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Les Damnés: La Malédiction des Petrova – Chapitre XXVI

Par Artemissia Gold @SongeD1NuitDete

-   Qu’est-ce qu’on attend? demanda Noura en essayant de capter l’attention de Goran.

Le sorcier s’était brusquement arrêté sur les marches du perron de son ancienne demeure et fixait étrangement la porte d’entrée. Devant l’absence de réponse, Elijah s’avança vers lui pour lui faire face. Les traits tirés du vieil homme trahissaient à la fois fatigue cumulée à cause des événements des derniers jours mais également  une certaine perplexité que le vampire ne s’expliquait pas.

-   Goran ? Que se passe-t-il ? interrogea à son tour Elijah en posant une main sur son épaule pour le faire réagir.

-  Quelqu’un a jeté un sort pour protéger l’accès de la maison, répondit-il en laissant promener son regard sur la façade envahie par le lierre et les ronces.

Noura et Elijah échangèrent un regard dans lequel on lisait la même incompréhension.

-   Je croyais que personne ne connaissait cet endroit, hasarda Noura.

-   Personne à part Anton. Je ne m’explique pas ce qui l’a poussé à faire cela : la maison est abandonnée depuis des années.

-   Vous pouvez lever le sort ? demanda Elijah

Le vieil homme acquiesça de la tête.

-   Alors qu’est-ce que vous attendez ! On ne va pas rester plantés là toute la journée, s’emporta Noura épuisée et à bout de nerfs.

-    Noura ! Je te rappelle que sans lui, tu serais toujours dans ce cachot. Alors change de ton ! ordonna Elijah furieux en se plantant devant elle.

-  Et moi je te rappelle qu’il fait partie, lui-aussi, du conseil et que je n’ai aucune confiance en lui après ce qu’il a fait à Anya.

Elijah détourna le regard vers Goran, qui tête baisse, semblait affecté  par les propos de la jeune femme. Lui non plus n’avait eu aucune confiance en lui lorsque quelques heures plus tôt, le sorcier avait fait irruption dans cette auberge de la ville dans laquelle il s’était isolé pour faire le point. Il l’avait pourtant écouté et s’était senti soudain proche de cet homme qui avait voué une partie de sa vie à une cause, et qui voyait son existence et ses certitudes remises en cause par ces deux insupportables et ingérables  jeunes femmes. La confession du vieil homme l’avait touché, ses révélations avaient fini par le convaincre de lui faire entièrement confiance. Il restait maintenant à convaincre  les deux sœurs d’en faire autant, ce qui s’avérait être une tâche des plus ardues.

Goran se redressa soudain et inspira profondément :

-  Vous pouvez entrer. Le sort est levé, décréta-t-il en franchissant le seuil de la maison.

Les deux vampires lui emboîtèrent le pas. Il régnait à l’intérieur de la maison une fraîcheur qui contrastait avec  la chaleur étouffante de cette fin d’après-midi de fin de l’été. Noura frissonna. Elle réalisa soudain en entrant  dans la douce pénombre de la maison qu’elle avait pu se déplacer en plein jour. Son regard se porta sur l’anneau qu’elle portait au doigt puis sur l’encadrement de la porte d’où pénétrait la lumière aveuglante du soleil. Sa gorge se serra.

-   Vous devez vous sentir complètement dépassée par tout ce qui vous arrive. Cela fait beaucoup de changements à gérer en peu de temps pour une si jeune personne, compatit Goran en voyant le soudain désarroi de la jeune femme.

Noura se crispa en entendant les paroles du vieil homme qui lui souriait avec bienveillance et qui  retranscrivaient si parfaitement ce qu’elle ressentait. Elle se détourna  et lutta pour réprimer les larmes qui lui embrumaient déjà la vue.

-  Elijah vous vous voulez bien nous laisser et inspecter la maison. Il doit bien y avoir une raison pour qu’Anton ait jeté un sort pour en protéger l’accès. Noura et moi, nous avons à parler, demanda Goran.

