La jolie dame de la chambre 202 a commencé par me demander de l'aide pour récupérer les photos de son iPhone. Il s'agissait de mettre en pratique les conseils du vendeur de l'Apple Store, conseils qu'elles avaient compris mais bon pas tout à fait. Je l'ai aidée quelques minutes. Le lendemain, c'est avec son mari qu'elle s'est présentée à moi.
"Où pourrions-nous aller, à quelques heures de Paris, pour voir du beau pays, de jolis endroits ?"
Les deux trois minutes à évoquer le champ infini des possibles, à suggérer la Côte Basque, peut-être un peu trop loin tout compte fait. Ils renchérissaient : "Et Bordeaux ?" Oui mais ce serait loin de l'océan. Du moins il leur faudrait prendre le train ou le car ou une voiture. Certes il y avait la ville bourgeoise redevenue belle, les routes des vins dans le Médoc etc. Mais avec cette chaleur... Et pourquoi pas la Normandie ? Honfleur, Deauville. Un déjeuner aux Vapeurs, à Trouville.
Réceptionniste, je me fais concierge. A trimer sur le site de la SNCF. Navigation trop alambiquée pour deux jeunes sexagénaires qui disaient ne piper mot à l'Internet. Cinq minutes, cela me prendrait cinq minutes. Eux, marmonnaient-ils, pffff ça leur prendrait des heures. Alors bon joueur je m'attelle à la tâche et leur réserve billets de train et nuits d'hôtel. Sur Booking.com nous dégotons leur bonheur, je leur propose d'appeler l'hôtel en question. D'hôtelier à hôtelière, je marchande un peu. Et avec force politesse, j'obtiens une ristourne de 200 euros (les commissions dévolues à Booking passeront à la trappe), z'ont bien fait de me laisser faire, Margaret et Ronald d'Albuquerque.
Accoudés à la réception, sous l'œil mi-las mi-amusé de ma patronne, nous finalisons leur réservation et ils me parlent de leur séjour à Paris. "C'est étonnant comme tout le monde est gentil avec nous. On sait que vous n'aimez pas trop les Américains. Nous, on aime les Français. Et, oooooohhhh, on s'excuse teeeelllllllemeeeent pour le président Bush et compagnie."
Peinant à dissimuler leur joie, alors que cela fait une bonne demi-heure que je ne m'occupe ni des mails, ni des appels (reportés), ni des clients passant régler leur note, ou juste j'encaisse, Margaret et Ronald me parlent un peu d'eux, me font parler de moi. Ce qui je l'avoue ne m'est pas difficile. Nous sympathisons. Assez pour les taquiner lorsque la discussion se poursuit plus tard sur le perron de l'hôtel. Ils s'apprêtent à sortir dîner dans le quartier. Ronald avoue : "C'est vrai, je suis souvent à râler, ronchonner, oui, vous avez raison, mais vous savez, je suis avocat, entre le bien-fondé de votre charmante théorie du verre à moitié plein et les raisons objectives de se plaindre, il y a un monde et je l'explore." Sous le regard enjoué et complice de sa compagne, je réponds : "Voyez comme vous vous justifiez, voyez comme vous perdez votre temps à justifier la plainte." Je conclue non sans tapoter amicalement le bras de mon hôte avocat par : "Votre mauvaise humeur lasse votre épouse, elle vous emmène à Paris." Elle et son compagnon se regardent et éclatent de rire.
Prenant congé, Ronald me lance un jovial : "Un jour, nous visiterons votre Périgord natal et Bergerac aussi."