Comme prévu, j'ai choisi de vous faire partager l'expérience de khâgneux cinéastes, afin que vous sachiez à quel point une option artistique peut se révéler intéressante, à bien des égards. Pour cela j'ai posé quelques questions à Mégane, Adrien et Ariane. Mégane est une jeune khârrée intrépide, dont le cinéma et tout particulièrement le cinéma soviétique des année 20 est la grande passion. Adrien, cinéphile passionné, khûbe vaillamment à mes côtés en menant de front la double spécialité cinéma et lettres modernes. Ariane est une ancienne khâgneuse qui a choisi de changer la trajectoire de son brillant parcours en partant à la fac de cinéma après sa khâgne pour sa troisième année de licence.
Mégane
1) Pourquoi n'avoir choisi que la spécialité cinéma ?
Choisir la spécialité cinéma fut pour moi en quelque sorte une évidence. J’ai en effet suivi l’option Cinéma Audiovisuel durant mon lycée et j’ai donc tout naturellement voulu poursuivre cet enseignement en hypokhâgne puis en khâgne. J'ai ainsi décidé d’étudier le cinéma en prépa avant tout par passion, mais aussi peut-être, il faut bien l’avouer, par « facilité ». En choisissant le cinéma comme seule spécialité en khâgne je savais que j’aurais du temps à consacrer au cinéma, qui constitue ma « matière forte », et ainsi permettrait de faire remonter sensiblement ma moyenne générale... Et puis il faut bien dire qu'étudier un art dynamique et fédérateur tel que le cinéma, dans le monde lugubre et bipolaire de la khâgne, constitue une réelle bouffée d’air frais !
2) Comment trouves-tu les programmes ?
Le fait d’avoir à traiter un thème mineur et majeur durant l’année peut constituer une dose de stress supplémentaire pour le khâgneux : quel thème sera retenu pour le concours ? C'est d’autant plus le cas lorsque le professeur choisit de privilégier un thème au détriment de l’autre (fait fréquent en raison du sixième sens relativement développé chez les professeurs de cinéma). Cependant, il est toujours intéressant d’établir des liens entre deux thèmes a priori différents (par exemple cette année le corps cinématographié et le cinéma soviétique des années 20, ou l'année dernière le corps cinématographié et Tex Avery). Le fait d’avoir deux thèmes à traiter peut également éviter une certaine monotonie durant l’année. Sauf, hélas, peut-être dans les cas que je qualifierais d’extrême. Exemple : le cinéma soviétique des années 20 et le documentaire. Voici une bonne raison, sûre et honnête, de ne pas khûber.
3) Comment se présente la spécialité cinéma ?
En raison de la rareté et de l’originalité de l’option, le cinéma en khâgne peut être jugé comme un enseignement frivole qui ne bénéficierait pas de la rigueur et de la noblesse d’esprit propre à tout bon khâgneux et dont les lettres classiques revendiquent le monopole... Or, bien évidemment, tout cela est dérisoire. Le cinéma exige, de la même façon que le français, une bonne maîtrise de la dissertation, une culture générale notoire, un vocabulaire précis et adapté dans le traitement des exemples ainsi qu’une réelle perspicacité dans les analyses. Quant aux horaires, j’ai pu constater un réel changement de l’hypokhâgne à la khâgne. En hypokhâgne, les horaires étaient souvent mal adaptés aux emplois du temps des élèves ou alors l’option surchargeait les journées (le mercredi de 17h à 19h par exemple). En revanche, en Khâgne, je peux affirmer (et cela en toute liberté, sans contrepartie monnayée par quelques responsables du lycée) que les horaires de l’option me conviennent tout à fait ! Il faut dire que le cinéma, étant ma seule spécialité, cela allégeait considérablement mon emploi du temps...
Adrien
4) Qu’est-ce que cet enseignement spécifique t’apporte ?