Le vampire attendit que le sorcier ait refermé les deux battants de la porte menant à ce qui semblait avoir été un bureau pour gravir l’escalier vermoulu qui craqua sous ses pas à chaque marche. Il régnait dans  la maison un silence apaisant, presque religieux. Elijah, les sens aux aguets, s’enfonçait dans le sombre couloir de chaque côté duquel s’alignaient les portes fermées des chambres. Soudain, il se figea, les sourcils froncés d’étonnement et persuadé d’être trahi par ses propres sens. Un parfum suave et familier parvenait jusqu’à lui. Il tenta d’en repérer la provenance et s’arrêta devant l’une des portes entrouvertes qu’il poussa doucement. Il retint son souffle en voyant le corps d’Anya étendu sur le lit. L’image de celui sans vie de Noura dans l’auberge lui revint brutalement à l’esprit. Il se précipita vers elle et expira bruyamment de soulagement en voyant le mouvement régulier de sa respiration animer la poitrine de la jeune femme.

-   Noura !

L’écho de son appel se répercuta dans toute la maison.  Lorsque Goran et la jeune femme apparurent quelques secondes plus tard dans l’encadrement de la porte, Noura ne put réprimer un cri qu’elle étouffa de ses deux mains en voyant le corps inerte de sa sœur.

-   Est-ce qu’elle est…, articula-t-elle avec difficulté en se précipitant à son chevet.

-   Non, elle est juste inconsciente, la rassura Elijah.

Le vampire céda sa place et se tourna vers Goran dans l’espoir que le sorcier pourrait apporter des explications.

-    Pourquoi votre fils l’a-t-il emmenée ici ? Que lui a-t-il fait ? insista-t-il plus brutalement qu’il n’aurait voulu.

-    Je ne sais pas… Je ne savais pas qu’elle était ici, bredouilla-t-il sans détacher ses yeux des deux jeunes femmes.

-  Faites quelque chose ! Si Anton lui a jeté un quelconque sort, brisez-le maintenant! s’emporta Noura en se relevant brusquement pour venir défier le sorcier.

~*~

L’après-midi était déjà bien avancée lorsqu’Anya sortit le plus discrètement possible des cuisines dans lesquelles  elle s’était réfugiée pour éviter Klaus, persuadée à juste titre qu’il n’y mettait jamais les pieds. Anton n’allait pas tarder à arriver et il fallait maintenant trouver un moyen de l’éloigner du château suffisamment longtemps pour que le sorcier s’empare de la pierre et du livre. Elle avait passé une partie de la journée à échafauder un plan qu’elle savait plus qu’incertain compte tenu du caractère imprévisible  du vampire. Elle avait trépigné d’impatience toute la journée mais maintenant que le moment approchait, elle ne pouvait s’empêcher d’éprouver une réelle appréhension.

Elle gravit rapidement les marches qui conduisaient au rez-de-chaussée. En passant devant, le miroir sur le mur du vestibule lui renvoya l’image d’une jeune femme rousse aux yeux clairs et à l’allure arrogante. Anya ne put s’empêcher de se demander ce qui poussait cette femme apparemment si sûre d’elle et au fort tempérament à rester ici en compagnie d’un homme qui, elle avait pu le constater depuis son arrivée, se servait d’elle et qui la tuerait à la première occasion. Un léger bruit provenant de la grande salle à manger la tira de ses pensées. Elle en poussa doucement la porte et passa la tête par entrebâillement.

Assis au bout la monumentale table  qui trônait au centre de la pièce et qui en occupait toute la longueur, Klaus, les pieds négligemment posés sur cette dernière, portait à ses lèvres une coupe de vin. En percevant la présence de la jeune femme, il suspendit son geste. Sa mâchoire se serra, et bien qu’Anya ne le vît que de profil, cette brève crispation ne lui échappa pas. Elle aurait volontiers battu en retraite mais le temps pressait. Elle pénétra dans la pièce  et s’avança lentement vers la table.

- Je crois avoir trouvé un moyen de localiser Anya mais il me faut des ingrédients particuliers. Tu m’accompagnes ? mentit-elle en tâchant de maîtriser les tremblements de sa voix.

Un sourire torve apparut sur les lèvres du vampire. Il se redressa sur son siège et posa sa coupe devant lui.

