Être : une exigence. Adhérer plus fortement, plus étroitement à ce principe de croissance inscrit en nos cœurs et qui consiste à accéder à une présence toujours plus vraie, plus vivante et plus réelle. L’être ignore la stagnation. C’est une tension vers la présence, un élan inachevé vers la plénitude du réel. J’entends toujours les mêmes objections : la responsabilité, l’engagement, le service du prochain... Comme si le souci de l’être pouvait entraîner une sorte d’indifférence au monde et aux autres. Il creuse un certain détachement, une distance qui inspire la suspicion, mais qui très vite s’affirme comme un espace de clarté et de vérité où chaque chose reprend sa place et sa taille.
Évoquer l’être est souvent compris comme une atteinte à l’activité humaine. Nous ne mesurons pas combien l’écoute, l’attention aux autres comme à soi-même nécessite de présence active. Que l’on examine seulement la qualité de notre attention : quelle absence, la plupart du temps, quel vide à la fin d’une journée !
Pourtant, si nous vivions davantage dans l’être, notre vie aurait plus de sens. Etty Hillesum (1914-1943) a vécu une conversion fondamentale. Au cœur de la Seconde Guerre mondiale, cette jeune femme juive a préféré la consistance de l’être à l’effervescence de la vie. Elle notait dans son journal : " Mon faire consistera à être. " Cet enracinement paradoxal dans l’être lui a permis de se tenir debout, toujours présente aux autres, jusqu’aux heures décisives d’Auschwitz. Alors que l’action n’était plus une priorité, le jaillissement spontané d’elle-même à l’être l’avait rendue à sa vérité.
Ces deux valeurs demeurent complémentaires, mais l’une doit dépasser l’autre. Si l’on persiste à les croire d’égale importance, il y aura nécessairement illusion. Car elles exercent une lutte qui nous échappe, où le paraître finit toujours par l’emporter. À nous donc de choisir à laquelle donner la primauté qui orientera toute notre existence. Or l’extériorité ne peut pas avoir la primeur sur toute une vie. Le besoin de visibilité, de reconnaissance à tout prix, devient alors une tyrannie qui ruine toute profondeur, et finalement toute crédibilité.
source : La Vie