Identitairement

Par Notes-Sur-Tel-Aviv @MyriamKalfon

Pourquoi se méfie-t-on autant de l’identité ?

Nous avons grandi, en République française, dans l’idée que tous égaux, pas vraiment mais bon comme si, gare à celui qui osera dire le contraire, qu’on lui coupe la tête !

Yoram Kaniuk est mort. Il parait, très (très) modestement, que mon style n’est pas sans rappeler le sien, à cause des associations libres. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai de plus en plus de mal à argumenter. Pourtant, je me disais hier en peinant tant sur 3 misérables pages (3!) au point que j’envisageais de tout abandonner, pourtant tu as passé le lycée à faire ça, des dissertations à la chaîne,  et tu t’en sortais parfaitement bien. Pourquoi donc, Grands Dieux, exprimer ta pensée de façon construite te paraît de plus en plus difficile de nos jours ? Certes, maintenant, il faut le faire en anglais et en hébreu et c’est moins naturel. Mais ce n’est pas que cela. C’est comme si les pensées tournaient en boucle dans mon esprit, d’une intuition à une autre, d’une envolée à une autre et les mettre bout à bout de façon logique et coordonnée semble de plus en plus insurmontable. Ou alors c’est parce que je ne lis presque plus, que plus personne n’a le temps ni la patience, qu’il faut toujours Facebook en même temps que la télé, que le cours, que la pensée et qu’aller jusqu’au bout d’une idée est une perte de temps. Dans ce blog, j’ai le droit de faire comme je veux, de ne pas finir si j’ai envie, de sauter d’une idée à une autre à ma guise, et pourtant, même ici, je n’ai pas mis les pieds depuis 3 mois.

Une certaine gestation a lieu. Je suis tellement occupée à apprendre que j’aie le sentiment de ne plus pouvoir dire. Qu’est-ce que j’apprends ? J’en reviens à l’identité.

Je suis assise en face de cet homme à kippa. Il est là pour me parler de judaïsme et de psychologie, un sujet dont j’ai dû justement traiter dans ces maudites 3 pages.  Il possède tous les ingrédients qu’il me faut pour m’intéresser à la conversation. Il a l’esprit rapide et l’énonciation claire, il va droit au but, ne se perd pas en chemin sur des détails insignifiants, mais est prêt à prendre tous les détours associatifs que je lui propose, répond à ma curiosité par la sienne, m’écoute parler avec intérêt, me donne un sentiment d’approbation tout en hissant la conversation vers le haut. Bref, je suis bien.  Nous parlons donc de judaïsme et de psychologie, mais en chemin j’ai d’autres questions. Sur le mariage, tiens, puisque c’est bientôt mon tour et que j’y pense sans cesse.

Nous construisons notre propre cérémonie, juive libérale. Il y a beaucoup de raisons. Mais surtout – probablement – pour l’égalité. Dans l’orthodoxie, la femme n’a pas droit de parole. Son consentement est muet. Le mari fait tout, passe la bague, récite les vœux. Nous voulions  faire autrement, inscrire le principe d’égalité au cœur de notre union. Mais alors, l’érudit me déclare: c’est comme une demande en mariage, c’est l’homme qui met le genou à terre, tend la bague et fait la déclaration. La femme, elle, accepte "passivement" mais elle est au cœur de l’événement ! Je médite.

Je saisis l’espace d’un instant que nous tuons peut-être la polarité entre nous en voulant à tout prix me donner voix au chapitre. Si nous sommes égaux, alors rien ne nous différencie. Nous sommes associés, partenaires, compagnons de route. C’est vrai bien sûr, mais pas que. Nous savons que notre vie érotique ne fonctionne pas comme cela. Le problème, c’est que trop souvent égaux = pareils. Et alors, pourquoi me courtiserait-il puisque nous sommes identiques ? Pourquoi le fascinerais-je si je suis comme lui ? Tuons-nous l’âme en voulant l’égalité ?

A nouveau, l’identité. Ma quête est désormais placée sous deux grandes questions : juive et femme. Et citoyenne, peut-être, même si, intuitivement, cette dernière catégorie découle des deux premières. Encore une fois, c’est à se demander ce que je fabriquais avant, pourquoi ne me suis-pas posé ces questions plus tôt, à quoi a servi mon adolescence  si ce n’est pas pour aborder le paradigme identitaire, mais bon, j’avais probablement d’autres problèmes à résoudre en ce temps là,  la série des Harry Potter à lire.

En France, on n’aime pas les catégories. Symptôme post-révolutionnaire? On n’est ni chrétien, ni juif, ni (surtout pas) musulman, à peine est-on un homme ou une femme, riche ou pauvre, vaguement Parisien peut-être, on n’est surtout rien qui ne se voit et qui n’ait trop de goût. On est… quelque chose, enfin voilà… un passeport, quoi, enfin que voulez-vous ? Y a écrit République française dessous, cela devrait bien suffire ! Je n’oublierai jamais cette interview de Son Excellence l’ambassadeur de France en Israël au premier acte de l’affaire Merah, avant l’école juive : " 3 militairies have been killed. One of them happened to be Muslim" . Happened, est-cevraiment possible ?

