Le devoir de mémoire n’est pas à sens unique. Entre contrition et repentance, la France n’en finit pas de revoir son histoire. Au point que, toute honte bue, on en célèbre nos défaites – comme le triste anniversaire des accords d’Évian, le 19 mars 1962, que l’on commémore dorénavant – et que l’on en occulte nos victoires, nos conquêtes, et le passé glorieux de ce qui fut notre empire, quand nous étions encore fiers de la civilisation que nous apportions au monde. Par l’oublieux mépris dont ils sont l’objet, les derniers feux de l’Indochine française sont en cela amèrement exemplaires. Le fond des manuels scolaires où ils sont aujourd’hui relégués, déformés, maltraités – quand seulement ils y figurent ! – illustre cette inversion des valeurs, cette perte des repères les plus essentiels et pourtant si vitaux à ce qui fait l’essence même, la vigueur d’un peuple : la grande et belle aventure de son histoire commune. Dans notre mémoire collective, la vile amnésie qui frappe la victoire française de Koh Chang et son artisan, le grand serviteur de l’État que fut l’Amiral Decoux, ressort de ce funeste illogisme. Il n’est que temps de réparer cette injustice et de leur redonner tout leur lustre. La bataille de Koh Chang dans le conflit franco-thaï. En septembre 1940, par voie de presse, discours radiodiffusés et force meetings, le gouvernement thaï se lance dans des diatribes de plus en plus virulentes contre la France. Objet de son courroux : la non-ratification par celle-ci d’un traité accordant à la Thaïlande une petite révision en sa faveur de ses frontières avec le Laos, accord pourtant dûment accepté quelques mois auparavant par la IIIeRépublique finissante. Le soudain raidissement français, explicable au vu des événements en métropole, est incompris en Thaïlande où le gouvernement ultra-nationaliste du maréchal Luang Pibul Songkran nourrit de grandes ambitions territoriales. Au sein même de la communauté de nos compatriotes installés à Bangkok, une pétition circule dès la fin septembre 1940 en soutien des revendications thaïlandaises. Rien n’y fait pourtant, et Vichy, qui y voit un abandon de plus de la souveraineté française, reste intraitable. Ainsi, entre octobre et décembre 1940, d’escarmouches en vrais combats, de dénis des réalités en étalage de vanités réciproques, la guerre franco-thaïe s’engage sans qu’à défaut de déclaration préalable nul ne puisse fixer la date de son commencement. Étayée d’armements dernier cri en provenance des États-Unis, d’Italie et du Japon, la supériorité thaïe est d’autant plus incontestable que les forces françaises d’Indochine ne disposent quant à elles pour se défendre que d’un équipement vieillissant, de troupes peu nombreuses et hétérogènes éparpillées sur tout son immense territoire. En janvier 1941, après de lourds accrochages et d’intenses bombardements, l’offensive terrestre des Thaïlandais est un succès. Mais la contre-offensive navale des Français sera un triomphe. Pour l’occasion, un « groupement occasionnel » de nos vaisseaux de guerre encore disponibles a été constitué. Placé sous l’autorité du commandant Bérenger, il est composé de cinq navires, qui, si l’on en excepte le puissant croiseur Lamotte-Picquet,sont des avisos proches de la réforme. Coup de chance ou finesse d’appréciation des officiers de l’amiral Decoux – certainement un peu des deux –, la petite flotte surprend l’escadre thaïlandaise – cinq unités aussi – en baie de Koh Chang alors qu’elle s’apprête à appareiller pour attaquer la côte indochinoise. En une heure d’un feu nourri de part et d’autre, tous les bâtiments thaïs sont coulés ou inutilisables. Comme, dès le début du combat, le poste de transmission thaï établi sur un contrefort de l’île a été détruit par un obus perdu – la chance, assurément, avait choisi son camp ! –, l’aviation thaïlandaise n’interviendra que quand la flotte française aura regagné la haute mer et sa riposte se soldera par un échec. Au bilan, la flotte thaïe est anéantie et compte au bas mot trois