Les dissertations de cinéma entraînent particulièrement bien à la méthode de la dissertation en général. Pour ma part, j'ai enfin compris comment faire une dissertation de français en faisant des dissertations de cinéma, notamment grâce aux corrections et explications de notre professeur. Je pense qu'étudier à la fois le cinéma et les lettres modernes est un choix intéressant car on rencontre dans les deux cas le même type de problèmes, par exemple esthétique. Ces deux matières se rejoignent donc volontiers. En effet, l'an dernier Tex Avery (au programme de cinéma) et Rabelais (au programme de lettres modernes) recourraient tous les deux à l'humour, aux métalepses et à la référentialité, ce qui m'a permis d'appréhender plus facilement ces divers procédés.
5) Penses-tu avoir des lacunes par rapport aux gens qui sont à la fac de cinéma ?
Je ne pense pas pouvoir me prononcer, n'ayant pas de point de comparaison valable sur la question. Mais ce qui m'a vraiment déçu en prépa, c'est l'absence de formation pratique, alors que la fac peut éventuellement le proposer. Sinon, certes le programme obligatoire restreint les connaissances en prépa alors qu'il y a plus de liberté à la fac, mais cela n'empêche pas le khâgneux de travailler à côté. De plus, les cours en prépa sont vraiment de qualité, tandis qu'à la fac, on entend souvent que ça peut varier. Au moins l'avantage de la prépa par rapport à la fac, c'est de donner un socle solide de connaissances dans des matières variées, et dire que l'on a fait une khâgne en cinéma véhicule une aura prestigieuse, à mon avis.
6) Quelles sont les contraintes d’une telle spécialité ?
Honnêtement, au niveau de la quantité de travail, il n'y en a pas beaucoup. Il s'agit surtout de regarder directement les films et de lire parfois un peu quelques ouvrages théoriques, mais dans notre cas le prof faisait un très bon boulot de recherches et nous expliquait bien les théories. En revanche, obtenir une équivalence est assez problématique dans cette matière, voire difficile et ça m'inquiète même un peu (c'est pour cela qu'il vaut mieux avoir une autre spécialité en parallèle). De même les prépas ne préparent pas aux grandes écoles de cinéma, et les khâgneux ont rarement le temps ou la motivation de les préparer en plus des ENS. Enfin, il est vrai que les débouchés sont réduits et incertains dans ce domaine, mais finalement comme dans les lettres ou l'enseignement en général en cette époque de crise qui est la nôtre.
Ariane
7) Qu'est-ce que t'a apporté la spécialité cinéma en khâgne ?
Pour moi, la spécialité cinéma a été très bénéfique en prépa. Tout d'abord c'est assez original comme option, du coup il y a une sorte de caste de cinéastes qui se forme, un sentiment d'appartenance à un groupe (j'imagine que c'est un peu pareil dans chaque option mais comme le ciné se fait sur deux ans pour moi ça a été encore plus fort). De plus, comme c'est un peu à coté du reste, ça permet de faire une pause parmi les autres matières prépaiennes (même si ça reste relatif). C'est plus ludique, plus attractif, un peu décalé même si, bien sûr il y a toujours des rapports avec les autres matières. Malgré tout, on n'aborde le cinéma que sous un angle très théorique, amateurs de technique s'abstenir ! De toute façon, ça manque aussi dans les cursus universitaires... Si je peux faire une parenthèse professorale personnelle je dirais également que dans notre lycée les enseignants sont vraiment cools, un peu décalés, mais sous leurs airs parfois à coté de la plaque, très compétents et sympathiques, ce qui renforce encore l'esprit de groupe mentionné plus haut, et permet de se décharger un peu de la pression omniprésente. Pour conclure, l'option cinéma, c'est bien de la suivre si on aime le cinéma car ça permet de connaitre des aspects souvent ignorés, et c'est abordable même pour les apprentis cinéphiles.
8) Quelles sont les différences entre l'enseignement de cinéma en khâgne et celui de la fac ?
