun doute. La jeunesse qui prend, progressivement, la place des aînés ne devrait faire qu’une chose : se révolter.