Ils ignoraient
Que la beauté de l’homme est plus grande que l’homme
Ils vivaient pour penser ils pensaient pour se taire
Ils vivaient pour mourir ils étaient inutiles
Ils recouvraient leur innocence dans la mort
Ils avaient mis en ordre
Sous le nom de richesse
Leur misère leur bien-aimée
Ils mâchonnaient des fleurs et des sourires
Ils ne trouvaient de cœur qu’au bout de leur fusil
Ils ne comprenaient pas les injures des pauvres
Des pauvres sans soucis demain
Des rêves sans soleil les rendaient éternels
Mais pour que le nuage se changeât en boue
Ils descendaient ils ne faisaient plus tête au ciel
Toute leur nuit leur mort leur belle ombre misère
Misère pour les autres
Nous oublierons ces ennemis indifférents
Une foule bientôt
Répétera la claire flamme à voix très douce
La flamme pour nous deux pour nous seuls patience
Pour nous deux en tout lieu le baiser des vivants.
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Paul Éluard (1895-1952) – Le Lit la table (1944)