José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne, a récemment qualifié la France de "réactionnaire" eu égard à sa position à propos de ce qu'il est convenu d'appeler "exception culturelle." De nombreux artistes français, particulièrement dans le cinéma, se sont positionnés pour défendre cette exception. C'est leur droit. Mais cette question fondamentale, il faut le savoir, touche également l'édition, puisque l'exception culturelle française est régulièrement invoquée pour préserver le prix unique des livres, et notamment des livres numériques.
En préambule, on pourrait citer l'écrivain Mario Vargas Llosa :
« La chose la plus importante que j’ai apprise est que les cultures n’ont pas besoin d’être protégées par les bureaucrates et les forces de police, ou placées derrière des barreaux, ou isolées du reste du monde par des barrières douanières pour survivre et rester vigoureuses. Elles doivent vivre à l’air libre, être exposées aux comparaisons constantes avec d’autres cultures qui les renouvellent et les enrichissent, leur permettant de se développer et de s’adapter au flot constant de la vie. La menace qui pèse sur Flaubert et Debussy ne vient pas des dinosaures de Jurassic Park mais de la bande de petits démagogues et chauvinistes qui parlent de la culture française comme s’il s’agissait d’une momie qui ne peut être retirée de sa chambre parce que l’exposition à l’air frais la ferait se désintégrer. »
Que le système français d'aides et de subventions permette à de nombreux films et festivals d'exister, soit. Au départ, le principe est généreux. Mais comme tout système politique, il est aisément détournable par les grands groupes et leur lobbies. Rien ne dit que l'exception culturelle française ne permette pas à des producteurs de tourner des émissions de télé-réalité, par exemple.
Rien ne dit que ce système ne permette pas de favoriser certains médias audiovisuels, qui à leur tour aideront les gouvernements en place, de droite ou de gauche.
Là où il devient flagrant que l'exception culturelle conforte la situation de prédominance des grands groupes aux dépens des artistes, c'est bien dans l'édition. Non seulement en France, mais en Allemagne, où le prix unique du livre existe aussi depuis un certain temps, la révolution ebook ne s'est pas réellement produite pour le moment.
Aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, en revanche, c'est une toute autre histoire : de nombreux auteurs indépendants vivent à présent de leur plume. Ils sont bien plus nombreux qu'en France à pouvoir en vivre, ou à être en mesure d'opposer un refus aux conditions terriblement injustes - on est dans la servitude moderne - que proposent les grands éditeurs. Certains best-sellers indépendants réussissent même à négocier des conditions décentes, à l'instar de Hugh Howey.
Je suis auteur indépendant. La meilleure aide que pourrait m'apporter le gouvernement serait de ne pas subventionner des grands groupes qui louent des espaces en librairie à l'année. Ce serait de ne pas épauler des grands groupes qui exploitent outrageusement mes pairs. De ne pas favoriser des grands groupes qui prennent les consommateurs pour des vaches à lait, en maintenant des prix de vente outrageusement hauts, notamment en numérique.
Ce serait de favoriser la diversité et la concurrence, y compris dans le milieu culturel.
La culture s'en porterait mieux à mon avis. Quand les aides sont détournées au point de ne favoriser qu'une toute petite minorité de créateurs, elles se mettent à jouer contre la création en général.