« Le 14
octobre 1983, Volker Braun visite à Svendborg la maison où Brecht habitait
pendant son exil au Danemark …. » :
Alain Lance propose ici un jeu d’échos entre Bertolt Brecht et le poète
contemporain Volker Braun, dont il est le traducteur en français.
Fragen eines lesenden Arbeiters
Wer baute das siebentorige Theben?
In den Büchern stehen die Namen von Königen.
Haben die Könige die Felsbrocken herbeigeschleppt?
Und das mehrmals zerstörte Babylon -
Wer baute es so viele Male auf? In welchen Häusern
Des goldstrahlenden Lima wohnten die Bauleute?
Wohin gingen an dem Abend, wo die Chinesische Mauer fertig war Die Maurer?
Das große Rom
Ist voll von Triumphbögen. Wer errichtete sie? Über wen Triumphierten die
Cäsaren? Hatte das vielbesungene Byzanz
Nur Paläste für seine Bewohner? Selbst in dem sagenhaften Atlantis Brüllten in
der Nacht, wo das Meer es verschlang
Die Ersaufenden nach ihren Sklaven.
Der junge Alexander eroberte Indien.
Er allein?
Cäsar schlug die Gallier.
Hatte er nicht wenigstens einen Koch bei sich?
Philipp von Spanien weinte, als seine Flotte Untergegangen war. Weinte sonst
niemand?
Friedrich der Zweite siegte im Siebenjährigen Krieg. Wer Siegte außer ihm?
Jede Seite ein Sieg.
Wer kochte den Siegesschmaus?
Alle zehn Jahre ein großer Mann.
Wer bezahlte die Spesen?
So viele Berichte.
So viele Fragen.
(1935)
Bertolt Brecht
Questions que pose un ouvrier qui lit
Qui a construit Thèbes aux sept portes ?
Dans les livres, on donne les noms des Rois.
Les Rois ont-ils traîné les blocs de pierre ?
Babylone, plusieurs fois détruite,
Qui tant de fois l’a reconstruite ? Dans quelles maisons
De Lima la dorée logèrent les ouvriers du bâtiment ?
Quand la Muraille de Chine fut terminée,
Où allèrent, ce soir-là les maçons ? Rome la grande
Est pleine d’arcs de triomphe. Qui les érigea ? De qui
Les Césars ont-ils triomphé ? Byzance la tant chantée.
N’avait-elle que des palais
Pour les habitants ? Même en la légendaire Atlantide
Hurlant dans cette nuit où la mer l’engloutit,
Ceux qui se noyaient voulaient leurs esclaves.
Le jeune Alexandre conquit les Indes.
Tout seul ?
César vainquit les Gaulois.
N’avait-il pas à ses côtés au moins un cuisinier ?
Quand sa flotte fut coulée, Philippe d’Espagne
Pleura. Personne d’autre ne pleurait ?
Frédéric II gagna la Guerre de sept ans.
Qui, à part lui, était gagnant ?
À chaque page une victoire.
Qui cuisinait les festins ?
Tous les dix ans un grand homme.
Les frais, qui les payait ?
Autant de récits,
Autant de questions.
Bertolt Brecht, traduction de Maurice Regnaut
Le 14 octobre 1983, Volker Braun visite à Svendborg la maison où Brecht
habitait pendant son exil au Danemark, après la prise du pouvoir par Hitler. Il
écrit le texte ci-dessous, allusion au célèbre poème de Brecht. Le poème de
Volker Braun figure dans une très intéressante anthologie intitulée « Ô Chicago ! O
Widerspruch ! » - Hundert
Gedichte auf Brecht (1), parue en 2006 aux éditions Transit, choix et
présentation de Karen Leeder et Erdmut Wizisla. Le livre rassemble cent poèmes
dédiés à ou inspirés par Brecht, écrits par des dizaines d’écrivains allemands
contemporains. Ce texte figure également dans le journal de travail de Volker
Braun (Werktage 1977-1989, Arbeitsbuch)
paru aux éditions Suhrkamp en 2009.
Qui habitait sous le toit de chaume danois ?
Sur la plaque de bronze on lit le nom du poète.
Qui à part lui logea dans ce refuge ? Était-il seul
Quand il fuyait les fascistes ? Sa femme
Portait les valises et les enfants.
Et n’y avait-il pas là ces amies
Aimantes, et n’avait-il pas aussi une cuisinière
Mari Hold, d’Augsbourg ?
WER WOHNTE unter dem dänischen
Strohdach?
Auf der Bronzetafel steht der Name des Dichters.
Wem außer ihm
Bot sich der Unterschlupf? War er allein
Auf der Flucht vor den Faschisten? Seine Frau
Trug die Koffer und Kinder.
Und waren da nicht diese lieb-
Reichen Freundinnen, und
Hatte er nicht auch eine Köchin dabei
Mari Hold aus Augsburg?
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Volker Braun entretient ce
dialogue dialectique empreint d’admiration mais aussi d’ironie avec le poète et
dramaturge d’Augsburg. Dans son premier recueil de poèmes paru en 1965, Provokation für mich, on trouvait
ceci :
Questions d’un ouvrier pendant la
révolution
Tant de récits.
Si peu de questions.
Les journaux annoncent notre pouvoir.
Combien d’entre nous
Pour n’avoir jamais eu la parole
Cachent encore leur bouche
Comme une partie honteuse ?
Les radios transmettent au monde notre politique.
Comment, devant les machines en
marche
Choisir entre deux leviers…
Ou deux ministres ?
Les places portent nos noms.
Chacun est-il est sa place
Pour se servir des nouvelles dispositions ?
Beaucoup se tiennent seulement à la disposition
De l’usine. Sur les trônes sont assis
Des gens à nous : demandez-vous notre avis
Assez souvent ? Pourquoi
Ne parlons-nous pas toujours ?
(traduit par Alain Lance dans Volker Braun, Provocations
pour moi et d’autres, Pierre-Jean Oswald, 1970)
Fragen eines lesenden Arbeiters während
der Revolution
So viele Berichte.
So wenig Fragen.
Die Zeitungen melden unsere Macht.
Wie viele von uns
Nur weil sie nichts zu melden hatten
Halten noch immer den Mund versteckt
Wie ein Schamteil?
Die Sender funken der Welt unsern Kurs.
Wie, an den laufenden Maschinen, bleibt
Uns eine Wahl zwischen zwei Hebeln
Oder Ministern?
Auf den Plätzen sehn unsere Namen.
Steht jeder auf dem Platz
Die neuen Beschlüsse
Zu verfügen? Viele verfügen sich nur
In die Fabriken. Auf den Thronen sitzen
Unsre Leute : fragt ihr uns
Oft genug? Warum
Reden wir nicht immer?
1. Ô Chicago ! Ô
contradiction ! C’est d’ailleurs le titre d’un poème de Volker Braun,
écrit en mai 1990, qu’on peut lire dans le choix de poèmes Le Massacre des illusions, paru
il y a deux ans aux éditions L’Oreille du Loup.