L'art ne sert à rien, bien sûr... à rien matériellement, sauf à considérer le marché de l'art où se côtoient dans un ordre pas toujours respecté génies, artistes confirmés, nouvelles générations et produits marketing. Malraux fournissait d'autres réponses : " On peut aimer que le sens du mot art soit : tenter de donner conscience à des hommes de la grandeur qu'ils ignorent en eux. " ou encore : " Le plus grand mystère n'est pas que nous soyons jetés au hasard entre la profusion de la matière et celle des astres, c'est que dans cette prison nous tirions de nous-mêmes des images assez puissantes pour nier notre néant. " L'art, comme une réponse métaphysique, placé sur un plan égal à la religion ou d'autres formes tout aussi respectables de recherches de spiritualité, on ne peut qu'approuver cette définition.
En posant la question " A quoi sert la Villa Médicis ? " le sénateur Gouteyron apporte sa solution, fondée sur les aigreurs d'un écrivain qui, au nom d'une " politique de pur bon sens ", en préconisait la suppression, et sur un rapport du sénateur Yann Gaillard, en daté de 2001 (ce dernier étant membre du conseil d'administration du Centre Pompidou). De ce rapport, il ne cite que quelques phrases : " Voilà une académie qui n'a plus de tradition à transmettre, qui groupe des lauréats sans aucun centre d'intérêt commun [...]. Qui invite, aux frais de la République, des artistes - au sens le plus large du terme - dans une capitale qui n'est plus, et depuis longtemps, un centre important de création, même à l'échelle de l'Italie. [...] la villa Médicis, contenant superbe, a-t-elle encore un contenu ? " Aux propos de son confrère, le sénateur Gouteyron ajoute un argument supplémentaire : Rome ne fait pas partie des plaques tournantes marché de l'art.
Vu sous cet angle, on pourrait en effet se demander si notre République n'entretient pas dans la Ville au sept collines une maîtresse aussi dispendieuse qu'inutile. Cependant, de quel budget annuel est-il question ? 7,7 millions €, dont 4,6 millions de subventions de l'Etat. Au cours actuel du marché de l'art, et en s'intéressant au coût global de la villa, le seul Portrait d'Adèle Bloch-Bauer vendu en 2007 135 millions de $ représenterait environ 10 années de financement. La toile Blue star de Miro, adjugée en décembre dernier 11,5 millions €, serait équivalente à un an et demi de budget. On le voit bien, les sommes en jeu n'ont rien de vraiment considérable. Pour autant - et en faisant litière d'un symbole prestigieux qui participe au rayonnement international de la France - si la Villa Médicis était devenue réellement inutile, il ne serait peut-être pas incongru, pour la bonne gestion des finances publiques, de la fermer et d'allouer ses ressources à d'autres actions artistiques. C'est peu ou prou ce que préconise le sénateur Gouteyron : " Il faut rénover de fond en comble l'idée de présence culturelle, en inventant des ambassades nomades, porteuses d'initiatives et de partenariats nombreux, dans les lieux les plus divers possibles. "
Que l'inventeur du concept de " consulats virtuels " propose celui " d'ambassades nomades " correspond à une certaine logique, sauf à craindre qu'il ne s'agisse que d'une logique de l'immatériel... En effet, le lecteur serait fondé à penser que les suggestions du sénateur Gouteyron reposent sur le rapport de son collègue Yann Gaillard qui se rendit sur place afin de le rédiger. Or, le problème, c'est que les conclusions du rapport Gaillard ne correspondent en rien à l'extrait cité plus haut, qui n'était qu'une simple figure de rhétorique située à la fin de son préambule... Que lit-on en effet dans cet intéressant document ?
" La France a hérité avec la Villa Médicis d'un instrument magnifique qu'il serait dommage de ne pas chercher à utiliser pleinement au service du rayonnement de la culture française. Il faut se donner les moyens pour faire de la Villa une fenêtre ouverte en Italie sur la culture française et ce à l'intention non seulement des Italiens eux-mêmes mais aussi des nombreux touristes qui fréquentent la ville éternelle. [...] L'impératif , c'est d'accentuer et de rendre plus efficace l'instrument que constitue la Villa Médicis comme outil de coopération culturelle à l'échelle européenne. Certes, Rome n'est plus le centre du monde, pas plus que Paris d'ailleurs, mais cette ville reste un pôle d'attraction culturelle majeur pour les Italiens bien entendu, mais également pour toute une élite intellectuelle à travers le monde. Il y a donc un intérêt pour notre pays à utiliser cette position éminente sur la ville pour donner une efficacité accrue à sa politique de promotion de la culture et de la langue françaises. [...] L'option , votre rapporteur la voit lorsqu'il s'agit de repenser son mode de fonctionnement. [...] Considérant que la Villa Médicis constitue une forme de base avancée de la culture française, on peut envisager deux modes d'utilisation :
Soit on considère la Villa comme une plate-forme " off shore " de l'action culturelle menée par le ministère de la culture, c'est-à-dire comme la vitrine d'une politique et de choix dont les grands axes sont déterminés depuis l'hexagone;
Soit on estime qu'il est possible de constituer la Villa en une sorte de pôle d'excellence autonome de la création d'expression française, intégré dans un réseau culturel européen.
