Je suis fille de Neptune, créature marine sculptée par la main d’homme ; les flots sont mon écrin, les nuages mes frères. Une écume crémeuse escorte le voyage.
Sous mon immobilité grouille le désir fou de plonger, me détacher, arracher tous les liens – de bois ou de métal, je l’ignore – et tremper un pied rendu enfin agile, et sauter dans les vagues, m’immerger sans défiance dans ce grand corps d’azur qui tout le temps m’effleure.
Et mon buste et mes jambes s’enfonceraient dans l’eau. Je sentirais le sel crépiter sur ma peau. Sous ce ciel liquide je jonglerais avec les méduses ; leur organisme pâle éclairerait ce monde qui jamais ne m’accueille et dont je suis la reine. Les algues vénéneuses dans une plastique étreinte encercleraient mes jambes ou ma queue de poisson, m’entraînant vers les limbes d’une nuit silencieuse. L’onde me bouleverserait et ce mouvement doux, régulier, lisserait sur mes joues des larmes de bonheur.
Je nagerais. J’éparpillerais de mon bras leste la multitude argentée des poissons minuscules. Je ne craindrais plus rien, ni la tempête sombre, ni les monstres marins – je suis leur mère, ou leur fille, je suis comme eux.
Mon corps se draperait dans les tourbillons verts, dans l’eau froide et vivace. Je serais l’écume, je serais les flots, je retrouverais enfin ce monde sans humains duquel ils m’ont extraite – sous ma peau ébréchée glisserait le lichen. Le soleil sera mort.
Je serais Aphrodite, Néréide ou sirène et, me perdant vers les profondeurs noires, je laisserais ma bouche embrasser l’océan. Le bateau serait orphelin et mes lèvres brûlées par le sel soupireraient d’extase.