Quand son album est sorti, j'ai eu très envie d'en parler ici et puis... Je me suis dit qu'il allait avoir suffisamment de publications consacrées pour que je me permette d'éluder la mienne si le temps venait à manquer.
Comme il se trouve que cette année, il m'a été bien compliqué de gérer cet espace seule et bien -je n'en suis pas fière- ce billet est passé à la trappe. Disons plutôt que mon ébauche d'article est partie en direction des brouillons et qu'elle n'en sort que maintenant.
J'avoue que lorsque j'ai vu passer l'article de Gonzaï ("je dis haine"), j'ai eu du mal... ou plutôt j'ai eu mal tout court, d'ailleurs. Et je me suis dit qu'il était peut-être temps que j'explique pourquoi il m'avait plu, à moi, cet album
Car "Îl", je l'ai aimé.
J'y ai trouvé un -M- audacieux, jouant à fond la carte du mélange des genres, prenant le risque d'être destabilisant un peu, mais se révélant au final réjouissant. Vraiment.
-M- a derrière lui la carrière que l'on sait et composer un nouvel album sans tomber dans l'écueil d'une répétition sans intérêt n'est pas forcément la chose la plus aisée à ce stade là de sa vie et de son projet. Parce que c'est une prise de risque, de tenter un virage comme celui-là même quand on a déjà un public fidèle derrière soi.
En guise ouverture "Elle" fait écho au titre de l'album, "Îl" -l'amour des mots et des jeux qu'ils permettent est une récurrence dans le travail de l'artiste. "Elle" destabilise un peu et annonce en fait la couleur : -M- ose les arrangements qui bousculent incluant le bruit de la pluie, des notes de piano, un clavecin électro-moderne, des riffs de guitare dont le grand Matthieu a le secret, une pincée de vocoder, une sirène...
Branle-bas de combat, l'homme a décidé d'oser les mélanges les plus audacieux pour les mettre au service de ses compos dont on imagine instantanément la puissance en live (et de fait, puisque j'ai assisté à deux des concerts de sa nouvelle tournée je suis en mesure de te l'affirmer : ça envoie sérieusement sur scène).
Durée du premier morceau : 6 min 33, un titre absolument pas calibré pour un passage radio qui sent bon l'absence totale de formatage, l'absence de contrainte lors de son élaboration, un titre qui, à l'image de l'album, sent bon la liberté.
"Elle est un soleil, perdue dans son désir..."
Le second titre ressemble plus à ce à quoi -M- nous a habitué : un morceau plus "simple", basé essentiellement sur le duo voix/guitare, renforcé tout de même par les choeurs du refrain, le riff de guitare assassin qui met tout le monde d'accord, des sifflements, les ondulations sonores façon scie musicale : tous les ingrédients pour concocter une pop azimutée sont là, ingrédients qu'on retrouve, avec quelques variantes côté arrangements, dans "faites-moi souffrir" ou "la grosse bombe", titre écolo alarmiste qui démarre en fanfare (au sens propre comme au figuré), énervé comme il convient de l'être pour ce genre de propos.
Bien sûr, ce pop-rock délirant atteint son paroxysme avec le titre "Mojo" lancé en guise de premier single, dynamite musicale qui réveillerait un mort et qui a su séduire les foules en deux temps, trois mouvements.
Et pour cause : un refrain irrésistible judicieusement associé à une choré facile à s'approprier, un clapping intensif associé à une rythmique endiablée : "Mojo" est un tube fédérateur qui fait sauter les foules à tous les coups.
C'est une irrésistible invitation à lâcher la bride et à se laisser aller à de puissants rugissements libérateurs (en live : une vraie bombe). C'est finement joué et redoutablement efficace car ça a permis de conférer à l'album une identité propre à base de lunettes au design futuriste et de Mojo Men stylés.
Sauf que "Îl" propose aussi autre chose, car c'est aussi, et c'est peut être plus inattendu, une invitation au voyage.
Si le thème n'est pas nouveau dans le travail de -M-, il prend ici un tour plus poétique.
Exemple avec "Laisse aller", titre aux sonorités exotiques qui garantit un dépaysement immédiat.
