Sur le circuit d’Imola en mai 1994, le sport automobile connut un des pires week-end de son histoire, qui restera à jamais pour les inconditionnels de sport comme un week-end maudit. Ayrton Senna, triple champion du monde de F1 décède au volant de sa Williams après un choc à plus de 200 km/h, le tout sous les yeux de millions de spectateurs devant leur téléviseur. Cet incident est le point d’orgue d’un week-end tragique qui s’est soldé par un bilan de 2 morts et 14 blessés.
En perdant ainsi la vie sous les yeux du monde entier, Senna a bouleversé le monde du sport et a acquis le rang de légende. Retour sur ces 3 jours tragiques.
Ayrton Senna, la vitesse dans la peau et le goût du risque
Sao Paulo, 6 mai 1994. Tout un pays s’est donné rendez-vous pour dire adieu à un de ses héros, Ayrton Senna mort sur le circuit d’Imola à Saint Marin quelques jours plus tôt. La nouvelle de la mort du pilote brésilien a ému le pays tout entier. Avec 3 titres de champion du monde et 65 pôles position durant sa carrière en F1, Senna est un des pilotes les plus brillants de sa génération. C’est avant tout un personnage charismatique et attendrissant, un gentleman de la F1. Il est l’un de ces sportifs qui marque de son empreinte un sport.
Ayrton Senna, World Karting Championship, Suéde, 1980
Retour à Sao Paulo en 1960, où Ayrton Senna da Silva voit le jour. Le jeune Senna débute les sports automobiles sur ses terres par le karting, avant d’immigrer pour l’Angleterre. C’est sur le Vieux Continent qu’il commence à se faire une réputation de fou du volant, et remporte notamment le championnat britannique de Formule 3 en 1983.
Ses performances et son pilotage agressif attirent alors l’attention des plus grandes écuries de F1, mais le Brésilien signera dans la modeste équipe Toleman en 1984.
Cette première saison en F1 est marquée par une surprenante deuxième place sous des trombes d’eau à Monaco, le 3 juin 1984. Senna commence alors à se faire un nom en F1. Ses performances encourageantes ainsi qu’une 10 ème place au championnat pilote cette même année lui ouvriront les portes de l’écurie Lotus-Renault.
C’est lors de sa première saison dans l’écurie franco-britannique que le jeune Senna remporte son premier Grand Prix au Portugal, une nouvelle fois sous la pluie. L’année suivante, pour sa troisième saison en F1, il se classe 4 ème du championnat pilote derrière les intouchables Prost, Mansell et Piquet. Il est déjà un crack du paddock après seulement 3 ans en Formule 1.
C’est en 1988 que sa carrière va connaître un véritable tournant, lorsqu’il débarque chez Mclaren. Cette année là, l’écurie britannique écrase littéralement la concurrence. Prost et Senna remportent à eux deux 15 des 16 courses du championnat du monde, laissant une toute petite victoire à la Ferrari de Gerhard Berger.
Senna termine la saison 1988 avec en poche son premier titre de champion du monde et 13 pôles position.
Car toute la force, le talent, voire le génie de Magic Senna étaient là: cette capacité à donner le meilleur de lui-même, se surpasser sur une séance de qualification pour aller chercher la pôle. Seuls deux pilotes ont à l’heure actuelle battu ce record sur une saison: Nigel Mansell avec 14 pôles en 1992 et Sebastian Vettel avec 15 pôles en 2011.
Senna au volant de sa Lotus-Renault
Il remportera par la suite le championnat en 1990 et 1991 toujours avec Mclaren.
Par son tempérament offensif, son arrogance et son talent, il est adulé et est déjà une légende dans son pays natal.
Senna c’est d’abord un pilotage parfois à la limite du raisonnable: c’est un pilote qui aime le danger, se mettre en danger et pousser sa machine jusque dans ses derniers retranchements. C’est un pilote qui n’a pas froid aux yeux et qui peut prendre des risques inconsidérés, comme ce fut le cas sur les Grands Prix du Japon 1989 et 1990, où ses accrochages avec le pilote français Alain Prost sont entrés dans la légende du sport automobile.
Imola 1994 : Un week end en enfer
Prost ayant pris sa retraite Senna rejoint l’écurie Williams, considérée comme la plus performante du circuit. Alors qu’on lui promet la victoire en cette saison 1994, le Brésilien est concurrencé par un jeune pilote allemand du nom de Michael Schumacher.
Les deux premiers grands prix de la saison disputés au Brésil et sur le Grand Prix du Pacifique furent tous deux remportés par l’Allemand; bien que Senna eut décroché la pôle à deux reprises.
Le Brésilien n’a inscrit aucun point cette saison et n’est pas satisfait du rendement de sa monoplace. C’est donc après un début de saison raté qu’il se présente sur le circuit d’Imola à Saint Marin, troisième épisode de cette saison 1994. Ce circuit, l’un des plus rapides de la saison est également l’un des plus prestigieux : il se court sur les terres italiennes, les terres de la Scuderia Ferrari.
