Parmi les provocations d’Hannah Arendt, il y a ce qui m'apparaît comme un rejet de la
science. Mais, peut-on s’opposer à un mouvement aussi puissant ? Ne répond-il
pas à une sorte de besoin irrépressible de l’homme ? me suis-je demandé. (L’affaire n’est pas
aussi claire : elle traite Heidegger, qui voulait revenir à une sorte de
Moyen-âge, de « dernier des
romantiques ».)
Son argument : l'homme est conditionné par son environnement. Ce qui fait l'homme est une communauté. La vérité est définie par ce que ce
groupe est d’accord pour dire qu’elle est vraie. A partir du moment où l’homme,
à cause de la la lunette de Galilée, a découvert ce qu'il ne pouvait pas voir, et a commencé à douter de ses sens, c’était fini. La
vérité n’était plus celle du groupe. Elle lui était extérieure. L’homme n’était
plus homme.
Mais voilà que je me suis mis à discuter avec un ethnologue.
Il a vécu chez les Pygmées. Et je comprends que les Pygmées partagent le point
de vue d’Hannah Arendt. En effet, on a des preuves qu’ils ont renoncé à une
forme de progrès (la métallurgie). Mieux, ils ont mis en pratique une idée qui
semble capitale chez Hannah Arendt : le monde comme un ensemble de
communautés. La forêt serait un écosystème de communautés, humaines ou
animales. Chaque communauté connaît les lois du comportement des autres et agit
en fonction. Pour le reste, rien de ce qui nous tourmente (par exemple la peur
de la mort) ne trouble le Pygmée. Son bien suprême est la joie de vivre. Ou était.
Car il a été liquidé par le progrès, qui a abattu sa forêt.