1954. La France de René Coty entre dans la guerre d’Algérie. Pour l’Allemagne cette année est synonyme de reconstruction, une reconstruction possible grace au football. Notre voisin d’outre-Rhin connaît une histoire d’amour particulière avec la Coupe du Monde de football. Trois victoires dans cette compétition et autant de symboles pour l’histoire: 1954, 1974 et 1990. Cette dernière victoire justement est arrivée à point nommé comme un symbole quelques mois après la réunification des deux Allemagne.
Revenons aujourd’hui sur la première d’entre-elles: 1954, ce que les Allemands ont appelé « Das wünder von Bern » (le miracle de Berne). Pour beaucoup de spécialistes cette Coupe du Monde marque un tournant dans l’histoire d’après-guerre: c’est l’élément constitutif de la reconstruction de la nation germanique.
Marquée au fer rouge après les atrocités d’Adolphe Hitler, la défaite de la seconde guerre mondiale et la situation économique difficile d’après-guerre, la jeune RFA se cherche une nouvelle identité. Le football lui donnera l’occasion de se reconstruire.
Une coupe du monde dans un climat d’après-guerre
Cette 5 ème coupe du monde se déroule pour la première fois depuis l’après-guerre sur le sol européen. C’est la Suisse, pays neutre qui a été choisie pour accueillir cet événement, auquel vont participer 16 nations.
A cette époque, le Brésil n’a pas gagné la moindre Coupe du Monde. Les géants de l’époque se nomment l’Uruguay, déjà vainqueur de deux coupes du monde en 1930 et 1950 et la Hongrie qui arrive en Suisse invaincue depuis 4 ans.
Cette équipe hongroise, la « magic Magyar » est alors composée de ce qui se fait de mieux dans le football mondial : dans les buts Grosics, au milieu et devant les Puskas, Bozcik, Hidegkuti, Csibor, ou Kocsis, le tout entraîné par un entraîneur d’exception: Gustav Sebes.
L’équipe hongroise de 1954: la meilleure du moment
Les Hongrois produisent ce que l’on appelle aujourd’hui un « football champagne », un jeu vers l’avant avec un système tactique très offensif. Ils sont les premiers à innover avec le 4-2-4 (4 Attaquants – 2 Milieux de terrain – 4 Attaquants) qui leur permet de se projeter vers l’avant très rapidement.
Cette équipe est à cette époque la meilleure du monde et se pose comme la grande favorite de la compétition. Elle a remporté l’or aux Jeux Olympiques en 1952, et a surtout corrigé l’Angleterre dans son entre de Wembley sur le score de 6-3.
Les résultats des premiers matchs de cette phase de poule donnent raison à ceux qui voient la Hongrie survoler la compétition. Avec 17 buts inscrits en deux matchs (un cinglant 9-0 infligé à la Corée du Sud et un 8-3 face à la RFA), la Hongrie ne peut pas perdre cette coupe du monde. Pourtant ce match face à la RFA ne sera pas sans conséquence pour la Hongrie. Son maître à jouer Ferenz Puskas aura droit durant cette rencontre à un traitement de faveur particulier qui lui vaudra de ne jamais pouvoir jouer la compétition par la suite au niveau qui est le sien.
Pour la première fois depuis l’après-guerre, la Mannschaft participe quant à elle à une compétition sportive. Elle est loin de figurer parmi les favoris : une grande partie des joueurs qui la composent sont amateurs, beaucoup étaient des soldats de retour de la guerre, et certains furent même en captivité. Tous se sont fédérés autour du projet de leur entraîneur Josef Herberger, ancien sympathisant nazi et « entraineur du Reich », aux méthodes quelques peu militaires.
Personne n’aurait alors misé sur l’équipe de R.F.A., équipe quelconque alignant avant cette coupe du monde des résultats moyens, certes composé de quelques bons élements comme Rahn, Walter ou Morlock, mais qui n’avaient pas le niveau des toutes meilleures équipes internationales.
Une finale surprise
L’Allemagne tombe dès le premier tour dans le groupe de la Hongrie. Après une brillante victoire face à la Turquie 4-1, l’entraineur allemand choisi de faire tourner son effectif et d’aligner une équipe bis face aux géants hongrois. Cette initiative, qui lui valut d’être conspué au sein de son propre pays, a abouti sur une large victoire des Magyars sur un score de 8 buts à 3. Une défaite qui signe la naissance d’un vrai groupe de « 11Freund » (11 amis) unis dans la victoire comme dans la défaite, comme le leur avait demandé leur mentor Joseph Herberger.
