« un temps aussi pourri pour mon
démarcquement que le Jour J
D le D-Day deux ans avant
sauf que ce mois de moi n’a geint que le 20 de juin
...
Sûrement des grincements de roues sur les
rails me parvenaient
périlleux au travers du péritoine
et des bruits de tampons qui n’étaient pas tant Pax Americana »,
le lecteur, habitué à la langue demarcq, pendant les quelques premières pages, se
pose question : en allé, le demarcq zoziotant ? Non, bien sûr ;
plus grave, oui. Le lecteur qui découvre le demarcq, en revanche, doit se
sentir comme happé par une écriture qui suscite curiosité, attractive. Le livre,
construit en trois parties, « Inventaire », donc, puis,
« Aventures », qui se substitue, paronomastiquement à « inventaire »,
pointant subtilement la démarche en-avant du narrateur, et non point passéiste,
et enfin « La danse du dos », le livre va crescendo dans le
(re)maniement de la langue du narrateur(-auteur). La première partie, en effet,
dans une manière (presque) sobre, proche
parente du Perros de La vie ordinaire,
où l’auteur, en vers légèrement démantibulés, comme l’est le corps de l’enfant
dès sa naissance, dont le narrateur se souvient, établit l’inventaire
autobiographique des lieux d’enfance mémorisés et faussement fictionnels (quelques
éléments ne laissent point dupe quant à la prétendue fictionnalité du récit),
au point de nous en délivrer le plan, jusqu’à leur épuisement, par saturation
des détails. Mais on regarde le légèrement démantibulé grandir et s’accentuer,
le grave et le désinvolte s’affronter, l’autodérision se développer, le livre
évoluer, et passer, en une deuxième partie, à une autobiographie de
l’environnement familial (entamée dans la première), où on lira un « Rexhumé du fouille-t-on », où les
mots « papa » et « maman », « ces premiers mots prononcés deviennent oiseux. [tiens donc, le
zozio pointe le bec] Et le « lien-guistique »
se distend entre le monde et l’enfant », le lien entre la petite histoire
et la grande histoire est malmené, évite l’écueil d’un lyrisme nostalgique et narcissique,
par quoi le narrateur nous fait traverser la seconde guerre mondiale. Pendant
la lecture, nous sommes très vite sensible à l’importance du locomotif, dans
son histoire, qui suit quasi celle des chemins de fer, un locomotif tombant dans
la prose en vers de l’auteur, « Je l’ignorais mais j’ai beaucoup appris / à faire
tourner des wagons des locos / qui étaient comme alignés sont les mots / des
miniatures d’action rêve ou pari / sur le sens toujours promis à bientôt /
se retourner / ou écouter le bruit / ce fruit dans le vers qui s’en est nourri » ; alors, l’amateur de Gérard de
Nerval, ne s’en prive pas... « Je
bruis, très vertébreux ; pas neuf : le dos coincé... », il la
bringuebale, cette prose ; la loco fait du Demarcq poète un drôle de « coco »,
peu à peu, le narrateur se libère du carcan prosodique et peu à peu il se
détache de son cadavre vivant et se fait auteur, poète reformant la langue, se
libère des malformations physiques (le dos de travers, la main palmée) pour
quasi les transformer en art poétique, les saisissant pour les conduire à une
malformation du « lien-guistique » entre corps et verbe, puis à une
danse verbale entre le toponyme natal, l’Oise, et le patronyme familial,
Demarcq ; la langue-danse du poète, matoise, qui invente la langue zozio,
« la peau oisie parle »,
une langue qui se déchaîne, en partie finale, « la danse du dos », atteignant
l’acmé du crescendo verbal ; la sobriété malicieuse n’est plus de rigueur,
le sonnet est retoqué ; la colonne vertébrale, si elle provoque la grimace
de douleur, elle fonde le poème demarcquien, « ma colonne sort de l’axe/déplaçant chaque ver/tèbre en cadre à strophes ».
La dernière partie, avec sa référence à la danse buto, est une danse
joyeusement macabre, « avec un bruit
d’os dans les phrases », et c’est tout l’intérêt du travail langagier de
Demarcq, entre le sérieux et le dérisoire. En conséquence, contrairement à ce
qu’indiquerait le titre, en trompe-pensée, c’est la naissance d’une langue, qui
nous est donnée à lire, la vocobiographie de la langue zozio.
[Jean-Pascal Dubost]
Jacques
Demarcq
Avant-taire,
roman en vers
éd. Nous
176 p., 18 €