cents tués. Du côté des Français, pas une égratignure, pas une coque rayée, et un retour à Saïgon sous les ovations populaires. Avec, en prime, l’admiration experte des attachés militaires nippons. Ce qui laisse à penser que, de concert avec la subtile diplomatie de l’Amiral Decoux, l’Indochine devra à Koh Chang quelques cinq années de paix avant le coup de force de mars 1945 qui lui sera fatal. Cet affrontement fut la seule victoire navale flotte contre flotte à mettre au crédit de notre pavillon au cours des deux guerres mondiales réunies. Il faudrait cependant chercher longtemps pour dénicher dans quelque recoin du territoire une plaque indiquant une venelle ou un square excentré qui veuille bien porter le nom de Koh Chang, ou le patronyme d’un commandant Bérenger s’étalant sur le flanc d’un de nos vaisseaux de guerre. Cette victoire qu’on nous cache si bien et que les profs de nos écoles sont tenus de ne pas rappelée souffre d’une tare originelle : en 1941, l’Indochine attaquée était sous le gouvernorat de l’amiral Decoux qui relevait lui-même de l’autorité du maréchal Pétain, chef d’État que les chambres issues du Front populaire avaient pourtant légalement investi par un vote démocratique. La gloire d’une victoire – ainsi que l’honneur des marins et des officiers qui y ont contribué –, fût-elle exceptionnelle tant par son symbole que par sa rareté, ne vaut ainsi pas bien cher aux yeux des nouveaux censeurs qui, pour s’approprier le devoir de mémoire, réécrivent ou occultent l’histoire. L’Amiral Decoux. Alors que l’Amiral Jean Decoux était la cible d’un procès « d’épuration » – qui se conclurait par un non-lieu –, le Roi du Cambodge, Norodom Sihanouk, lui écrivit le 20 juin 1946 : « … je dirai avec quelle abnégation vous avez, en Indochine, servi les intérêts supérieurs de la France et avec quelle noblesse de cœur vous avez assuré, pendant quatre ans, la protection des peuples indochinois contre l’ennemi. Je suis certain que justice vous sera rendue et que la France vous considérera comme un des meilleurs parmi ses fils ». Ainsi va l’Histoire. Selon ses aléas, le héros devient bien vite le « traître » aux yeux d’une opinion désinformée par des intérêts qui la dépassent ou, à tout le moins, est-il « effacé » d’une mémoire qui dérange. L’Amiral Decoux, malheureusement, n’a pas échappé à cette règle. Il tint pourtant le « navire Indochine » hors de l’eau au milieu de la tempête de la Seconde Guerre mondiale, où il dut faire face à l’enchaînement des événements et aux défis qui s’amoncelèrent, avec pour unique objectif l’accomplissement de sa mission : maintenir l’Indochine dans le giron français. Mais la portée de son action va bien au-delà. L’énergie de Jean Decoux était aussi tendue pour construire les fondations profondes d’un avenir commun librement décidé entre la France, les royaumes du Laos et du Cambodge, et le « Vietnam ». L’Amiral Decoux fut ainsi le premier haut responsable français à employer le mot Vietnam pour ce qu’on nommait encore le Tonkin, l’Annam et la Cochinchine. Le coup de force nippon du 9 mars 1945 et ses funestes conséquences fracasseront l’espoir de l’Amiral d’une indépendance pacifique de ces pays en association avec la France. Il n’en reste pas moins que Jean Decoux a alors clairement posé les bases de ce que pourraient encore être demain ces rapports fraternels et privilégiés avec des peuples qui nous sont si proches à tant d’égards. Si nous voulions bien un jour assumer aussi les bienfaits de notre histoire coloniale. Un devoir de mémoire à restaurer. Le souvenir de la victoire de Koh Chang et le rappel du destin brisé du grand homme d’État que fut l’Amiral Decoux ont ainsi toute leur place dans notre panthéon national. Ils sont partie intégrante des valeurs de la République. C’est aussi cela le respect de notre mémoire et de l’identité française. Éric Miné dédicacera ses ouvrages dont Koh Chang la victoire perdue à la Librairie Notre-Dame de France, 21 rue Monge, Paris 5e, de 15h à 18h ce samedi 22 juin.