Après cette lourde défaite, les Allemands doivent passer par un match d’appuie face à la Turquie. Faciles vainqueurs 7-2, ils valident leur billet pour les quarts.
L’équipe allemande élimine par la suite un des outsiders, la Yougoslavie avec ses stars Beara Bojkov ou Milutinovic sur le score de 2-0. Elle étrille ensuite l’équipe d’Autriche 6-1 pour s’offrir une finale inespérée. Atteindre la finale est déjà en soit un exploit pour cette équipe qui vient d’on ne sait où.
Les Hongrois quant à eux éliminent tour à tour le Brésil 4-2 dans un match d’une brutalité sans précédant, avant de lutter pour éliminer le tenant du titre, l’Uruguay (4-2 a.p.). Les 37000 spectateurs présents au stade Olympique de la Pontaise à Lausanne assistent alors à ce qui fut l’un des plus beaux matchs de la décennie entre deux des meilleures équipes de l’époque. Après avoir emmené les Hongrois en prolongation grace à deux buts de Hohberg, les Uruguayens s’inclinent dans les prolongations sur un doublé de Kocsis.
La finale de cette 5ème édition opposera donc le grandissime favori hongrois à la modeste équipe allemande. Les Hongrois sont surs de leur force, et personne ne les voit perdre cette rencontre. Ils sont invaincus depuis 4 ans, ont remporté 27 de leur 31 derniers matchs et ont corrigé les Allemands en phase de poule 8-3. Combien de temps l’équipe de R.F.A va-t-elle pouvoir résister à la force de frappe hongroise ?
La Finale, « le miracle de Berne »
4 juillet 1954, 16h45. Les 22 acteurs pénètrent sur la pelouse du Wankdorfstadion de Berne.
La feuille de match de cette finale
Cette finale se jouera sous une pluie démentielle, ce qui n’avantage pas les Hongrois. Pourtant, après moins de 10 minutes de jeu, les Magyars mènent déjà 2 buts à 0. Après une ouverture du score de Ferenc Puskás sur une superbe frappe, Zoltán Czibor profite d’une mésentente entre le défenseur Werner Kohlmeyer et son gardien Toni Turek pour venir doubler la mise pour les Hongrois.
On se dit alors que rien ne pourra arrêter le rouleau compresseur hongrois. La finale leur est acquise et le trophée ira pour la première fois de son histoire à Budapest.
C’était sans compter sur l’esprit combatif des Allemands et sur un certain Monsieur Dassler. Si les Hongrois ont avec eux leur attaque de feu et le meilleur joueur du monde (Ferenc Puskás), les Allemands ont dans leur manche Adi Dassler. Le fondateur de la marque Adidas équipe les Allemands pour cette finale et leur fait bénéficier de son expertise en les chaussant d’un tout nouveau type de chaussures: des crampons vissés. Ces chaussures novatrices permettent aux joueurs de la Mannschaft d’être plus stables sur le terrain et d’avoir de meilleurs appuis. Quand les Hongrois patinent sur un terrain qui ressemble plus à un champ de bataille (qui n’est pas sans rappeler les champs où se déroulaient la guerre pour les Allemands) qu’à un terrain, les joueurs de la R.F.A. ont des appuies plus stables.
C’est peu avant le quart d’heure de jeu que l’espoir renaît. Sur le côté droit, Rahn tente une frappe contrée par Bozcik, que Max Morlock reprend victorieusement. Le score est alors de 2 à 1.
Peu après, c’est l’euphorie chez les blancs. Elmut Rahn, encore lui, trompe le portier hongrois Gyula Grosics à la 18 ème minute. Les modestes Allemands tiennent tête à la grande armada hongroise, et commencent à croire à l’exploit.
Les Allemands, qu’ils soient devant leur poste de télévision, dans un bar où devant leur poste de radio sont suspendus aux lèvres d’Herbert Zimmermann qui commente ce match pour la radio allemande.
Puskas, haut foncé short blanc lors de la finale face à l’Allemagne
A la mi-temps, les 22 acteurs rentrent aux vestiaires et le score est toujours de parité: 2 buts partout.
Le coach allemand essaye de remotiver ses troupes, pourtant ce sont bien les Hongrois qui reviennent sur le terrain avec les dents longues. Ils se créent de nombreuses occasions mais tombent sur un Turek des grands soirs. Celui-ci repousse toutes les tentatives adverses, quand il n’est pas suppléé par ses défenseurs ou les poteaux. Les Hongrois sont également très maladroits en cette deuxième période. La confiance change de peu à peu de camps.