Ondulations océaniques, apaisement de la voix qui se fait lascive et douce, battements de coeur en écho :
"En accord avec ton coeur, en accord avec ton corps "
C'est un peu le titre new age de l'album qui donne envie de tanguer.
Le voyage se poursuit avec "Baïa" :
"Je suis venu te dire ces quelques mots d'amour, je t'aimais, je t'aime, je t'aimerai toujours".
A base de guitare andalouse réveillée par des claquements de castagnettes, ce morceau typé qui donne envie de chalouper nous embarque direction le Brésil. Chaleur.
Plus loin, on change de direction avec "Machine" qui nous propose une excursion asiatique tandis que "Oualé" démarre en acoustique, par des voix seulement surlignées de quelques notes de guitare.
Puis c'est la superposition des voix aux motifs de guitare qui créent l'alchimie d'un morceau qui est peut être le plus épuré et, est-ce un hasard?, sans doute mon favori.
En plus il m'évoque certains chants africains et quand on sait mon attachement à ce continent, on comprend mieux le coup de coeur...
Les dernières notes tombent au goutte à goutte et la jolie réverbe crée un effet d'une douceur inouïe qui laissent l'auditeur éblouï.
"Îl" ne se contente pas de parcourir les continents, il propose aussi un voyage dans le temps, avec "La maison de Saraï" et son fox trot qui évoque immanquablement les triplettes de Belleville.
Un éloge de ces endroits où l'on a plaisir à se laisser gagner par l'ennui ("Dans la maison de Saraï on est bien, tellement bien, que l'on baille"), une déclaration d'amour aux refuges situés loin de l'agitation parisienne, où on refait le monde autour d'un (de plusieurs?) verre(s) de bon vin ou d'un thé au jasmin.
Jolie place réservée au kazoo (un des instruments fétiches de l'artiste) sur ce morceau, qui m'évoque étrangement son duo avec Brigitte Fontaine sur "Les zazous".
Le travail du texte est une des marques de fabrique de -M-.
Cet album n'y coupe pas, "la vie tue" est un bel exemple de la maestria avec laquelle il jongle avec les mots, leur sonorité et leur sens pour fabriquer des titres dans lesquels l'auditeur aime à se perdre un peu.
Je sens que j'arrive sur la fin de ma chronique et je ne sais pas très bien quelle place je dois réserver à "Océan" car j'aime particulièrement cette déclaration d'amour atypique qui évoque le sentiment océanique, la philosophie qui va avec et puis, entre nous, comment rester insensible à la montée qui précède l'arrivée du refrain?
Impossible, c'est mon verdict. Il est sans appel.
C'est apaisant et doux et à la fois, étrangement revigorant.
Un peu magique, en somme.
L'album s'achève sur trois expériences, déroutantes à la première écoute (on n'a pas l'habitude).
L'île intense (version 1) à la mélancolie ouatée, d'une douceur infinie est suivie d'une surprise : on découvre la seconde version du titre à la suite de celle-ci, texte identique mais complètement réarrangé : des périodes d'accalmie chantées tout doucement y sont réveillées par des percussions tribales et des notes de guitare. Joli.
Pour le morceau de cloture, au début, j'avoue, je n'ai pas compris (que celui qui ne s'est pas rué sur son lecteur pour en modifier les réglages me jette la première pierre).
Et puis, en lisant le titre j'ai réalisé qu'il s'agissait du morceau "machine" passé à l'envers : et le rendu est intéressant bon sang!
il est clair que ce titre là ne fera pas un tube diffusé en radio mais c'est une exploration qui est loin d'être dénuée d'intérêt.
Ce morceau est là en tant que point final de l'album et il dit sans doute ce que son auteur a laissé filtrer entre les chansons : il est en pleine exploration de toutes les possibilités que lui offre la musique, tentant les combinaisons d'instruments variés, les arrangements audacieux, multipliant les effets et révélant que cet album marque sans doute la transition entre la musique à laquelle -M- nous avait habitué et une démarche plus expérimentale qui fait évoluer ses pratiques et ses productions.
A suivre, donc...
Demain commence la série de concerts au Zénith de Paris. J'y serai bien sûr, parce que je ne me vois pas rater ça... (j'allais te glisser le lien vers les places (celui là) mais je viens de constater que toutes les dates sont complètes. Ca n'est que justice, moi je dis...)