Le devoir de mémoire n’est pas à sens unique. Entre contrition et repentance, la France n’en finit pas de revoir son histoire. Au point que, toute honte bue, on en célèbre nos défaites – comme le triste anniversaire des accords d’Évian, le 19 mars 1962, que l’on commémore dorénavant – et que l’on en occulte nos victoires, nos conquêtes, et le passé glorieux de ce qui fut notre empire, quand nous étions encore fiers de la civilisation que nous apportions au monde. Par l’oublieux mépris dont ils sont l’objet, les derniers feux de l’Indochine française sont en cela amèrement exemplaires. Le fond des manuels scolaires où ils sont aujourd’hui relégués, déformés, maltraités – quand seulement ils y figurent ! – illustre cette inversion des valeurs, cette perte des repères les plus essentiels et pourtant si vitaux à ce qui fait l’essence même, la vigueur d’un peuple : la grande et belle aventure de son histoire commune. Dans notre mémoire collective, la vile amnésie qui frappe la victoire française de Koh Chang et son artisan, le grand serviteur de l’État que fut l’Amiral Decoux, ressort de ce funeste illogisme. Il n’est que temps de réparer cette injustice et de leur redonner tout leur lustre. La bataille de Koh Chang dans le conflit franco-thaï. En septembre 1940, par voie de presse, discours radiodiffusés et force meetings, le gouvernement thaï se lance dans des diatribes de plus en plus virulentes contre la France. Objet de son courroux : la non-ratification par celle-ci d’un traité accordant à la Thaïlande une petite révision en sa faveur de ses frontières avec le Laos, accord pourtant dûment accepté quelques mois auparavant par la IIIeRépublique finissante. Le soudain raidissement français, explicable au vu des événements en métropole, est incompris en Thaïlande où le gouvernement ultra-nationaliste du maréchal Luang Pibul Songkran nourrit de grandes ambitions territoriales. Au sein même de la communauté de nos compatriotes installés à Bangkok, une pétition circule dès la fin septembre 1940 en soutien des revendications thaïlandaises. Rien n’y fait pourtant, et Vichy, qui y voit un abandon de plus de la souveraineté française, reste intraitable. Ainsi, entre octobre et décembre 1940, d’escarmouches en vrais combats, de dénis des réalités en étalage de vanités réciproques, la guerre franco-thaïe s’engage sans qu’à défaut de déclaration préalable nul ne puisse fixer la date de son commencement. Étayée d’armements dernier cri en provenance des États-Unis, d’Italie et du Japon, la supériorité thaïe est d’autant plus incontestable que les forces françaises d’Indochine ne disposent quant à elles pour se défendre que d’un équipement vieillissant, de troupes peu nombreuses et hétérogènes éparpillées sur tout son immense territoire. En janvier 1941, après de lourds accrochages et d’intenses bombardements, l’offensive terrestre des Thaïlandais est un succès. Mais la contre-offensive navale des Français sera un triomphe. Pour l’occasion, un « groupement occasionnel » de nos vaisseaux de guerre encore disponibles a été constitué. Placé sous l’autorité du commandant Bérenger, il est composé de cinq navires, qui, si l’on en excepte le puissant croiseur Lamotte-Picquet,sont des avisos proches de la réforme. Coup de chance ou finesse d’appréciation des officiers de l’amiral Decoux – certainement un peu des deux –, la petite flotte surprend l’escadre thaïlandaise – cinq unités aussi – en baie de Koh Chang alors qu’elle s’apprête à appareiller pour attaquer la côte indochinoise. En une heure d’un feu nourri de part et d’autre, tous les bâtiments thaïs sont coulés ou inutilisables. Comme, dès le début du combat, le poste de transmission thaï établi sur un contrefort de l’île a été détruit par un obus perdu – la chance, assurément, avait choisi son camp ! –, l’aviation thaïlandaise n’interviendra que quand la flotte française aura regagné la haute mer et sa riposte se soldera par un échec. Au bilan, la flotte thaïe est anéantie et compte au bas mot trois