La notion de soutenabilité de la croissance ouvre des perspectives au-delà de l’écologie.
Par Emmanuel Martin.
Un article de Libre Afrique.
Croissance et environnement
La notion de soutenabilité fait évidemment référence aux aspects environnementaux : la capacité à ne pas scier la branche sur laquelle nous sommes assis, en somme. Non seulement la capacité à ne pas épuiser les ressources dans le long terme, mais aussi à ne pas polluer notre environnement et en faire un système invivable dans lequel les populations se rebelleraient contre l’injustice de la pollution due à la croissance – menant de facto à l’insoutenabilité de cette dernière.
En Chine l’air des grandes villes devient irrespirable. Le Delta du Niger est une catastrophe écologique. Dans de nombreux pays africains les ressources halieutiques sont pillées. Ici encore il semblerait que la croissance économique ne soit pas soutenable. Le PIB n’intègre pas cette dimension.
Deux remarques cependant avant de jeter la croissance du PIB aux orties.
Premièrement les ressources sont des « ressources » parce que les hommes pensent qu’elles le sont. À bien des égards, la « ressource ultime » c’est donc l’homme. Non qu’il faille « gaspiller », mais si le pétrole vient à manquer, l’ingéniosité humaine trouvera une autre ressource, grandement aidée par les incitations économiques générées par la rareté.
Deuxièmement, croissance et « marché » sont compatibles avec l’écologie pour peu que des règles de responsabilité soient appliquées. Les problèmes environnementaux sont en effet essentiellement liés à l’absence de propriété sur des biens qui sont donc « libres » : tout le monde a intérêt à les piller. L’appropriation, notamment « en commun » permet de résoudre ces problèmes. Des indicateurs « institutionnels » permettent de mesurer cette dimension juridico-économique qui a un impact direct sur la gestion environnementale.
Mais la « soutenabilité » peut recouvrer d'autres dimensions.
Quelle croissance ? Ce que nous rappellent certains pays d’Afrique
En effet, certains pays en Afrique connaissent des taux de croissance importants. Pourtant, cette croissance se fonde surtout sur les revenus de l’exploitation du pétrole. Elle n’est pas essentiellement générée par une augmentation de la spécialisation, de la division du travail et de la productivité (menant à des revenus plus élevés). Elle n’est donc pas soutenable d’abord parce qu’elle est fondée premièrement sur une manne et non pas sur une diversification progressive des activités économiques.
Une élite proche du pouvoir politique profite de la manne pétrolière. C’est le règne du capitalisme de copinage dans lequel quelques-uns s’enrichissent mais les autres n’ont que des miettes : on refuse à ces derniers les institutions du capitalisme, réservées à l’élite politico-économique.
L’inégalité fondamentale ici est procédurale : les règles du jeu ne sont pas les mêmes pour tous. Mais cette inégalité procédurale donne bien évidemment lieu à des inégalités de résultat, avec des écarts absolument considérables de richesse entre les citoyens de ces pays dont l’immense majorité croupit dans la pauvreté. Les tensions sociales que crée un tel environnement constituent un obstacle à une croissance de long terme, comme nous l’a rappelé le printemps arabe : la « ressource ultime » qu’est l’homme ne peut être gaspillée longtemps.
Dans de tels cas, le PIB est effectivement un indicateur très limité de la soutenabilité de la croissance. Au-delà des indicateurs traditionnels de développement humain ou d’inégalités, il faut prendre en compte la qualité des institutions pour percevoir le degré de partage des opportunités économiques qui forment le socle d’une croissance de long terme.
L’obsession de la croissance
En occident, les décideurs publics sont littéralement obsédés par la croissance. En France par exemple, M. Sarkozy promettait d’aller « chercher la croissance avec les dents » lors de la campagne électorale 2007. Cinq ans plus tard, M. Hollande se présentait comme le « candidat de la croissance ». C’est que la croissance a un impact sur l’emploi et donc sur le recul du chômage (Loi d’Okun). La croissance a aussi un impact sur les rentrées fiscales, et dans les pays surendettés aux déficits budgétaires qui explosent, quelques dixièmes de pourcentage de croissance peuvent faire la différence dans les finances publiques.
Mais ici aussi il y a croissance et croissance.
Car le risque est que de nombreuses politiques soient mises en place pour « relancer » ou « stimuler » la croissance à court terme, au prix de sa « soutenabilité » à long terme. C’est notamment le cas de la politique budgétaire expansionniste dont l’Europe fait en réalité les frais aujourd’hui.
De même pour la politique monétaire expansionniste ou, comme l’on dit aujourd’hui, « accommodative ». Le meilleur exemple de sa nocivité est sans doute celui des États-Unis au début des années 2000 où la politique monétaire, du fait du « double mandat » des autorités monétaires (maîtriser l’inflation et permettre la croissance), a été mise au service de la « relance ». Sauf que cette relance de la croissance s’est essentiellement canalisée dans l’expansion très exagérée du secteur du bâtiment. Avec les conséquences que l’on connaît.
Certains économistes, de l’école « autrichienne », estiment que la stimulation artificielle de la croissance, par la manipulation de la politique monétaire, génère un « boom » économique qui ne pourra se payer que par un « bust » (une récession). L’idée sous-jacente est que, du fait de cette stimulation monétaire, l’économie surinvestit, et mal-investit, dans certains secteurs qui s’avèreront finalement peu rentables. La correction de l’erreur est évidemment douloureuse. Ce processus serait à l’origine des cycles économiques et, en définitive, d’une croissance « non soutenable ». Ici aussi des indicateurs institutionnels intégrant la qualité de la politique monétaire par exemple sont essentiels.
La notion de soutenabilité de la croissance ouvre des perspectives au-delà de l’écologie. Le PIB est une mesure effectivement limitée et doit être assorti d’indicateurs qualitatifs institutionnels.
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