-  Mais si je t’accompagne qui va accueillir notre invité…ou peut-être nos invités ? Qui va le ou les conduire jusqu’à la pierre ? Et imaginons que je l’emmène en balade avec nous,  s’amusa-t-il en sortant la pierre de lune de sa poche.

Le cœur battant à tout rompre, le souffle court Anya sentit ses jambes se dérober sous elle.

-   Assieds-toi, ordonna-t-il d’un ton dur qui ne souffrait pas la désobéissance.

Anya obtempéra tout en restant à bonne distance. Elle soutient un moment ce regard bleu intense qui semblait vouloir la transpercer avant de baisser la tête et de porter une main à son front. Elle éprouva soudain un inexplicable soulagement à ne plus avoir à jouer cette comédie. Mais Klaus n’était pas disposé à cesser la sienne :

-    Alors dis-moi qui doit venir ? Un sorcier ? Anton sûrement… ou peut-être Noura ? ou Elijah ? ou les deux … maintenant que je les ai réunis pour l’éternité, ils vont vite devenir inséparables, continua-t-il avec un sourire narquois.

Anya releva brusquement la tête, horrifiée :

-   Qu’est-ce que tu as fait à ma sœur ? articula-t-elle le souffle court.

Klaus laissa échapper un ricanement en voyant le visage décomposé de la jeune femme qui ne cherchait même plus à cacher quoi que ce soit:

-  Et dire qu’en te le disant dès le premier jour, tu m’aurais épargné tout ton petit numéro. Cela aurait été dommage, ceci dit…belle performance…surtout la scène de ce matin, elle m’a presque fait douter.

Anya se releva si brusquement qu’elle renversa le fauteuil sur lequel elle était assise.

-   Ça suffit ! Si tu veux me tuer fais-le mais cesse ce petit jeu, s’emporta-t-elle.

Le sourire que le vampire affichait jusque là s’effaça soudain. Il se leva et s’avança lentement vers la jeune femme qui lutta pour ne pas lui donner la satisfaction de s’enfuir. Il avança une main pour dégager une mèche rebelle qui  lui barrait le front. Elle tressaillit sous le léger contact de ses doigts sur son visage.

-  Cela n’est pas un jeu ma belle, commença –t-il. Et je n’ai pas l’intention de te tuer…pour le moment en tout cas. Maintenant que je t’ai sous la main, tu vas m’aider à éclaircir les quelques points qui restent encore très confus au sujet de cette maudite malédiction. Qui est cette mystérieuse clé liée à votre sang ?

-  Je ne sais pas et quand bien même je ne t’aiderai pas à lever le sort, répliqua-t-elle en soutenant son regard.

Klaus plissa les yeux et scruta le visage buté de la jeune femme. Même s’il ne pouvait s’empêcher d’admirer son sang froid et son aplomb, il se sentit perdre patience. D’une main, il agrippa le rebord de la lourde table et l’envoya voler  à travers la pièce. Le meuble alla s’écraser contre le mur opposé dans un fracas tel qu’Anya porta instinctivement ses mains à ses oreilles.

-  Je ne crois pas t’avoir donné le choix, fulmina-t-il en la saisissant brutalement par la nuque. Je veux que tu me rendes tout ce que tu m’as pris !

-   Je….

Sa phrase resta en suspend. Sur son visage, Klaus perçut l’espace d’une seconde une totale incompréhension avant que la jeune femme ne s’effondre au sol.

 ~*~

Le réveil brutal d’Anya surprit les deux vampires et le sorcier. Elle se redressa brutalement faisant sursauter Noura assise à ses côtés. Elle les dévisagea, l’air hagard et désorienté.

-   Que s’est-il passé ? Où est Anton ? demanda-t-elle en inspectant  nerveusement ces lieux inconnus du regard.

Les trois autres s’échangèrent un regard interrogateur.

-   Nous aimerions bien le savoir, répondit Noura.

Anya fixa soudain son attention  sur le visage  de sa sœur. Elle chercha un bref moment à percevoir au travers de ce regard dans lequel elle pouvait lire une réelle inquiétude  un quelconque changement, une quelconque trace de sa transformation. Elle eut une brève hésitation  avant de l’enlacer frénétiquement.