C’est alors qu’à 5 minutes avant la fin du match sur une des rares excursions allemande dans le camp hongrois, l’incroyable se produit. Celui qui deviendra le héros de tout un peuple, Elmut Rahn, donne l’avantage à la Manschaft pour la première fois dans cette rencontre sur une frappe à l’entrée de la surface.
Les propos de Zimmermann après ce but sont depuis rentrés dans l’histoire et font partie « des éléments définitifs du capital de souvenirs auditifs des Allemands »1. Il a été celui qui a décrit l’action qui a amené le but, celui qui a été le messager pour tout un pays derrière son poste.
« L’Allemagne poursuit sur le côté gauche avec Schäfer… Schäfer cherche Morlock mais la passe est interceptée par la défense hongroise. C’est encore et toujours Bozsik qui ratisse tous les ballons au milieu… Il remonte le terrain mais il est contré par Schäfer… Schäfer passe par le centre… tête… contrée à nouveau. Le ballon parvient jusqu’à Rahn. Il est encore loin mais il arme sa frappe… il tire et but ! Buuuut ! Buuuut ! 3:2 pour l’Allemagne ! ».
La Hongrie égalise dans la foulée par l’inusable Puskàz. Pourtant l’arbitre de cette rencontre, l’Anglais William Ling (qui avait de manière surprenante déjà arbitré la première rencontre entre les deux équipes en phase de poule) refuse le but pour un hors-jeu litigieux de la star hongroise. Il est impossible aujourd’hui de se faire une idée sur ce hors jeu puisqu’une seule vidéo de cette action est à ce jour disponible et qu’elle ne permet pas vraiment de trancher.
Décidément rien ne peut toucher cette Allemagne là en ce 4 juillet. Elle est destinée à gagner cette rencontre et redonner espoir à tout un pays.
Quelques minutes plus tard, une poignet de minutes qui a semblé durer une éternité pour des millions d’Allemands, la RFA remporte la première coupe du monde de son histoire. Une victoire aussi improbable que magnifique. Pour la première fois depuis longtemps les Allemands peuvent exulter. Pour la première fois depuis la fin de la guerre les Allemands sont fiers de leur pays, et peuvent sortir les drapeaux sans honte. C’est l’euphorie dans toute la R.F.A. et les footballeurs sont accueillis comme des héros à leur retour à Munich. La légende est en marche, en ce 4 juillet 1954 les Allemands ont assisté au « miracle de Bern ».
Voir le résumé de la finale en vidéo ici.
Quand foot et politique sont étroitement liés
Après des années difficiles marquées par douze ans de dictature national-socialiste, une guerre mondiale perdue, une occupation Alliés et des difficultés économiques liées à l’après-guerre, cette victoire allemande est vécue comme une libération.
Les Allemands attendaient un miracle. C’est le football qui va le leur offrir. Cette notion de miracle est omniprésente dans l’Allemagne d’après-guerre. Ne parlait-on pas de « vieillard miraculeux » pour désigner Adenauer, ou de « miracle économique » pour définir la situation économique allemande?
Ces footballeurs, des Allemands moyens, ont par la suite été érigés en héros. Les Allemands ont pu s’identifier à ces gens « normaux » qui exerçaient des professions ordinaires, avaient une vie familiale ordinaire. Ils sont des exemples à suivre pour tout un pays : ils prouvent que lorsque l’on s’en donne les moyens tous les miracles sont possibles, même face à des obstacles de taille. Certains de ces joueurs, notamment le buteur victorieux Elmut Rahn n’ont pas supporté cette notoriété soudaine et ont ensuite sombré dans l’alcool ou la drogue.
Helmut Rahn dernier buteur de la finale
Cette victoire ouvrait un avenir radieux à l ‘Allemagne. « Nous sommes de nouveau quelqu’un ! » s’exclament alors les Allemands. La nouvelle Allemagne, celle qui n’avait pas à rougir de sa nationalité et qui était à nouveau capable de gagner venait d’éclore. Cette victoire a été bénéfique pour la jeune démocratie de RFA. Elle a ainsi été acceptée plus facilement par les Allemands qui restaient jusque là sceptiques depuis sa création en 1949, et qui attendaient d’elle des résultats probants et concrets. Les événements de Berne ont ainsi fourni les bases et le ciment afin de fédérer tout un peuple derrière un état commun. Un film a d’ailleurs été tourné sur cet événement « Das Wunder von Bern » (réalisé par Sönke Wortmann, sorti en 2003, 3,8 millions d’entrées) tant cet événement est ancré dans les mémoires allemandes.
