Le Droit naturel : analogie avec le langage

Publié le 19 juin 2013 par Copeau @Contrepoints

Initiation au droit naturel classique par l’intermédiaire d’une analogie avec le langage.

Par Aurélien Biteau.
Si la plupart des libéraux s’accordent sur la nocivité de l’inflation législative fondée sur une certaine forme de positivisme juridique et défendent le droit naturel, il existe pourtant des divergences quant à la définition de celui-ci. Sans compter que certains vont jusqu’à dire que le droit naturel n’existe pas.

Deux grandes conceptions du droit naturel se distinguent : l’une classique, fondée sur le réalisme philosophique et née dans l’Antiquité ; l’autre moderne, davantage idéaliste et développée durant la période moderne (XVI-XVIIIè s.).

La version moderne du droit naturel a remporté un succès important en se trouvant être le socle essentiel du libéralisme en tant que philosophie politique : Hobbes, son précurseur, Locke, et les grands textes révolutionnaires (la Bill of Rights anglaise de 1689, la Bill of Rights américaine de 1789, la DDHC française de 1789, etc.) en ont posé les jalons, repris et développés par de nombreux philosophes, économistes et hommes politiques dont Bastiat, Ayn Rand ou autre Rothbard comptent parmi les plus populaires.

Leur essor, suivi par leur corruption sous la forme des Droits de l’Homme contemporains et du positivisme juridique, a mis en retrait la conception classique du droit naturel, voire l’a rendue presque inintelligible à nos contemporains, si bien que cette conception a connu un déclin intellectuel important, malgré l’intérêt qu’elle représente pour la défense de la liberté.

Par cet article, je souhaiterais mener une sorte d’initiation au droit naturel classique par l’intermédiaire d’une analogie avec le langage (le français servira de cas concret). En effet, le langage est l’exemple le plus intuitif et le plus simple à comprendre de phénomène spontané. Or le droit classique participe comme lui de l’ordre spontané et présente donc des points de similarité.

Tout d’abord, dans la conception classique, le droit est une chose. Le droit est objectif, et non pas subjectif : il ne se trouve pas dans les individus, il n’appartient pas au sujet et n’est pas une faculté de ceux-ci, ni un pouvoir. Les individus ont la faculté d’agir, de croire ou de penser, mais le droit n’est pas une faculté de l’individu et ne se confond pas avec celles-là.

De la même façon, le français est une chose objective. On peut étudier le français sans avoir à étudier les individus français. Bien sûr, les Français ont la faculté de parler français, et les étrangers de l’apprendre. Mais cette langue, comme le droit, n’appartient pas au sujet. Il s’en distingue.

Second point : le droit permet de résoudre des conflits juridiques réels, c’est-à-dire qui se posent réellement dans la société. Il ne s’agit pas d’analyser l’idée abstraite de l’Homme pour y trouver l’idée des conflits qu’il peut rencontrer et l’idée du droit vrai immuable. Nulle question de fiction juridique entre Robinson et Vendredi. Le droit naturel classique consiste à trouver, par les conflits réels proposés au juge, les solutions de droit appropriées.

Dans le cas du langage, personne ne s’amuse à chercher dans l’idée de l’Homme son juste langage, nulle ne fait de propositions de la bonne langue à partir de robinsonnades. Spontanément, le langage se développe pour faciliter la compréhension entre les hommes réels.

Troisièmement, le droit est évolutif. Les conflits réels changent au cours du temps, au fur et à mesure des progrès économiques, des innovations technologiques ou bien de l’essor de tel ou tel type de philosophies ou religions. Par conséquent, les solutions de droit du passé peuvent ne plus être celles du présent. L’esclavage, par exemple, a disparu, mais la propriété est restée et nous faisons encore usage du vocabulaire juridique romain sur ce point.

Il en va de même pour le langage comme chacun sait. Le français évolue constamment, et il serait difficile de comprendre aujourd’hui un Français du XVIè s. Les facteurs influençant l’évolution de la langue sont par ailleurs plus ou moins les mêmes que ceux qui influencent le droit.

Quatrièmement, le droit n’est pas identique d’une société à l’autre. Le droit résout des conflits réels ayant lieu dans des groupes particuliers. Par conséquent, il ne saurait être identique pour tous.

La langue ne diverge pas sur ce point : elle n’est pas partout la même. On ne parle pas la même langue en France et en Espagne ou en Chine, et même au sein d’un même groupe linguistique, il existe des différences. On ne parle pas le même français au Québec et en France. En France, par ailleurs, on se dispute entre « pain au chocolat » et « chocolatine », tandis que le français populaire n’est pas celui châtié des intellectuels. Rien de ceci n’est grave, puisque la fin du langage est la communication et la compréhension au sein d’un ordre à multiples degrés.

La communication est plus difficile entre deux groupes linguistiques distincts. De la même façon, il est plus difficile de trouver le droit lors de conflits opposant des individus de groupes distincts.

Cinquièmement, le droit est objet de connaissance. Le juge a pour fonction de connaître et dire le droit. Ceci nécessite de compiler les solutions de droits, c’est-à-dire les jurisprudences. Ces compilations de jurisprudences ont une valeur importante dans la mesure où elles offrent au juge des solutions de droit valides lorsque des cas similaires lui sont présentés. Mais elles ne sont pas immuables et peuvent disparaître. En aucun cas le droit n’est une loi. Le juge ne commande pas, il dit le droit.

Ainsi en est-il du langage et du français. Même si nous parlons spontanément le français, nous l’apprenons en vue de communiquer et comprendre, et pour ce faire, nous utilisons des « compilations » de grammaire, de conjugaison et de vocabulaire. Le dictionnaire est une compilation du vocabulaire utilisé à une époque donnée. Chaque année des mots y entrent et d’autres disparaissent. Mais les mots du dictionnaire n’ont pas de valeur absolue, si bien que les usages évoluent. Un dictionnaire du siècle dernier est complètement différent d’un dictionnaire actuel.

Sixièmement : nul ne décrète ni ne planifie le droit. Le juge cherche, puis dit le droit. Il ne l’invente pas. Le droit n’est pas plus antérieur aux contingences du réel et n’est pas un commandement de la raison. Il n’y a pas de droit universel et immuable.

Personne n’a planifié le français. On peut toujours essayer de construire une langue ex nihilo, comme l’est plus ou moins l’esperanto. Ça n’en fait pas une langue pour autant si elle n’est pas utilisée et ne facilite pas la communication entre les individus, malgré ses intentions. Il n’existe pas de vrai langage de l’Homme.

Septième et dernier point : le droit tend vers un équilibre juridique et a pour but la justice, en limitant les conflits et en présentant les solutions de droit adaptés aux conflits réels, spontanés. Mais le droit n’est pas l’équilibre juridique lui-même.

C’est la même chose pour le langage qui reste imparfait. Il facilite la compréhension des individus et son évolution a toujours cette fin, mais il reste possible que des individus arrivent à ne pas se comprendre parfois.

Comme le langage, le droit est un phénomène spontané. Contrairement aux droits naturels modernes et à tous les systèmes légalistes, le droit n’a aucune prétention à l’absolu, à l’universel ou à l’immuable. Et pourtant si le caractère utopique d’un langage construit saute aux yeux, il peut être difficile de percevoir le caractère utopique des droits naturels modernes, qui appartiennent par ailleurs davantage au champ moral qu’au champ juridique.