La fac, de toute façon, c'est très différent. On est beaucoup moins coucouné qu'en prépa, mais d'un autre coté on nous en demande beaucoup moins. Pour ce qui est du cinéma il y a plein de choses intéressantes à tirer des cours, mais il faut savoir bosser par soi-même et tirer parti au mieux des pistes données par des enseignants, beaucoup moins investis (de ce que j'ai pu en voir) dans l'avenir de leurs étudiants. En prépa on prend le temps, petit groupe oblige, de se pencher sur chaque cas, tandis qu'à la fac il faut faire l'effort d'aller questionner des professeurs pas toujours réceptifs à vos projets. Personne ne vous dira de bosser plus, mais les profs attendent plus que ce qu'ils donnent dans leurs cours. Savoir travailler seul est la clef, et personnellement ça m'a manqué pour parfaitement réussir mon année. Concernant les relations inter-étudiants, je conseille les activités parallèles, parce qu'avec les amphis et les TD qui changent tout le temps, ça n'aide pas le relationnel. L'esprit de groupe "tous dans la même galère" n'existe pas à la fac.
9) As-tu regretté ton choix ?
Je l'ai regretté quand j'ai vu les résultats que j'ai eu au concours de la rue d'Ulm. Si j'avais su plus tôt, j'aurais sans doute reconsidéré la question du khûbage, parce qu'une fois à la fac, on ne peut plus reculer. J'ai été d'abord assez déçue par les cours. Malgré la compétence des profs, le niveau d'exigence est moins élevé. Et surtout, ce qui m'a le plus manqué est la densité des cours : j'ai souvent eu l'impression que des cours de 2h auraient pu etre réduits en 1h voire moins (même si cela reste subjectif, bien entendu). De plus, pour ce qui est des examens, le coté réflexion personnelle est largement passé à la trappe, hormis dans le cas de certains TD, le partiel est souvent réduit à un recrachage intelligent de cours, amis du par-coeur bonjour ! Néanmoins, le fait de ne travailler qu'une matière permet d'approfondir la chose, avec des cours qui détaillent chaque spécialité, au risque de parfois etre répétitif d'un cours à l'autre. C'est un plus et pour quelqu'un de motivé, ça permet d'avoir accès à de nombreuses compétences parallèles. Il ne faut cependant pas négliger un des avantages de la fac qui est le temps. Contrairement à la prépa où chaque minute est comptée, la fac permet aux plus studieux de faire leurs propres recherches sur chaque piste évoquée par les profs, aux plus fêtards de profiter de la vie étudiante sans rater leur année, et aux autres d'alterner boulot et loisirs. Ce n'est pas négligeable et après deux ans de prépa, je dois avouer que c'est assez agréable ! Attention tout de même à la procrastination post-khâgnale, la tentation est grande de se désinvestir totalement, auquel cas l'échec est assuré. Je conseille l'assiduité aux cours, ça ne coûte pas grand chose (au regard des horaires de prépa) et ça permet de maintenir une moyenne plus que convenable sans trop de boulot supplémentaire pour ceux qui ne se sentent pas de faire des recherches complémentaires à longueur de journée. Et si le choc post prépa est relativement traumatisant, sachez qu'avoir du temps libre sans culpabiliser est également agréable, vous apprendrez à l'apprécier, sans oublier que la prépa est et restera une expérience intellectuellement jouissive, qui ne se retrouve pas ensuite.
10 ) Que comptes-tu faire après ce parcours riche et original, quels sont les débouchés ?
Je ne peux pas vraiment vous dire encore, à cause du manque de recul. Avec une licence seulement, le diplôme est insuffisant. Le cinéma étant une matière originale, l'expérience est toujours la bienvenue ! La fac permet de trouver des stages conventionnés afin de se faire une idée plus précise du milieu réel qu'est celui de l'audiovisuel, même si le manque de technicité reste à déplorer. Le mot d'ordre universitaire : débrouillez vous, à la fin ! A chacun de se faire sa place par stage, connaissances et autres. C'est la dure loi de l'audiovisuel. Je ne pense pas qu'il y ait de débouchés directs, il ne faut pas avoir peur de jouer des coudes dans ce milieu, tout en restant très humain bien sûr. Sachez tout de même qu'une licence et même un master n'apportera pas grand chose, les preuves restent à faire sur le terrain, et une grande part est une question de réseau (construit progressivement). En résumé, ne comptez pas sur la fac pour vous donner tous les outils, mais cela reste une formation des plus intéressantes malgré les lacunes liées à une discipline ambivalente, partagée entre théorie et pratique, concrêt et abstrait.