Philippe Alain, Mediapart
En qualifiant la France de réactionnaire, Monsieur Barroso, Président de la Commission Européenne a provoqué un concert de protestations dans toute la France. Les politiques de gauche comme de droite se lèvent tous comme un seul homme pour protester contre cette attaque insupportable qui vise la patrie des droits de l’homme, de Johnny Hallyday et de la baguette.
Dans une interview à l’International Herald Tribune, Barroso déclare : "Certains (de ceux qui défendent l'exception culturelle) disent être de gauche, mais ils sont en fait extrêmement réactionnaires" (1). La France n’est pas citée nommément, mais tout le monde aura compris. La classe politique française est en état de choc.
"Ces propos sont absolument consternants. Ils sont inacceptables" déclare la ministre de la culture. "Je ne veux pas croire que le président de la Commission européenne ait pu tenir des propos sur la France qui seraient ainsi formulés " déclare François Hollande. Même la fille Le Pen bondit sur l’occasion : "Les insultes du président de la Commission européenne contre la France, qualifiée de réactionnaire par José Manuel Barroso, confirment la violence du système européen qu'on impose aux Français et aux peuples d'Europe contre leur gré". Marine Le Pen qui défend les rappeurs français, on aura tout vu.
Monsieur Barroso est donc sourd, sauf pour la musique. Il s'offusque de la volonté de la France de protéger ses artistes et leurs CD, mais le sort de certains êtres humains lui importe moins. Depuis des mois, il est pourtant alerté par différents organismes sur le traitement discriminatoire que la France inflige aux Roms, la plus grande minorité ethnique européenne. En septembre 2010, après la circulaire illégale contre les Roms, l’Europe avait fait semblant de taper du poing sur la table avec la sortie de Viviane Reding, qui elle aussi avait provoqué une vague d’indignation en France. Elle déclarait à propos des expulsions à répétition: « j'ai été personnellement choquée par des circonstances qui donnent l'impression que des personnes sont renvoyées d'un État membre uniquement parce qu'elles appartiennent à une certaine minorité ethnique. Je pensais que l'Europe ne serait plus le témoin de ce genre de situation après la Seconde Guerre mondiale » (1). Depuis, plus rien. Pas un mot, pas une protestation.
Au premier trimestre 2013, d’après un rapport de l’AEDH, (3) le nombre d’expulsions de Roms de leur lieu de vie a augmenté de plus de 30 % par rapport à la même période de 2012. En 2012, le nombre d’expulsions d’étrangers du territoire français a lui aussi battu tous les records: 36 822, parmi lesquels plus de 12 000 Roms. En mars 2013, Manuel Valls qui pense se donner une stature présidentielle en pourchassant des terroristes fantômes et en tapant sur les Roms, multiplie les déclarations racistes contre cette minorité en toute impunité : « les occupants de campements ne souhaitent pas s'intégrer dans notre pays pour des raisons culturelles ou parce qu'ils sont entre les mains de réseaux versés dans la mendicité ou la prostitution » . (4)
La politique ségrégationniste de la France socialiste contre les Roms touche également les enfants et se traduit par des classes ghetto, comme à Ris-Orangis où des enfants vont en classe dans un gymnase. A Saint-Fons, la sénatrice-maire socialiste, madame Demontès, innove en créant une classe ethnique spéciale réservée aux enfants Roms d’un bidonville. La salle de classe se situe dans le même bâtiment que la police nationale et la police municipale. Là, au moins, ils sont bien gardés, ces futurs délinquants. En revanche, ils n’ont pas fait beaucoup de progrès en français et pour la mixité, on repassera. (5)
La répression policière contre les Roms atteint elle aussi des sommets. A Saint-Fons encore, la police organise une expédition punitive pour se venger d’un jet de pierre et va gazer des enfants, saccager des cabanes, jeter des chiens policiers contre des vieillards. (6) La police s’amuse également à placer en garde-à-vue des nourrissons, ne sachant ni parler, ni marcher en les accusant … de mendier… (7) Chaque jour, les arrestations au facies se multiplient, les expulsions vers la Roumanie continuent et la chasse aux Roms va reprendre de plus belle avec la torpeur de l’été enfin installé.
Alors M. Barroso qualifie la France de réactionnaire et il a raison. Le score du Front National aux dernières élections, notamment celles de Villeneuve-sur-Lot prouve que de plus en plus de français, pour des raisons multiples, se tournent désormais sans complexe vers l’extrême droite et se reconnaissent dans le discours de haine de Le Pen.