Le choix entre ces deux solutions dépend des moyens en hommes ou en crédits dont on dispose, du degré d'autonomie que l'on estime devoir et pouvoir conférer à son directeur, ainsi que de la possibilité d'assurer, en l'état actuel de l'art contemporain, une véritable cohérence esthétique et culturelle à l'institution. [...]
La Villa Médicis est une institution vivante. Elle n'est pas un astre mort, dont on percevrait encore les derniers feux. Pour s'en convaincre, il suffit de constater le mythe attaché à son nom et la référence qu'elle constitue toujours pour la création de nouvelles institutions. [...]
Maintenant cet attachement réitéré qui conduit votre commission des Finances à proposer aujourd'hui qu'on la fasse évoluer, pour que l'effort financier consenti par la collectivité nationale trouve sa pleine efficacité et contribue à lui donner toute sa place dans la perpétuation du génie français comme elle a pu le faire par le passé. "
On le voit, le rapport Gaillard ne préconise nullement une fermeture de la Villa Médicis, bien au contraire. Son contenu invite à différentes réflexions quant à son rôle, suggère des pistes de réformes, présente par ailleurs un état comparatif du fonctionnement d'institutions similaires, publiques et privées, établies de par le monde. On ne peut qu'en conseiller la lecture, mais une lecture qui ne soit ni nomade, ni virtuelle... Tout aussi intéressantes, les conclusions de l'examen en commission dressent le profil du directeur idéal :
" Précisant le contenu de ses propositions, il [le rapporteur] a notamment indiqué qu'il fallait, dans le premier cas, assurer une meilleure coordination de l'institution avec les autres organes culturels présents à Rome, qu'il s'agisse du centre Saint Louis dépendant de l'ambassade auprès du Saint Siège, ou, surtout, des services culturels de l'Ambassade de France à Rome. Il a également fait savoir que l'on pouvait songer à faire évoluer le profil de l'équipe de direction de la Villa Médicis en faisant appel soit à un créateur de renommée internationale, soit à une personnalité ayant l'expérience des réseaux culturels internationaux, étant entendu que, dans l'un et l'autre cas, ces deux personnes devaient avoir un intérêt particulier pour Rome et la culture italienne. "
Que la Villa Médicis représente un coût pour la collectivité, nul ne le conteste. Il en va de même pour des institutions comme l'Ecole française d'Athènes, l'Institut français d'archéologie orientale du Caire ou l'Ecole française d'extrême orient. Devrait-on cependant envisager de fermer ces pôles du rayonnement français, dont l'autorité est mondialement respectée, au prétexte qu'Athènes, Le Caire et Phnom Penh ne comptent pas parmi les " lieux les plus en vue du marché de l'art " ? On ne peut qu'approuver la mise en place d'une politique de saine gestion des finances de l'Etat et de rationalisation de la dépense publique. Toutefois, tout ne se résume pas à des chiffres. Le soutien aux créateurs, le prestige d'un pays que le monde entier considère comme un berceau de la culture européenne, l'art enfin sont des valeurs immatérielles - donc non utilitaires -, mais qui ne sauraient, par leur nature même, être reléguées au second plan, ou au plan comptable.
Dans sa préface à Mademoiselle de Maupin, Théophile Gautier donnait sa définition du
" A quoi bon la musique ? A quoi bon la peinture ? Qui aurait la folie de préférer Mozart à M. Carrel [le journaliste Armand Carrel], et Michel-Ange à l'inventeur de la moutarde blanche [un médicament laxatif] ? Il n'y a vraiment de beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid ; car c'est l'expression de quelque besoin ; et ceux de l'homme sont ignobles et dégoutants, comme sa pauvre et infirme nature. - L'endroit le plus utile d'une maison, ce sont les latrines. Moi, n'en déplaise à ces messieurs, je suis de ceux pour qui le superflu est le nécessaire. "