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Qu’on se le dise une bonne fois pour toute, pour lever le moindre doute, Kanye West est aujourd’hui au sommet de son art. Tout en haut de la pyramide constituée des superstars actuelles. Quoiqu’il fasse, quoiqu’il dise, quoiqu’il tweete, vous pouvez être sûrs que ce sera commenté et même analysé dans la minute qui suit, partout dans le monde.
Nous personnellement, ce qui nous intéresse surtout, c’est sa musique. Mais il est impossible de la séparer du personnage et des ses frasques, ça fait parti intégrante du jeu. Et il faut l’accepter.
Ceux qui ne l’ont pas fait, se sont arrêtés en route, sûrement à Graduation, et ces malheureux, dans leur purisme primaire, ratent quelque chose de fascinant: l’avènement d’un artiste rap au rang d’icône pop ultime.
Qui d’autre que lui aurait lancé une campagne promo éclair avec à peine un délai d’un mois entre l’annonce et la sortie officielle ? Qui d’autre n’aurait pas envoyé le moindre single en éclaireur ? Qui d’autre aurait nommé son album Yeezus ? Qui d’autre aurait foutu sa tronche sur des immeubles du monde entier pour diffuser un extrait de New Slaves ? Qui aurait fait des pieds et des mains pour que son album sorte quasi simultanément que sa fille du ventre de sa nana ? Et on ne vous parle même pas de la non-présence de pochette (si l’idée renvoie à Mos Def et son True Magic, il faut surtout y voir un délire comme les Beatles et Rubber Soul où les quatre garçons dans le vent n’avait pas mis leur nom sur la pochette).
Ce marketing de génie rendrait celui des Daft Punk déjà old. C’est dire… Et s’il se permet tout ça, c’est évidemment le fait de son égo de la taille d’une supernova mais c’est surtout qu’il sait qu’il sera suivi, scruté et qu’il vendra rien qu’avec son nom.
Ceci étant, faire gonfler l’attente c’est bien beau, mais il faut assurer derrière et envoyer du lourd. Du très lourd même puisqu’on reste sur un dernier album solo exceptionnel, un disque dont on n’a même pas fini de faire le tour, trois ans après sa sortie. My Beautiful Dark Twisted Fantasy était l’accomplissement de sa carrière, l’album qui l’a fait passer de superstar à futur hall of famer de la musique. Un opus fantastique, épique, fourni, [mettez ce que vous voulez comme superlatif] dont on parlera encore dans 30 ans.
Tout le challenge est là, être le successeur d’un classique en évitant d’être clairement moins bon (dans la limite du possible) et de servir le même plat. Le genre de chose qui n’effraie pas plus que ça Kanye West, soyons francs.
MBDTF était beau et orgiaque musicalement ? Yeezus est son exact contraire, minimaliste et « sale ». Vraiment sale. Les deux minutes d’ouverture de On Sight et sa saturation niveau basse suffisent à faire passer le message: Ye a choisi la violence, dans le message comme dans la musique.
L’Ourson a enfilé son costume de cuir et déverse son flow de haine pendant 40 minutes. En rappant, en chantant, en criant, peu importe, le garçon sort les crocs. Surprenant mais pas ridicule, aussi bizarre que cela puisse paraître. On va même vous faire une confidence: c’est l’album où Kanye est le meilleur niveau interprétation, ou disons plutôt celui où il nous agace le moins. Son manque de technique dans le rap et le chant devient moins criant et on se laisse séduire par ses délires. Et très franchement, on aurait pas cru le dire un jour.
Parenthèse interprétation fermée, revenons à cette ambiance dark, quelque part entre rap, house, techno industrielle (le grand banger club Send It Up) et dancehall (I’m In It, Blood on the Leaves). Un univers qui va en rebuter certains, pour sûr. Tandis que les autres crieront au génie créatif. La vérité est au milieu.
Kanye n’a pas inventé quoique ce soit, on pense à Death Grips par moment, disons seulement qu’il vient de contribuer à rendre grand public un style qui ne l’est clairement pas. Il réussit à apposer sa patte, une fois de plus, et rendre accessible quelque chose que personne n’aurait osé faire. Et c’est encore là qu’il devance la concurrence, s’il en a réellement une.