Néanmoins la fête annoncée n’aura pas lieu. Du vendredi 30 avril au dimanche 1er mai 1994 se succéderont une série d’incidents dont la gravité ira crescendo.
Dès le vendredi lors de la séance d’essai, la Jordan du prometteur Rubens Barrichello fait un accident spectaculaire. Sa monoplace, victime d’une crevaison décolle littéralement dans les airs avant de heurter le muret sur le côté de la piste. Elle retombe ensuite violemment sur le sol avec plusieurs tonneaux. Un crash terrible. Le pilote sort de la piste inconscient, blessé (nez cassé, poignet foulé) mais vivant. Un miracle.
Pourtant le pire est à venir. Samedi 30 mai 1994. Lors de la séance de qualification pour le Grand Prix de dimanche, Roland Ratzenberberg de l’écurie Simtek heurte également un des murs du tracé. Le pilote autrichien de 34 ans va y laisser la vie. Lors de son tour de chauffe, il rate un virage et se retrouve dans les graviers. Rien qui ne necessite de passer par les stands selon lui. Pourtant dans le tour qui suit, son aileron avant <sans doute été endommagé par cette sortie de piste> se bloque dans les roues. Le pilote ne peut ni tourner les roues, ni même freiner. Il tire tout droit et heurte le mur à plus de 300km/h. Un choc d’une violence rare. Après ce choc, sa Simtek n’a plus rien d’une F1. On sait déjà en voyant les images que le pilote n’aura pas la chance de Barrichello. Il meurt sur le coup.
Roland Ratzenberber est décédé sur la piste, cela ne fait aucun doute. Selon la justice italienne le circuit aurait donc dû être mis sous scellés. Mais les pressions (économiques ?) sont trop fortes, la course doit se dérouler ce dimanche 1er mai. Le pilote sera alors déclaré mort une fois dans l’hélicoptère vers l’hôpital. La course pourra donc se courir. Un gros soulagement chez les officiels.
Après tout, ce n’est qu’un pilote de 34 ans et qui plus est qui n’a terminé qu’une seule course en F1: peut-être que les interêts financiers sont passés avant la mort du pilote autrichien. Quoiqu’il en soit, cela n’est pas suffisant pour reporter ou annuler la course.
Pas pour Senna. Il est le premier à se rendre sur les lieux de l’accident, au grand dam des commissaires. Il tente de se concerter avec ses confrères pilotes afin que leur sécurité soit renforcée pour que ce type de drames ne se reproduise plus. Senna, touché par la mort du pilote autrichien, demande à courir le dimanche avec un drapeau autrichien dans son cockpit afin de pouvoir le brandir à la fin de la course en honneur du pilote décédé.
Sa nouvelle pôle position ce samedi apparaît alors comme anecdotique, il s’agira de la 65 ème et on ne le sait pas encore, de la dernière de sa carrière.
Une mort en direct
Dimanche 3 mai, 14h. Le départ est donc tout de même donné: Senna est en pôle devant Schumacher et Berger. Dès les premières secondes de la course, un carambolage entre Pedro Lamy et JJ Lehto vient suspendre les débats. La Benetton du Finlandais Lehto cale au départ et est percutée par la Lotus-Mugen de Lamy. Résultat: 4 blessés en tribune après que des débris des deux voitures s’y soient envolés.
La course est neutralisée par la voiture de sécurité durant 5 tours.
A 14h16, alors que la Safety Car est rentrée au stand depuis seulement un tour, Senna est en tête et essaye toujours de resister aux assauts du jeune Schumacher. En direct avec la caméra embarquée dans la monoplace de Michael Schumacher, à moins de 3 secondes de Senna, des millions de spectateurs assistent alors au drame. Dans la courbe de Tambourello la Williams en tête de la course tire tout droit et vient heurter le muret sur le côté de la piste. Dans cette Williams, Senna. Il a à peine le temps de freiner et de tourner les roues pour ne pas percuter le mur de manière frontale.
Pourtant le choc est brutal. Un choc à plus de 200 km/h. La violence à laquelle la monoplace percute le muret est telle que l‘on craint le pire. Mais Senna est un rock, une légende ; il survivra à ce choc pense-t-on.
Les télévisions repassent en boucle les images de cet incident. Les secours tentent de sortir le pilote accidenté de sa monoplace, non sans difficultés tant la Williams fut démolie par la violence du choc. Après de longues minutes à tenter de désincarcérer le corps de Senna, ce dernier est mis sous perfusion et perd beaucoup de sang. Les secours s’emploient à réanimer le Brésilien pendant plus de 15 minutes.