C’est le stricte équivalent de " d’origine juive". Vincent Peillon, d’origine juive. Ca ne s’entend pas, ca ne se voit pas, ca existe si peu finalement. Un peu comme un beau steak sur l’assiette. C’est d’origine animale. Mais de là à imaginer que c’était un vrai bœuf, avec des yeux, un regard, des émotions, un être vivant de chaire et d’os qui a vécu dans des conditions épouvantables avant de devenir un steak…. Ça non , bien sûr, on ne ruine pas un aussi bon repas par des considérations ridicules.

Je me fais cynique. Mais finalement, n’est-ce pas à moi-même que j’en veux ? Une colère, pleine d’étonnements, d’avoir vécu si longtemps juste à côté de cette question, la fameuse question juive, sans m’en apercevoir. Une absence à soi, une définition en creux. Est-ce que je me définis comme juif ? s’interroge mon futur mari. Mais avons-nous vraiment le choix ? Puisque c’est ce que nous sommes, et puisqu’on nous aurait déporté sans hésiter il y a 60 ans, puisque cela ne relève pas des options facultatives… Étrange tout de même, de n’avoir pas le droit de choisir un élément si déterminant dans sa propre vie.  Comme mon identité sexuelle. Je n’ai pas choisi d’être une femme. Je pourrais évidemment tout faire pour devenir un homme, mais je n’en ressens pas le besoin, alors je suis une femme. Est-ce pour autant une identité par défaut ? En creux, en passant, en l’air ?

Et de nouveau l’indignation. Nous n’avons pas choisi d’être juifs, mais nous le sommes. Or, cette religion est pleine de choses qui nous dépassent. De croyances dont je n’avais jamais eu à me préoccuper jusqu’ici et qui me laissent le souffle court. Souvent, je haussais les épaules quand on me parlait de la Bible. Poussiéreux. Et pourtant, l’humanité toute entière se définit en fonction de ce livre ou contre lui ! D’un ensemble d’idées qui remontent beaucoup trop loin pour que je puisse imaginer concrètement la vie des ces figures dont on me parle. Par exemple, mon arrière grand-mère Betty, j’ai assez de notions et d’imagination pour m’identifier avec elle, pour essayer de ressentir la vie qu’elle menait. Pourtant, je me dis, Betty vivait dans un monde où les femmes n’avaient pas le droit de vote, où les Noirs et les homosexuels n’avaient pas de droits tout court, où Israël n’existait pas et où la pyramide et son homme blanc au sommet n’était contestée par personne. Quel rapport entre elle et moi, sinon que je suis son arrière petite-fille ?

Par extension : quel rapport entre moi et Abraham, qui avait deux épouses, des esclaves, ni ‘électricité ni eau ni Internet , sinon qu’il a entendu une voix un beau jour qui a finalement délivrée une série de lois et de principes à un peuple dont je suis aujourd’hui l’une des rejetonnes ? Par hasard, la famille de mon père au Maroc et la famille de ma mère en Allemagne sont issues du même héritage et se sont retrouvées, ici, en Israël, pour me donner naissance à moi, qui ne comprend rien à ce patchwork…

Ma jeunesse française ne m’a pas préparée à cela. Nos ancêtres, les Gaulois…  Mais qui prend cela au sérieux ? Au peut-être étais-je la seule justement à laisser glisser cela comme des coquilles vides de sens, peut-être que pour mes camarades français de souche,  cela voulait dire quelque chose ? J’étais Française et Parisienne par hasard, cela me tenait lieu d’identité, et je croyais que c’était le cas pour tout le monde. J’avais un ensemble d’idées (ce qui se fait pas ou pas, ce qui est dans le champs des possibles) qui me tenaient lieu de valeurs… D’où venaient-elles ? Mystère. On me parlait de Kant en classe, et je m’y intéressais comme à un problème lointain, poliment, de la façon dont on regarde un documentaire sur la Chine. Mais il fallait le dire, que vous vouliez nous faire réfléchir sur nous-mêmes ! Qu’il s’agissait, très concrètement et intimement, de savoir ce qui fondait nos convictions, nos choix, nos comportements. Ce n’est plus une matière au bac, ça, Monsieur, c’est un outil pour la vie et je risque même de m’en servir.

Comme un éveil. La vie n’est pas un film américain, c’est le film américain qui me décrit (me propose ?) un ensemble de valeurs pour vivre, que d’aucuns, dans d’autres régions du monde, haïssent. Et moi, blanche et occidentale, je m’y reconnais donc j’adhère. Mais y crois-je vraiment ? Donnerais-je ma vie, si nécessaire, pour défendre cette idéologie-là ?

Je cherche une façon de finir ce texte. Il n’y en a pas, puisque ce sujet me dépasse de toutes parts.

Ce n’est que le début.