La conscience est comme l'espace : elle n'a pas de fondement. Ce "rien" est le fond de toute expérience, sa "clairière" et sa situation. Mais quand on voit ceci, voit-on pour autant la non-dualité ?
Non, car si nous en reste là, nous croirons que les choses sont séparées de la conscience, tout comme les corps sont séparés de l'espace dans lequel ils baignent pourtant, au sens où cet espace, quoique infini, n'est pas leur source ni leur âme.
Alors que les choses ne sont pas en la conscience comme des choses dans un sac. Comment donc ? Comme des vagues dans l'océan.
Dès lors, les émotions - amour, haine, indifférence - sont les manifestations de la conscience. Si cette hypothèse est juste, pourquoi font-elles mal ? Justement parce qu'elles ne sont pas reconnues comme autant de vagues de l'océan de la conscience. Autrement dit, les émotions sont la conscience qui jaillit librement, mais qui n'est pas reconnue. Nous pouvons bien savoir par expérience, que la conscience transcende les émotions, où même qu'elle en est la source. mais quand l'émotion surgit, nous ne faisons pas ce rapprochement. Nous accueillons l'émotion comme une perturbatrice ; nous boudons comme un enfant ou détournons notre visage de ce que nous identifions comme un échec ou une chute. L'émotion est ressentie comme une contraction, un genre de bloc de glace, séparé de la fluidité océane, alors qu'elle participe de son mouvement.
Tout est mouvement de conscience. En sanskrit, khe-carî - "mouvement au centre", dans le moyeu vacant de la roue des énergies, dans l'immensité céleste. Le corps, l'âme et l'esprit ne font qu'un avec ce vortex. Connues imparfaitement, ces vagues sont les furies du samsâra. Connue à fond, elles sont les fées du nirvâna. La violence du corps, des émotions, des pensées, sont les manifestations méconnues de la paix toujours déjà donnée.
L'harmonie des énergies - khecarî-samatâ en sanskrit - ce sont ces irruptions reconnues. Sinon, c'est le tumulte, c'est le poison des énergies - khecarî-vaishamya (de vi-sama "in-égal", mais aussi de visha- "poison").
"Ce que l'on prend pour du désir, de la colère et autres (émotions), c'est la (conscience) qui se déploie dans (son) espace central. Quand elle est équilibrée, elle l'est toujours et partout, car l'absolu est par nature comblé à tous égards" (Abhinavagupta, Parâtrîshikâ-vivarana, 1).
La conscience n'est pas en équilibre achevé seulement dans un état de paix intérieure, immobile, "comme une flamme à l'abri du vent". Elle l'est aussi bien dans ses explosions les plus déchaînées ou ses apparences les plus misérables. Non seulement comme paix, mais aussi comme félicité, jouissance intime. Car, comme l'affirme clairement Somânanda dans sa Vision de Shiva,
"Shiva en sa perfection finale est présent aussi bienDans le bien-être, dans le mal-être et dans l'égarement." (Shiva-drishti, 7, 105)
Même la douleur est expansion de conscience :
"Même la douleur, parce qu'elle est dilatationPuisqu'elle pétrifie (l'esprit),Permet d'atteindre la stabilité" (Shiva-drishti, 5, 9)
Abhinavagupta explique : "En effet les mouvements d'âme, comme la colère par exemple, existent parce qu'ils sont identiques à la délectation émerveillée qu'est la conscience. Autrement, ils ne pourraient accéder à leur statut (d'expérience). La plus haute souveraineté, ce sont ces déesses que sont nos facultés (sensorielles et mentales). Leur jeu se déploie à la manière des rayons de ce soleil qu'est Shiva." (Vivarana, 1)
Om
Equilibre :