Les secours s’affairent autour de Senna, le tout en direct à la télévision
Les télévisions du monde entier diffusent ses images, des milliers de spectateurs assistent sans le savoir en direct aux derniers instants du champion. Les spectateurs devant leur poste attendent un signe encourageant, une bonne nouvelle mais n’assistent qu’à un autre fait de course: la monoplace du Français Caumas, toujours en piste 10 minutes après l’accident est tout près d’heurter les secours affairés autour de Senna.
Après 14h30, l’état du pilote accidenté est jugé trop préoccupant, il doit être transféré en hélicoptère à l’hôpital. Les premières informations ne sont pas rassurantes et font état de multiples blessures à la tête.
Transféré à l’hôpital de Bologne en hélicoptère, les médecins diagnostiquent un traumatisme cérébral très grave. A 17h39 son état est jugé dramatique. Peu après 18h, le héros de tout un pays est déclaré mort.
Ce n’est pas la vitesse ou la brutalité du choc qui ont été fatales à Senna, mais la colonne de direction de sa Williams. Cette pièce métallique est venue se loger dans le célèbre casque jaune du Brésilien, le touchant gravement au niveau de l’arcade sourcilière. Sur cette dernière course Senna pilotait la FW16, une évolution de la FW14 de 1991 de Nigel Mansell. Le pilote britannique souhaitait piloter avec un volant près du corps, spécificité qui se retrouvait sur la monoplace de Senna et qui ne lui convenait absolument pas. La taille de cette colonne de direction fut donc rétrécie en urgence sur demande du nouveau venue chez Williams. Une mauvaise soudure de cette colonne de direction serait la cause de la mort du triple Champion du Monde. Une longue bataille juridique fut lancée en Italie afin de déterminer les coupables dans cet incident: Frank Williams, Patrick Head et Andrian Newey de chez Williams mais également Fedrico Bendinelli, représentant de l’Autodromo Enzo e Dino Ferrari ; Giorgio Poggi, directeur du circuit et Roland Bruynserarde concernant la sécurité sur la piste. Ils seront tous acquittés entre 1997 et 2005.
Une légende devenue un mythe
La 3 ème victoire de la saison de Michael Schumacher devant Larini et Häkkinen est anecdotique. Le monde de la F1 est en deuil ce 1er mai 1994 et pleure son champion.
Avec la mort de Senna, c’est la disparition d’un des derniers coureurs « à l’ancienne » qui privilégiait les sensations et le pilotage pur et qui voyait d’un mauvais œil l’arrivée de l’informatique en F1. Il était en effet un fin tacticien qui « sentait » la course: avant chaque Grand Prix il insiste pour effectuer l’intégralité du circuit à pieds afin de s’en imprégner, de ressentir chaque virage, chaque courbe pour ainsi pouvoir mettre à son avantage ses qualités incroyables de pilotage.
La mort de Senna a entraîné une immense vague de tristesse dans son pays natal, le Brésil. 3 jours de deuil national sont décrétés, plus de 500 000 personnes se rassemblent pour saluer une dernière fois le roi. De son vivant, il était une légende mais sa mort en direct a fait de lui un mythe. Un film a d’ailleurs été tourné retraçant sa vie jusqu’à ce fameux 1er mai 1994. Il a rejoint au panthéon des pilotes mort sur scène les Gilles Villeneuve, Ronny Petterson, Monaco Bandini ou encore Nicky Lodda partis eux aussi trop tôt.
En outre, la mort de Senna fut une très bonne opportunité pour la F1 de continuer à grandir d’après les propos du très cynique Bernie Ecclestone:
Pourtant, la légende Senna n’est pas tout à fait terminée. On se rappelle au début des années 90 de Ayrton qui déclarait : « Si vous pensez que je vais vite, attendez de voir Bruno… ».
Il parlait bien entendu de Bruno Senna, son neveu. Un neveu qu’il considérait comme un fils. Malheureusement les prestations du jeune Senna n’ont jamais réussi à éblouir le monde de la F1. Avec 3 saisons en F1, 33 points en 46 Grands Prix, le Brésilien a choisi à 29 ans de ne pas poursuivre l’aventure F1 pour se tourner vers le WEC. Ayrton se serait-il trompé?
La Formule 1 devenait à l’époque un sport automobile dont les audiences se développaient de manière exponentielle à l’étranger. Cela explique en partie pourquoi cet incident a tant marqué l’histoire automobile: il fut le plus médiatisé de tous. Les images ont été relayées dans les médias du monde entier. Heureusement, après 1994 plus aucun pilote ne trouvera la mort sur un circuit de Formule 1. La sécurité des pilotes est primordiale en F1 tant les bolides sont rapides. Les évolutions connues depuis l’accident de Senna ont permis d’éviter le pire à de nombreuses reprises. On pense notamment au très spectaculaire accident de Robert Kubica en 2007 à Montreal qui s’en est sorti vivant. Un vrai miracle. Kubica aurait très certainement perdu la vie si cet incident avait eu lieu une dizaine d’années plus tôt. Espérons que cela continue ainsi et que Senna reste le dernier pilote à décéder au volant de sa monoplace.