-   Mon Dieu Noura ! Je suis tellement désolée de ce qu’il t’a fait.

Surprise, Noura s’écarta :

-   Comment le sais-tu ? s’exclama-t-elle perplexe.

Anya jeta un bref regard en direction de Goran dont la présence la rendait méfiante et  hésita un moment avant de répondre :

-  Anton m’a permis d’approcher Klaus grâce au corps de cette sorcière, Véra, pour que je puisse récupérer la pierre et le livre.

Goran se raidit, interloqué par ce qu’il venait d’entendre :

- Vous n’avez pas osé faire une chose  aussi insensée ! exclama-t-il hors de lui. On peut dire que vous êtes bien trouvés tous les deux : aussi inconscients l’un que l’autre !

Le vieil homme porta sa main à son front et se mit à arpenter la chambre d’un pas rapide  pour tenter de calmer l’angoisse soudaine qui venait de l’étreindre. Anya bondit du lit pour aller se planter devant lui, interrompant ses va et vient.

-   Vous devez inverser le sort tout de suite. Anton est en chemin  pour le château et va se retrouver seul face à Klaus et Véra.

-   Tu n’es pas sérieuse, j’espère ! intervint vivement Noura.

-   On doit avertir Anton. Klaus est au courant de tout, insista Anya.

-  Klaus est au courant de tout et toi tu veux retourner  là-bas ?! Tu cherches à te faire tuer ou quoi ? s’emporta Noura outrée de l’inconscience de son aînée.

-   Noura a raison. Il est hors de question que je vous mette tous les deux en danger, trancha Goran. Je vous interdis de bouger d’ici avant que l’on trouve une solution pour neutraliser Klaus.

Anya se raidit devant le ton autoritaire du sorcier et le dévisagea d’un air buté :

-  Vous n’avez aucun ordre à me donner, souffla-t-elle.

Le vieil homme soutint le regard noir de la jeune femme et s’approcha imperceptiblement.

-  J’ai au contraire toute légitimité pour vous donner des ordres et vous empêcher de faire n’importe quoi, petite inconsciente, répondit  Goran d’une voix calme mais ferme.

Craignant que la situation ne s’envenime,  Noura se retourna en direction d’Elijah, resté en retrait, et l’interrogea du regard sur l’attitude à adopter. Le vampire lui fit un geste de dénégation pour lui déconseiller d’intervenir. Lui aussi d’ailleurs aurait préféré ne pas se mêler de tout cela. La tournure que prenaient les  événements lui déplaisait de plus en plus. Veiller sur ces deux insupportables têtes de mules étaient une chose, mais les aider à nuire à Klaus lui paraissait, malgré ce qu’il avait fait, encore inconcevable. Il leva les yeux au ciel, par avance consterné par ce qu’il allait proposer mais qui lui sembla être un compromis acceptable.

-  Je m’occupe d’Anton, décréta-t-il empêchant ainsi Anya de répliquer. Je vais tâcher d’intercepter cet imbécile avant  que Klaus ne balance sa tête au fond d’un ravin.

-   Je t’accompagne, proposa Noura.

Elijah sourit imperceptiblement et caressa le visage aux traits tirés marqué par la fatigue.

-   Je ne crois pas non. Et puis, vous devez rester en famille, vous avez tous les trois beaucoup de choses à vous dire, dit-il en échangeant un regard de connivence avec Goran.

Les deux jeunes femmes, les sourcils froncés, échangèrent un même regard d’incompréhension avant de le diriger vers Goran.

-   Je vous souhaite bon courage et compatis sincèrement. Je suis sûr que le caractère de Waleda va  vous sembler doux et agréable en comparaison de celui de ces deux là,  ironisa Elijah en voyant un étonnement emprunt d’aversion apparaître sur le visage des deux jeunes femmes qui venaient subitement de comprendre.

-  C’est pas vrai… Nom de Dieu! jura Noura.

-  Surveille ton langage, Noura. Un peu de respect envers ton grand-père, la réprimanda Elijah.


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