Ce but de Rahn n’est donc pas simplement synonyme de victoire à la Coupe du Monde, c’est aussi et surtout l’enterrement du passé hitlerien et le retour d’une Allemagne conquérante sur la scène internationale. C’est l’acte fondateur de l’Allemagne moteur de l’Europe que l’on connaît aujourd’hui.
Au delà du simple match de football c’est également un bras de fer idéologique qui s’est joué ce 4 juillet. La R.F.A., symbole de l’ouest capitaliste et libre s’en va battre l’est soviétique représenté par la Hongrie. Le sport sera alors une nouvelle fois utilisé comme moyen de propagande.
Sur un plan sportif, toutes les générations d’équipes allemandes ont plus tard été jugées à l’aune de la prestation des coéquipiers d’Elmut Rahn et Fritz Walter en 54. Cette victoire a surtout décomplexé l’Allemagne du football. Deux coupes du monde supplémentaires (1974 et 1990) et trois championnats d’Europe (1972, 1980 et 1996) ont fait de l’Allemagne une nation majeure du football européens et le 2ème palmarès du football mondial. Quelques-uns des meilleurs joueurs de ces 60 dernières années ont porté la tunique blanche : de Jürgen Klinsmann en passant par Franz Beckenbaueur, Gerd Müller, Lothar Matthäus, Oliver Kahn ou plus récemment Mickael Ballack.
Même si la Mannschaft n’a plus rien gagné depuis près de 20 ans, la récente présence en finale de la Ligue des Champions 2013 de deux clubs allemands signe le renouveau du football germanique.
Une finale pas si miraculeuse
La nouvelle a fait l’effet d’une bombe dans le monde du football allemand mais pas seulement. Les héros ont triché: le miracle n’a jamais eu lieu. Le socle du sentiment allemand est en fait un mensonge. Une étude universitaire commandée par le comité olympique allemand affirme que les héros de Berne auraient eu recours à des injections de pervitine.
Toute la force de la Mannschaft durant cette finale était donc en réalité due à des injections d’amphétamines, drogue que l’on injectait aux soldats allemands en temps de guerre. Les joueurs qui croyaient (naïvement ou non) recevoir des injections de vitamines C de la part de leur médecin étaient donc dopés.
Les joueurs allemands fêtent leur victoire
Même si à l’époque les contrôles anti-dopage n’avaient pas vu le jour, cette thèse permettrait d’expliquer l’étrange épidémie de jaunisse connue par les vainqueurs de Berne quelques semaines après la finale. Cette étude qui se penche sur le dopage dans le sport ouest allemand montre que dès 1949 ces pratiques étaient déjà bien présentes dans les sports.
Ce titre va-t-il leur être retiré ? Bien sûr que non. C’est encore et toujours la Hongrie, après le traité de Trianon qui fait les frais des pots cassés en Europe.
Cette Hongrie de 1954, au sommet de son art, une des meilleures équipes de tous les temps, n’aura pas été récompensé par « sa » coupe du monde. Elle n’aura jamais goûté aux joies de se retrouver sur le toit du monde. Cette génération dorée n’aura donc remporté « que » les Jeux Olympiques. Elle sera éliminée 4 ans plus tard au premier tour lors de la Coupe du Monde 1958, qui verra l’avènement de l’équipe football du Brésil et les débuts d’un jeune footballeur de 18 ans que le monde découvre : un certain Pelé.
La Hongrie n’a par la suite jamais pu retrouver les sommets et ajouter cette fameuse étoile sur leur tunique. Il est d’ailleurs aujourd’hui peu probable qu’elle puisse le faire dans un futur proche.
Cette finale est intéressante car elle est la pierre angulaire de la création d’une unité allemande. Elle dépasse de très loin les simples frontières d’une simple rencontre sportive. On pourrait d’ailleurs essayer d’imaginer à quoi ressemblerait aujourd’hui l’Allemagne si les héros déchus de Berne n’avaient pas été dopés, et si la Hongrie avait remporté cette Coupe du Monde. Mais avec des « si » on pourrait refaire le monde…
Sources:
Brice Tollemer et Jérôme Latta pour Les Cahiers du Foot
La Rétro de l’équipesur la Coupe du Monde 1954
1. Voir L’Allemagne et le Football