Les auteurs racontent: «La mesure des écarts deux à deux de réponse aux candidatures en fonction des différentes adresses met en avant un effet très fort du département. Une bonne adresse peut aller jusqu’à tripler les chances d’être invité à un entretien d’embauche.» La réalité est d’autant plus cruelle que l’écart s’avère plus important pour les serveurs – en contact direct avec la clientèle – que pour les cuisiniers. Enfin, une précision qui a son importance: l’expérience ainsi menée ne concernait que des candidats de sexe masculin, du même âge et au parcours semblable, avec des patronymes qui «ne suggèrent pas qu’ils sont issus de l’immigration». Tout est dit. Négative. Comment ne pas penser, en écrivant ces mots, au regretté Robert Castel, en nous référant de nouveau à son livre "la Discrimination négative: citoyens ou indigènes?", publié chez Seuil en 2007? Dans cet ouvrage admirable, le célèbre sociologue développait l’idée que la France traversait désormais une période de «discrimination négative» équivalente à ce qu’il appelait «la fabrique des “étrangers de l’intérieur”», en tant qu’entorse grave – sinon irréversible – aux principes républicains. Robert Castel, renvoyant à l’histoire de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, expliquait: «Ce fut l’honneur de la République de rompre avec les facteurs de différenciations fondés dans la nature, les traditions ou les hiérarchies qu’un ordre transcendant imposait à chacun une fois pour toutes.» Car chacun le sait – ou devrait le savoir –, l’égalité des citoyens devant la loi n’est pas un vain mot, elle est la condition de l’entrée dans la modernité démocratique. Seulement voilà, les héritiers de l’immigration, puisqu’il s’agit principalement d’eux, restent traités différemment, même lorsqu’ils sont Français depuis une ou deux générations. «C’est en ce sens que l’on peut parler de discrimination négative, expliquait le sociologue. Ce n’est pas un pléonasme. Il existe des formes de discrimination positive qui consistent à faire plus pour ceux qui ont moins. Le principe de ces pratiques n’est pas en lui-même contestable dans la mesure où il s’agit de déployer des efforts supplémentaires en direction de populations qui manquent de ressources pour s’intégrer au régime commun, afin de les aider à retrouver ce régime. Il peut être utile, et même indispensable, de cibler des populations marquées par une différence qui est pour eux un handicap avec la visée de réduire ou d’annuler cette différence.»
Quartiers. Beaucoup de médiacrates s’étaient indignés lorsque le maire communiste de La Courneuve, Gilles Poux, avait porté plainte auprès de la Halde pour ces discriminations territoriales dont souffrent ses quartiers populaires. Faudra-t-il encore des chiffres et de savantes statistiques transformés en « preuves » pour que nos donneurs de leçons reconnaissent enfin l’évidence ? En ces temps anxiogènes où l’on ne nous promet que le déclassement intergénérationnel et les injustices protéiformes d’une marchandisation globalisée qui conduit à une époque brûlée par le brasier de la déréalisation, nous savons qu’une grande partie de l’à-venir de la République se joue dans ces quartiers populaires en proie à un appauvrissement généralisé. Nos jeunes n’y aspirent pourtant qu’à l’élémentaire. Avoir une formation, un emploi durable, un salaire correct. Et puis accéder au sport, à la culture, aux voyages et à l’amour. Bref, ils veulent l’égalité – pleine et entière.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 21 juin 2013.]