Le problème du principe de précaution est qu’il nous invite à ne considérer que certains risques tout en en négligeant d’autres.
Par Florent Ly-Machabert
Né du sommet de Rio en 1992, année qui consacra également officiellement le concept de « sustainable development » (développement durable), le principe de précaution repose sur une ligne directrice pour le moins complexe, puisque pour l’énoncer il ne faut pas moins de trois négations successives : « NE PAS avoir de certitude concernant un risque N’est PAS une raison pour NE PAS agir de façon préventive. » Or, dans la foulée de Boileau, l’on pourrait se demander si ce principe se conçoit vraiment bien pour s’énoncer aussi peu clairement… C’est la question que je pose et j’y réponds franchement : le principe de précaution me semble – et c’est son paradoxe – un principe à hauts risques. La seule chose qui ne soit pas une surprise, c’est que ce soit notre pays qui ait décidé de l’ériger en principe constitutionnel : il lui colle si bien à la peau, il entre si bien en résonance avec la langueur de son État-Providence ! Il semble nous susurrer insidieusement à l’oreille :
« Arrêtez tout ! Il y a un risque. Laissez faire l’État, qui vous dira quoi faire et qui, le cas échéant, vous interdira de faire quoi que ce soit. »
Sauf qu’avec l’État, et avec cette définition de la précaution dont il se porte le garant, « le cas échéant », c’est tout le temps. Et le champ des libertés personnelles, dont Amartya Sen nous dit qu’il est celui du développement lorsqu’il s’accroît, se réduit peu à peu comme peau de chagrin sous l’effet de l’application de ce principe.
Laissez moi prendre trois exemples.
Au nom de ce principe, le DDT, un pesticide, a été interdit aux USA en 1972, au motif qu’il pouvait se révéler toxique pour certains oiseaux et ainsi menacer la biodiversité. À quoi servait-il également ? À éradiquer la malaria, qui fait près de 2 millions de victimes en Afrique chaque année.
Au nom de ce principe, la recherche sur les OGM a été stoppée, au motif qu’elle constituait une opportunité pour procéder à des manipulations génétiques. À quoi ces travaux de recherche contribuaient-ils en parallèle ? À élaborer un médicament contre la mucoviscidose.
Au nom de ce principe, l’année 1997 a porté sur les fonts baptismaux le protocole de Kyoto, consacrant l’objectif d’une réduction par 4 (le fameux « facteur 4 ») des émissions de gaz à effet de serre des pays signataires. La mise en œuvre de ce protocole a coûté des efforts diplomatiques et socio-économiques historiques, pour une efficacité limitée au retardement d’environ 6 ans de la hausse de la température planétaire (qui serait ainsi passée de 2100 à 2106).
Et l’on pourrait ainsi, ad nauseam, allonger la liste des exemples, puisés dans des domaines aussi variés que la biologie, la médecine, le droit, l’éthique… Dans un domaine en particulier, toutefois, la menace est encore plus grande, comme l’illustrent les premier et troisième exemples ci-dessus : celui de la protection de l’environnement, pétrie de politiquement correct et érigée en idéologie de référence ; c’est ce que j’appelle l'"idécologie". Ces nouveaux idéologues, tenants de ce qu’on appelle parfois la « soutenabilité forte », ne proposent rien moins que d’appliquer le principe de précaution au progrès technique lui-même ! Celui-là même qui est le moteur de la croissance économique et l’un des déterminants fondamentaux du processus de destruction créatrice cher à J. Schumpeter. Celui-là même qui permet aujourd’hui de mieux utiliser et de mieux préserver les ressources naturelles (grâce aux technologies propres), tout en améliorant continûment l’efficacité des efforts de dépollution. Je suggère à ces sectateurs de la décroissance ou de la croissance nulle, héritiers, quarante ans plus tard, du Club de Rome et du rapport Meadows qui prophétisait la fin du pétrole pour 1980, qu’ils arrêtent de penser, qu’ils s’appliquent à eux-mêmes le principe de précaution, car réfléchir présente toujours un risque.
« Non, vous n’êtes pas tenus de penser : c’est un acte de choix moral. Mais il a fallu que quelqu’un pense pour vous maintenir en vie. Si vous choisissez de vous dérober à la pensée, vous vous dérobez à l’existence en en transmettant la charge à un être moral, en espérant qu’il sacrifiera son bien-être pour vous permettre de survivre dans votre vice. » Ayn Rand
La myopie du principe de précaution réside donc dans le fait de nous inviter à ne considérer que certains risques et à en négliger d’autres. Il nous invite à nous « dérober à l’existence » et nous impose, sans cap, de nous exposer à tel risque plutôt que tel autre, avec l’onction de l’État qui protège ainsi le plus souvent des intérêts corporatistes et sous couvert de constitutionnalité.
Car il est un second présupposé tapi dans l’application de ce principe : la gestion publique du risque (par l’État en vertu du principe de précaution) serait supérieure à sa gestion privée. Vous l’aurez compris, c’est plus que contestable ; cela va même à l’encontre du bon sens libéral, les méthodes de marché ayant fait preuve d’une efficacité sans commune mesure avec les piètres interdictions, taxes pigouviennes et autres réglementations qui découlent du principe de précaution. Qu’on porte un instant son attention aux mécanismes assurantiels privés qui vantent la prévention, l’autodiscipline et la modération dans la prise de risques, effets que n’emporte pas, et n’emportera jamais, l’application du principe de précaution, qui nous invite au contraire à ignorer les risques que le principe de précaution génère lui-même du fait de son application.
Alors, solution qui ne court pas le risque de l’inconstitutionnalité : appliquons sans vergogne le principe de précaution au principe de précaution ; et que notre credo devienne en la matière de ne pas l’appliquer tant qu’il n’est pas prouvé qu’il est sans danger. Et là, nous serons tranquilles jusqu’au changement de République !