En qualifiant aussi durement la France pour sa politique culturelle, Barroso montre clairement les priorités de cette Europe qui met à genoux des populations entières afin de préserver les banques, mais qui est incapable de protéger une minorité persécutée dans tous les pays où elle croit trouver refuge.
Pour monsieur Barroso, on peut stigmatiser une population toute entière, pourchasser des femmes, des enfants et des vieillards en raison de leur appartenance ethnique, laisser la police se livrer impunément aux pires violences, pas de problème. Vous pouvez compter sur son silence. En revanche, pas touche au business.
Tapez sur vos Roms, Barroso se tait, protégez vos CD, Barroso proteste.
Bienvenue dans l’Europe des marchandises et des banquiers.
(3) http://www.aedh.eu/plugins/fckeditor/userfiles/file/Discriminations%20et%20droits%20des%20minorit%C3%A9s/Expulsions%20forc%C3%A9es%201T%202013%20c.pdf
(7) http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe-alain/050113/un-bebe-en-garde-vue-accuse-d-avoir-mendie
Barroso-Pilate : Lors du sommet européen consacré aux
discriminations dont sont victimes les Roms, le président de la Commission a déclaré que les politiques menées pour leur intégration sont de "la compétence des États membres". « Vous
dénoncez la discrimination ethnique. La Commission est tout à fait sur cette ligne », a pour sa part assuré le président de la Commission, José Manuel Barroso. Mais « la situation dramatique des Roms ne peut être réglée depuis Bruxelles », a-t-il
averti. « Les instruments pour créer ce changement sont dans les mains des Etats membres. Les politiques pour l'intégration des Roms sont de la compétence des Etats membres », a-t-il
insisté.
Le Monde - Editorial du 18 06 2013
Pour une fois, les Européens arrivaient unis face aux Américains. Le G8 de Lough Erne, en Irlande du Nord, devait permettre de lancer en grande pompe, avec Barack Obama, les négociations visant à établir un traité transatlantique de libre-échange. Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a torpillé cette unité en affirmant, juste avant l'ouverture du sommet, que la position de la France sur l'exception culturelle était "réactionnaire".
Peu importe de savoir si la France l'est. Et s'il fallait ou non exclure, au nom de l'exception culturelle, les services audiovisuels du mandat de négociation confié à la Commission européenne. Pour être prêts, les Vingt-Sept ont longuement négocié jusque tard dans la nuit, vendredi 14 juin. La France a fini par imposer ses vues et a remporté une victoire politique.
Que cette issue satisfasse ou non M. Barroso, peu importe aussi. Il est président de la Commission et se trouve lié par le mandat qui lui a été confié par les Etats. En dénigrant l'accord au lendemain de sa conclusion, M. Barroso ne se comporte pas en gardien des traités, comme sa mission le lui impose. Rappelons à une Commission qui se pique souvent de juridisme l'article 4-3 du traité de Lisbonne : "En vertu du principe de coopération loyale, l'Union et les Etats membres se respectent et s'assistent mutuellement dans l'accomplissement des missions découlant des traités." En l'occurrence, M. Barroso n'est ni "loyal" ni "respectueux".
Le commissaire au commerce, le Belge Karel De Gucht, a adopté une attitude comparable. Il n'est pas parvenu à imposer ses vues. Mauvais joueur, il prétend qu'il sera possible de réintroduire les services audiovisuels dans la négociation. Il se paie de mots : à l'unanimité, tout est possible ; en réalité, la France conserve son droit de veto sur le sujet.
Mais M. De Gucht a une excuse : il va négocier avec les Américains et craint que ceux-ci ne ripostent en écartant de la négociation des domaines stratégiques pour les Européens. Si nécessaire, il veut pouvoir revenir auprès des Vingt-Sept pour amender son mandat de négociation.
M. Barroso, en revanche, semble avoir des visées beaucoup plus personnelles. Depuis huit ans, le président de la Commission s'est distingué par sa ductilité. Défenseur des petits Etats lorsqu'il était premier ministre du Portugal, libéral lors de sa nomination à Bruxelles avant la crise de 2008, sarkozyste sous la présidence de Nicolas Sarkozy, incapable, depuis, de la moindre initiative politique pour relancer l'Union, il a accompagné le déclin des institutions européennes.
Aujourd'hui, à 57 ans, ce caméléon se cherche un avenir. A la recherche d'un beau poste, à l'OTAN ou aux Nations unies – qui sait ? –, il a choisi de flatter ses partenaires anglo-saxons, le premier ministre britannique et le président américain. A la tête de la Commission, M. Barroso aura été un bon reflet de l'Europe : une décennie de régression.