« En tout homme, il y a un Didier Lembrouille qui sommeille » (Professeur Blequin)
Cliquez pour agrandir.
Devezh mat, Metz, mont a ra ? Voilà déjà presque un mois que je n’avais pas alimenté cette rubrique qui me tient pourtant à cœur ; il faut dire que ça fait à peu près autant de temps que je m’enfonce dans la déprime la plus profonde, désespérant de voir un jour une embellie se profiler à l’horizon, aussi bien au niveau de la météo qu’à celui de l’actualité politique et sociale. De plus, en faisant le portrait de Marine Le Pen, j’avais atteint, il faut bien le dire, le fond de l’horreur… Pour toutes ces raisons, pour une fois, histoire de se remonter le moral, je vais faire le portrait d’une personnalité que je ne déteste pas ; ça ne m’était pas arrivé depuis la nécrologie de notre regretté collaborateur Céno il y a déjà trois mois…
Vous avez appris comme moi la nouvelle : Antoine de Caunes remplacera Michel Denisot aux commandes du Grand journal de Canal+ en septembre prochain. On s’en doutait depuis un moment, notamment depuis que TF1 a relancé Tournez manège et Le juste prix, mais c’est désormais certain : la télévision a de l’avenir…derrière elle. Faute d’avoir le courage de miser de l’argent sur de jeunes talents en herbe et sur des idées nouvelles, les patrons de chaînes préfèrent recycler les gloires du passé et les concepts usés jusqu’à la corde ; même Canal+, qui s’enorgueillissait pourtant jadis d’avoir lancé tant d’artistes, se contente de puiser à la source de ses succès passés. Bon, à la décharge de ces patrons de chaîne, il est vrai que les programmes des années 1980-1990 passent aujourd’hui pour des divertissements populaires bien innocents en comparaison des « nouveautés » dont on nous a gratifié depuis ; les critiques télé issus des rangs de l’élite éclairée, du moins autoproclamée comme telle, vouaient aux gémonies la télévision de cette époque et n’auraient jamais cru qu’ils en arriveraient à devoir regretter les programmes de ces années-là ! De plus, à l’époque, Canal+ en général et Antoine de Caunes en particulier échappait aux foudres desdits critiques…
Je parle ici d’un temps que les moins de quinze ans ne peuvent pas connaître : en ce temps-là, la chaîne cryptée maintenait vivace l’espoir d’une télévision qui ne serait pas simplement, pour reprendre les mots de François Rollin, une pauvre machine à profit sans foi ni loi ne distillant que de la médiocrité et de l’eau grise. L’illusion, qui n’a pas duré très longtemps, était notamment entretenue par De Caunes dont les interventions comiques n’avaient rien de véritablement subversif mais avaient au moins le mérite de donner un souffle de vie à un monde télévisuel qui tendait déjà alors à être de plus en plus formaté ; l’un des plus célèbres de ses personnages, Didier Lembrouille, était loin d’être aussi redoutable qu’il n’y paraissait, quiconque écoute attentivement les interventions de ce voyou de banlieue caricatural s’aperçoit que la violence verbale à l’égard de l’invité est davantage dans la forme que dans le fond, mais c’était déjà beaucoup dans l’univers habituellement très policé de la télévision où la retenue est normalement de mise et cela suffisait même à ce que, aux côté d’un Philippe Gildas aux attitudes plus strictes, De Caunes joue pleinement son rôle de soupape qui offrait aux téléspectateurs et acteurs de l’émission un défouloir rendant supportable la politesse de mise dans les talk-shows où tout est fait pour laisser l’invité faire sa « promo » sans être perturbé.
Le 4 novembre 1994, à l’occasion des 10 ans de Canal+, les rôles ont été exceptionnellement inversés sur le plateau de Nulle Part Ailleurs : pour une fois, Gildas a joué le trublion à la place de De Caunes en endossant le costume de Fernand Lembrouille, le père de Didier. La performance tenait plus de la curiosité qu’autre chose car, ce soir-là, ce brillant animateur se révéla un piètre comédien ; quand on revoit cette séquence aujourd’hui, elle sonne comme un avertissement, on a l’impression qu’en se prêtant ainsi au jeu, Gildas avertit implicitement que personne ne pourra jamais remplacer Antoine De Caunes dans ce rôle et, de fait, lorsque ce dernier quittera Nulle Part Ailleurs en 1995, personne ne secondera aussi efficacement Philippe Gildas aux commandes de l’émission culte de la chaîne à péage, amorçant le déclin de de l’émission, déclin que précipitera le départ de Gildas deux ans après. Mais surtout, en se permettant de caricaturer De Caunes et en présupposant donc que le public connaissait suffisamment bien les « pignolades » de son acolyte, Gildas annonce que ce rôle de trublion collera à la peau du « petit scarabée » (comme l’appelaient le Guignols), ce rôle étant désormais constitutif non plus simplement d’une réputation mais carrément d’une légende qui allait effacer tout ce qu’il avait fait avant et même toutes ses initiatives futures : on a presque oublié qu’il était le fils de Georges De Caunes et de Jacqueline Joubert, Les enfants du rock et Rapido sonnent quasiment comme une préhistoire dans sa biographie, un « en attendant mieux » avant Nulle Part Ailleurs. L’après-NPA, ce n’est pas mieux : sa carrière cinématographique n’a jamais été vraiment à la hauteur des espérances qu’il a dû placer en faisant le pari de quitter l’émission mythique qu’il co-présentait (qui regarde encore aujourd’hui Les deux papas et la maman, la comédie où il donne la réplique à Smaïn ?), sa fille Emma et son ex-bras droit José Garcia ont eu dans le cinéma des parcours plus florissants que le sien et rien, pas même Eurotrash et ses neuf présentations de la cérémonie des Césars, ne peuvent faire oublier le rôle clé qu’il a joué dans l’alchimie de Nulle Part Ailleurs…
En faisant appel à lui pour donner un nouveau souffle à une émission-vedette dont l’audimat est en baisse, Canal tente une énième fois de renouer avec son âge d’or et on est tenté de penser que la chaîne à péage réalise enfin, après un détour de 18 ans, ce qu’il aurait fallu faire dès le départ de Gildas. Mais la carte De Caunes sera-t-elle forcément gagnante ? Pas sûr : pour commencer, l’animateur, presque sexagénaire, n’est plus tout à fait le jeune trublion pêchu que le grand public a connu, et quand bien même, cela suffirait-il pour faire sortir de sa léthargie cette Mecque du conformisme qu’est devenue Le Grand journal ? Le public garde d’Antoine De Caunes l’image d’un bras droit rigolo : sera-t-il aussi à son aise dans le rôle de grand manitou qu’il laissait autrefois à Gildas ? Réponse à la rentrée télé prochaine… Quoi, qu’est-c’est la tapette, là, heiiin ? Kenavo, les aminches !