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J’ai très longtemps hésité à écrire un article sur Dieudonné. L’idée est dans les cartons depuis les débuts du site pour tout vous dire, mais la peur de voir débarquer le CRIF ou des obscurs militants anti-juifs avait raison de moi jusqu’ici. Puis j’avais surtout clairement pas envie d’un débat premier degré autour du plus grand humoriste français du marché depuis une vingtaine d’années maintenant.
On est ici pour juger le comique, l’interprète, l’écrivain et non l’homme même si ces dernières années on est plus trop certain qu’il existe vraiment une limite entre les deux. Foxtrot, c’est le retour de Dieudo sur toutes les routes de France, délaissant (un peu) ainsi son Théâtre de la main d’or. Une tournée pour renflouer des caisses pas au max’ avec cette affaire d’impôts dont la presse n’a pas manqué d’en faire ses choux gras. Le constat est là, c’est un succès d’audience, les salles sont remplies, parfois bien à l’avance même. Oui, la censure n’a pas eu raison de l’ami M’Bala M’Bala. Au contraire, elle le sert même. Et c’est tant mieux, qu’on se le dise.
Le traitement qu’il lui est fait aussi bien dans les médias que dans le cadre politique est au minimum absurde, au pire totalitaire. Libre à chacun de ne pas aimer, de ne pas adhérer, mais la liberté d’expression on ne touche pas, merci.
Venons-en aux faits de ce nouveau spectacle, le douzième (!) de sa carrière. Déjà, qui à part lui a joué douze spectacles dans le pays et notamment un chaque année depuis 2008 ? Le gars est d’une régularité folle, surtout qu’il frôle parfois le génie (J’ai fait le con, Mahmoud). Mais celui-ci, c’est peut être celui qui vient tirer la sonnette d’alarme.
Mis à part les dix premières minutes et le très fin sketch final des extraterrestres, le reste c’est du vu et revu et archirevu. Dans les cibles choisies mais aussi dans le jeu où, même si personne ne maitrise mieux que lui tout ses accents, ça manque de surprise dans les personnages incarnés.
Pire, lorsqu’il a une bonne idée, elle est mal exploitée. C’est le cas du dialogue avec Anders Breivik ou de « la compétition victimaire » qui ne décolle jamais vraiment tant tout ce qui est dit est trop attendu, devient même trop « convenu » (dans le sens facile) pour du Dieudonné. Ca manque d’aération, on commence sérieusement à tourner en rond.
C’est lorsqu’il vient aborder des thèmes d’actualités avec les serial killers ou la surpuissance militaire américaine et le soucis des armes sur le territoire qu’il est le plus performant et retient le mieux notre attention. Là on retrouve le sniper, le roi du troll que j’aime tant, celui qui chie sur tout le monde sans le moindre complexe et avec une pertinente impertinence.
Mais c’est trop peu ou disons trop noyé dans ce ciblage qui fait tant et tant parler, celui de son supposé antisémitisme. C’était drôle au début, lorsque le mec pour tourner ça en absurde (parce que c’est absurde, oui) remettait des couches de peintures par pot de 30kg. Sauf qu’on a fait le tour du sujet et que ça en devient gênant désormais. Le point Godwin est atteint au bout de deux minutes ici et il y a trop d’insinuations douteuses.
Je suis pourtant pas un jeune perdreau et il en faut beaucoup pour créer le malaise sur moi. Je peux comprendre son point de vue sur la surenchère de la victimisation, de l’appropriation d’un massacre horrible sur des générations qui ne l’ont pas connu et même sur la défense de la Palestine. Surtout que niveau religion, j’en suis venu à chier sur toutes ces théories de science fiction. Mais y’a un moment, si tu donnes sur les uns, tu dois donner sur les autres aussi. Comme à l’époque du grand, du splendide Le Divorce de Patrick entre « La Fine Equipe du 11″ et le passage sur les livres religieux.
Par exemple, il évoque Mohamed Merah mais prend bien soin d’éviter le sujet de son extrémisme religieux alors qu’il y avait matière et qu’il est d’ailleurs sans doute le seul dans l’hexagone qui aurait pu en faire un truc génial. Dommage.
On espère simplement que le mec demeure libre dans ses sujets et qu’il n’est pas en train de se rendre compte qu’il est parti trop loin dans un délire et qu’il est trop tard pour en revenir. Je veux croire qu’il est trop intelligent pour s’enfermer dans un carcan qui lui ferait perdre beaucoup trop de son talent. Ce gène de l’indépendance qui a fait de lui le meilleur, qui a fait de lui le maitre incontesté de l’humour contestataire. Peut être qu’il est temps de souffler, de prendre un peu de recul pendant deux, trois ans pour revenir plus fort ensuite… C’est visiblement pas dans ses plans puisque le gars repart au front cette année avec Le Mur. La dernière chance avant la pente descendante mec, alors fais pas le con!
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