Jérôme Kerviel, cette incarnation parfaite du capitalisme

Publié le 21 juin 2013 par Lecridupeuple @cridupeuple

La politique a besoin de s’incarner. A un moment donné, les concepts prennent la forme de visages, avec des noms et des adresses. On s’identifie mieux à des hommes qu’à des idées, c’est aussi simple que cela. Le fascisme s’incarne aujourd’hui dans l’héritière de Montretout ; l’autre droite a le visage de Nicolas Sarkozy ; le Front de gauche a les visages de Mélenchon, Laurent, Autain, Obono, Piquet, Martin… Seul le PS n’a pas de visage mais c’est normal, il n’a pas de politique spécifique. Bref, le capitalisme, lui, s’incarne dans Jérôme Kerviel. L’ex trader de la Société générale sera au conseil des Prud’hommes le 4 juillet. Il a aussi porté plainte, en début de semaine, pour faire rouvrir son dossier.

Oui, Jérôme Kerviel est l’incarnation du capitalisme moderne. Son job, du temps où il était grassement rémunéré par l’un des fleurons de la banque privée à la française était de faire de l’argent avec de l’argent. Cela a un nom : la financiarisation. Le bonhomme avait comme outils de travail un terminal d’ordinateur et un téléphone, peut être deux. Toute la sainte journée, il achetait, vendait, spéculait, réalisant des profits colossaux. Et, parfois, engloutissant des sommes toutes aussi incongrues. Il aurait, si l’on en croit la justice de classe de ce pays, englouti 4,9 milliards d’euros du précieux argent de la SocGen.

A la fin, je suis sûr que ce garçon ne se préoccupait même plus des profits ni des pertes. Seuls comptaient les chiffres défilant devant l’écran. Comme, pour le joueur de casino, ne compte à la fin que l’adrénaline quand la bille noire roule, folle, dans le tourniquet de la roulette. Comment se rendre compte de la réalité lorsque le numéraire, ce bel argent, n’a aucune matérialité ? Quand on voit ses billets disparaître, on mesure la détresse qui s’installe. Imaginez donc : 5 milliards d’euros en billets de banque ! Vous visualisez ? Moi non plus. Kerviel ne pouvait pas voir, les euros n’étaient que des interpolations défilant sur un écran. Et encore… Il est donc totalement le capitalisme moderne. Ce capitalisme de casino.

Il faut revenir sur ce qu’est, au fond et tout simplement, le but du capitalisme : amasser de la richesse. Point final. J’ai en tête des discussions extrêmement serrées avec des responsables patronaux à l’époque où j’étais responsable de la rubrique Economie et social de La Marseillaise. Raymond Vidil, alors président de l’Union patronale des Bouches-du-Rhône, m’expliquait doctement : « Le but de l’économie (capitaliste – NDLR) est de créer de la richesse, pas de l’emploi ». Aujourd’hui, le capitalisme fait le pari qu’il accumule plus de richesses sans produire et c’est là que Jérôme Kerviel intervient.

Depuis, les années 1970, dans la production, la baisse tendancielle du taux de profit a cédé la place à une baisse réelle du taux de profit. C’est le cœur de la crise systémique du capitalisme. C’est ce qu’explique Bernard Teper, co-animateur du réseau Education populaire : « Depuis les années 70, le taux de profit des entreprises lié à la production baisse. Elles cherchent donc à le revitaliser au travers de la spéculation et de la financiarisation. Le résultat est toujours la création de bulles spéculatives. » Cette coupure entre création de la richesse et production a été illustrée encore dernièrement autour de l’affaire PSA. Le 24 avril, le directeur financier de PSA annonce une fermeture anticipée du site d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) et le cours de l’action PSA enregistre une « envolée » de 8 % à midi.

C’est aussi en intégrant cette donnée mise en lumière par l’ami Teper que l’on peut comprendre ce qu’il se passe chez Michelin. Le constructeur de pneus réalise 2 milliards d’euros de bénéfices en 2012 et décide la suppression de 700 postes de travail dans son usine de Joué-lès-Tours. C’est d’ailleurs à Michelin que l’on doit les premiers licenciements boursiers, ceux qui n’ont comme objectif que de faire fructifier l’action en bourse.

C’est bien avec ces actions-là que le capitalisme joue aujourd’hui, comme un joueur pathologique devant sa machine à sous. C’est cela que faisait Jérôme Kerviel tout au long de ses journées : acheter des actions, les stocker pour qu’elles prennent de la valeur, les vendre… Il devait se réjouir à chaque annonce de plan social, de fermeture d’entreprise, de destructions d’emploi. Autant d’argent désormais libéré pour alimenter la danse macabre de la spéculation boursière.

Dans le rôle de Saturne, le capitalisme ; dans le rôle de l’enfant, Kerviel.

A ce titre, je ne sais pas si Jérôme Kerviel est innocent, comme l’écrit Jean-Luc Mélenchon. La seule chose dont je suis sûr en revanche, c’est que si Kerviel est coupable, alors c’est tout le capitalisme qui est coupable. J’attends avec impatience qu’un Stéphane Courtois honnête et rigoureux écrive le Livre noir du capitalisme et que nous instruisions son procès. En attendant, Kerviel a toutes les apparences du lampiste livré en pâture à la foule en colère.

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Bonus vidéo : Calavera « Chanson noire du capitalisme »