Déchets : l'alternative du marché

Publié le 20 juin 2013 par Unmondelibre
Version imprimable

Selon une critique fréquente des marchés les propriétaires privés ont tout intérêt à se débarrasser des déchets issus de leurs processus de production dans l’air, l’eau ou le sous-sol, sans se soucier des effets nocifs. Des critiques plus sophistiquées agitent l’idée d’externalités négatives et s’empressent de montrer la nécessité d’une intervention publique. Il existe un certain nombre de réponses à ces sortes d’arguments, comme Art Carden et moi-même l’avons souligné dans un récent article. On peut noter que les droits de propriété mieux définis et respectés, en particulier par la privatisation des biens en commun, feraient de la pollution un délit et la réduirait considérablement. On peut également observer que l’imperfection des marchés n’est pas ipso facto un argument pour l’intervention publique, cette dernière étant sujette à des imperfections tout aussi sérieuses.

Il y a une autre contre-argument qui, je pense, n’est pas assez souvent mis en avant. La critique traite sans ambiguïté des sous-produits de la production industrielle comme des « maux » qui n’ont pas la possibilité d’être utilisés pour répondre à d’autres types de besoins. Autrement dit, elle traite les sous-produits comme étant complètement sans valeur économique. C’est une hypothèse qu’il vaut la peine de tenter de remettre en cause. Après tout, les sous-produits de la production sont des objets physiques avec une valeur potentielle. Un des aspects importants du processus de marché, c’est qu’il offre des incitations et signale aux producteurs de ne pas perdre quoi que ce soit en valeur potentielle. Pourquoi jeter quelque chose si vous, ou quelqu’un d’autre, pouvez en imaginer un usage valorisant ?

Comme les travaux de Pierre Desrochers l’ont montré, de nombreux produits que nous considérons aujourd’hui comme utiles ont eu pour origine des moyens ingénieux pour transformer les déchets (et les externalités négatives) en biens ayant une valeur. Ce processus de « recyclage industriel » est reconnu depuis des siècles, comme cela est bien documenté par Desrochers :

« Dans son ouvrage classique sur l’économie des machines et des manufactures, le penseur Charles Babbage (1835, 217) écrit que la production bon marché de n’importe quel article a été possible en partie du fait du soin apporté à éviter le gaspillage de matières premières : ‘l’attention portée à cette circonstance provoque parfois l’union de deux métiers dans une usine, qui, autrement, auraient été séparés’.

Babbage décrit comment les cornes de bétail étaient utilisées par de nombreuses autres industries au début du XIXème siècle. Certaines étaient transformés en peignes et en un substitut pour le verre de lanterne, d’autres étaient sculptées en manches de couteau et toupies. La transformation fournissait de la graisse pour les savonniers, de la colle à durcir les vêtements et de l’engrais pour les agriculteurs - même des jouets pour enfants. Comme Frédéric Talbot (1920, 11) pouvait l’écrire au début du XXème siècle, les déchets étaient ‘une matière première simplement au mauvais endroit’.

Ce processus se poursuit aujourd’hui.

Mon journal local a récemment publié une histoire sur la façon dont l’engouement pour le yaourt à la grecque est devenu une source d’énergie électrique. La production de yaourt, en particulier dans sa version grecque, génère un sous-produit, le lactosérum, ou « petit-lait ». Il est souvent expédié dans les fermes pour l’alimentation animale et comme engrais, mais comme l’histoire de l’Associated Press le montre, il s’agit d’une nouvelle utilisation :

« À la station d’épuration de Gloversville Johnstown à l’ouest d’Albany, il est acheminé par pipeline à partir de l’usine de yaourt à proximité de Fage, d’où il part dans un réservoir de 1,5 million de gallons rempli de bactéries anaérobies, appelé digesteur anaérobie. Le méthane qui en résulte devient un combustible qui génère presque suffisamment d’électricité pour alimenter l’usine ».

Et les producteurs laitiers locaux l’ont bien compris :

« Le producteur laitier de Finger Lakes, Neil Rejman, qui a 3300 vaches, accepte régulièrement le lactosérum de Chobani. Bien que le lactosérum ne représente habituellement que moins de 5 pour cent de ce qui passe dans son digesteur, cela aide Rejman à conserver son digesteur à sa capacité maximale de 1000 kilowatts heure.

 ‘Tout le monde parle de lactosérum et de yogourt comme si c’était un nouveau problème ou un phénomène. C’est une vieille histoire’, nous dit Rejman. ‘Ce n’est vraiment pas un problème pour l’industrie. C’est peut-être un coût modeste pour les fabricants de yogourt. Mais les processeurs le récupèrent dans les fermes, de sorte que c’est une bonne chose. Pour les agriculteurs, c’est une bonne chose car ils l’utilisent pour l’alimentation, l’électricité et l’engrais. Et les consommateurs reçoivent de l’énergie renouvelable’ ».

C’est ce que font les marchés : ils créent des incitations à ne pas déverser tranquillement des déchets dans la nature, parce que ce qui paraît à première vue être des déchets inutiles peut très bien avoir un usage que l’on ne connaissait pas auparavant. La valeur économique est subjective en cela que les biens prennent une valeur quand les gens s’aperçoivent que ces biens sont en mesure de satisfaire un besoin. Ceux qui ne perçoivent pas ces possibilités traiteront les sous-produits comme des « maux » devant être éliminés, tandis que les autres voudront sauver ces déchets du gaspillage. De nombreux avantages de la concurrence et de l’esprit d’entreprise sur le marché résident dans la vigilance des entrepreneurs à des opportunités rentables de création de valeur, de « sauvetage des déchets » et de recyclage, c’est à dire, dans l’imagination des utilisations des sous-produits que d’autres négligent.

Mieux définir et faire respecter les droits de propriété est un excellent moyen d’internaliser les coûts associés à l’élimination des déchets. Mais il est au moins aussi important de reconnaître comment les marchés libres créent les incitations et les signaux que les entrepreneurs peuvent utiliser pour transformer les déchets en satisfaction de besoins. On dit que la poubelle d’un homme est le trésor d’un autre homme. Sur le marché, l’externalité négative d’un homme peut être le précieux input d’un autre homme.

Steven Horwitz est professeur d’économie à la St Lawrence University aux USA. Le 20 juin 2013.
Une version de cet article a été publiée originellement en anglais par la Future of Freedom Foundation.