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Kanye West – Send It Up
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Après, sur la qualité même du disque, il y a à redire quand même. Oui il expérimente, oui niveau création il va très loin. Mais ça ne veut pas dire qu’on doit s’incliner à chaque fois sur chaque morceau.
Il y a de grandes réussites comme Black Skinhead, immense titre d’une noirceur et d’une violence folle qui vient directement se placer dans le top 10 de la carrière de Yeezy. La petite bombe Send It Up donc, et on peut aussi nommer le tribal New Slaves et le petit bonbon sucré de fin, Bound 2 (ouais, le sampling par Kanye, ça marche toujours sur nos petits coeurs).
Mais parfois ça va trop loin, I Am A God et le dialogue Yeezus/Jesus crée un certain malaise, Blood on the Leaves et son double sampling superposé Nina Simone/TNGHT est raté, I’m In It ou Guilt Trip ont de bonnes idées malheureusement couplées à d’autres moins bonnes.
Même si les ambiances sont aux antipodes, ce disque ressemble à 808′s & Heartbreaks. Il n’y a aucune recherche de la perfection, c’est tout au feeling, au kif’, et tant pis si ça ne plait pas. Il en est le jumeau maléfique, il a quelque chose dans sa conception et dans son envie qui renvoie à l’album le plus incompris de la discographie du mec (et le plus mauvais ceci dit). Il le vit à fond, il est possédé par ce qu’il fait ici. Il reprend la place centrale qu’il avait quelque peu abandonné pour MBDTF. Ses invités (Kid Cudi, Frank Ocean, Justin Vernon, King L, Charlie Wilson) et ses collaborateurs sont à son service et non pas dans la lumière. D’ailleurs ce sont de très brefs featuring à chaque fois, pour une fin de morceau la plupart du temps et non pour un refrain.
Paradoxalement, on a à faire à un objet très personnel mais très ouvert niveau collaborations dans la production. Kanye a une véritable armée derrière lui avec ses hommes de l’ombre bien sûr, Mike Dean, S1, Travis Scott, Noah Goldstein mais aussi avec de vraies stars aux manettes. Le gars se paie quand même le luxe d’avoir Daft Punk sur quatre co-prod dont une (Send It Up) sur laquelle on retrouve Daft Punk + Gesaffelstein + Brodinski. Viens le chercher le gars. Sans oublier le papa Rick Rubin en producteur exécutif de dernière minute. Et tout le monde bosse dans la main pour offrir à Monseigneur West, chef d’orchestre, l’ambiance qu’il veut. Là encore, qui peut se permettre tout ça à part lui ?
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Kanye West – Bound 2
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Kanye West – Black Skinhead
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Parce qu’il s’agit de Kanye West, on voit déjà fleurir des sur-analyses beaucoup trop profondes sur cet album, le portant parfois même au rang de « masterpiece du mal ». Calmons-nous. Yeezus n’est pas une mauvaise chose mais il a trop de défauts pour prétendre au titre de grand disque. Il a son charme (aussi dans ses ratés d’ailleurs) sans atteindre les étoiles pour autant, ou que trop rarement.
La vérité est ailleurs de toute façon et il le sait. Avec ce disque, il vient d’ouvrir une brèche pour tout ceux qui vont voir la lumière grâce à l’album. Et on va voir fleurir des petits Yeezus un peu partout d’ici un ou deux ans et même qu’ils seront meilleurs. C’est bien ce qu’il s’est passé avec 808′s & Heartbreaks pour Drake, Kid Cudi et The Weeknd non ?
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Tracklist: 1. On Sight 2:37
2. Black Skinhead 3:08
3. I Am A God (feat. God) 3:51
4. New Slaves (feat. Frank Ocean) 4:16
5. Hold My Liquor (feat. Chief Keef & Justin Vernon) 5:27
6. I'm In It 3:55
7. Blood on the Leaves (feat. Tony Williams) 6:00
8. Guilt Trip (feat. Kid Cudi) 4:04
9. Send It Up (feat. King L) 2:58
10. Bound 2 3:49
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