cents tués. Du côté des Français, pas une égratignure, pas une coque rayée, et un retour à Saïgon sous les ovations populaires. Avec, en prime, l’admiration experte des attachés militaires nippons. Ce qui laisse à penser que, de concert avec la subtile diplomatie de l’Amiral Decoux, l’Indochine devra à Koh Chang quelques cinq années de paix avant le coup de force de mars 1945 qui lui sera fatal. Cet affrontement fut la seule victoire navale flotte contre flotte à mettre au crédit de notre pavillon au cours des deux guerres mondiales réunies. Il faudrait cependant chercher longtemps pour dénicher dans quelque recoin du territoire une plaque indiquant une venelle ou un square excentré qui veuille bien porter le nom de Koh Chang, ou le patronyme d’un commandant Bérenger s’étalant sur le flanc d’un de nos vaisseaux de guerre. Cette victoire qu’on nous cache si bien et que les profs de nos écoles sont tenus de ne pas rappelée souffre d’une tare originelle : en 1941, l’Indochine attaquée était sous le gouvernorat de l’amiral Decoux qui relevait lui-même de l’autorité du maréchal Pétain, chef d’État que les chambres issues du Front populaire avaient pourtant légalement investi par un vote démocratique. La gloire d’une victoire – ainsi que l’honneur des marins et des officiers qui y ont contribué –, fût-elle exceptionnelle tant par son symbole que par sa rareté, ne vaut ainsi pas bien cher aux yeux des nouveaux censeurs qui, pour s’approprier le devoir de mémoire, réécrivent ou occultent l’histoire. L’Amiral Decoux. Alors que l’Amiral Jean Decoux était la cible d’un procès « d’épuration » – qui se conclurait par un non-lieu –, le Roi du Cambodge, Norodom Sihanouk, lui écrivit le 20 juin 1946 : « … je dirai avec quelle abnégation vous avez, en Indochine, servi les intérêts supérieurs de la France et avec quelle noblesse de cœur vous avez assuré, pendant quatre ans, la protection des peuples indochinois contre l’ennemi. Je suis certain que justice vous sera rendue et que la France vous considérera comme un des meilleurs parmi ses fils ». Ainsi va l’Histoire. Selon ses aléas, le héros devient bien vite le « traître » aux yeux d’une opinion désinformée par des intérêts qui la dépassent ou, à tout le moins, est-il « effacé » d’une mémoire qui dérange. L’Amiral Decoux, malheureusement, n’a pas échappé à cette règle. Il tint pourtant le « navire Indochine » hors de l’eau au milieu de la tempête de la Seconde Guerre mondiale, où il dut faire face à l’enchaînement des événements et aux défis qui s’amoncelèrent, avec pour unique objectif l’accomplissement de sa mission : maintenir l’Indochine dans le giron français. Mais la portée de son action va bien au-delà. L’énergie de Jean Decoux était aussi tendue pour construire les fondations profondes d’un avenir commun librement décidé entre la France, les royaumes du Laos et du Cambodge, et le « Vietnam ». L’Amiral Decoux fut ainsi le premier haut responsable français à employer le mot Vietnam pour ce qu’on nommait encore le Tonkin, l’Annam et la Cochinchine. Le coup de force nippon du 9 mars 1945 et ses funestes conséquences fracasseront l’espoir de l’Amiral d’une indépendance pacifique de ces pays en association avec la France. Il n’en reste pas moins que Jean Decoux a alors clairement posé les bases de ce que pourraient encore être demain ces rapports fraternels et privilégiés avec des peuples qui nous sont si proches à tant d’égards. Si nous voulions bien un jour assumer aussi les bienfaits de notre histoire coloniale. Un devoir de mémoire à restaurer. Le souvenir de la victoire de Koh Chang et le rappel du destin brisé du grand homme d’État que fut l’Amiral Decoux ont ainsi toute leur place dans notre panthéon national. Ils sont partie intégrante des valeurs de la République. C’est aussi cela le respect de notre mémoire et de l’identité française. Éric Miné dédicacera ses ouvrages dont Koh Chang la victoire perdue à la Librairie Notre-Dame de France, 21 rue Monge, Paris 5e, de 15h à 18h ce samedi 22 juin.