La qualité de la gestion d’actifs en France n’est plus à prouver. En effet, elle est reconnue mondialement pour être d’une très grande qualité en offrant une palette de stratégies d’investissement extrêmement large.
Les 600 sociétés de gestion immatriculées en France sont pour les 2/3 de type entrepreneurial. Comment toutes ces entreprises, fondées sur la conviction d’un gérant souhaitant s’émanciper, arrivent-elles à lever des fonds pour assurer leur démarrage et leur développement ?
Les incubateurs sont à la manĹ“uvre
Derrière ce dynamisme se cache une activité méconnue et portant incontournable pour les jeunes sociétés de gestion en quête d’argent frais : l’incubation des sociétés de gestion. Ces structures (majoritairement issues des sociétés de gestion elles-mêmes) fournissent le bien le plus précieux aux jeunes pousses : le « seed money ». Cet apport financier d’amorçage, stable à moyen terme, est indispensable pour démarrer et se faire connaitre dans un univers concurrentiel féroce.
L’incubation consiste à investir dans de jeunes sociétés afin de les aider à atteindre rapidement la taille critique pour assurer leur indépendance et surtout se faire connaitre auprès des investisseurs institutionnels. En effet, ces derniers sont contraints par des ratios d’emprise et de diversification du risque qui les empêchent d’investir dans ces jeunes sociétés au-delà d’un certain montant. Le contexte économique de ces dernières années a rendu les investisseurs institutionnels plus prudents dans leurs placements et à moins de 50 millions d’encours et 3 ans de « track record » pour un fonds il n’y a plus de salut possible.
Pour arriver à lever cette double contrainte, les gestionnaires peuvent se tourner vers les incubateurs qui fournissent à la fois le « seed money » et la garantie du placement pendant 3 à 5 ans. Loin d’être des philanthropes, ces derniers peuvent intervenir de différentes manières avec comme ligne directrice de sortir à moyen terme de la structure portée à l’image du capital investissement.
- Prise de participation au capital : l’incubateur prend une participation minoritaire dans la société à côté des autres investisseurs (dont les gérants) afin de donner une assise et une légitimité au fonds en cours de commercialisation. Bien que n’apportant pas des fonds à gérer, la caution d’un grand nom de la gestion d’actifs permet de rassurer les prospects et faciliter les premières souscriptions. L’avantage pour l’incubé est aussi que cet actionnaire reste passif et n’intervient en rien dans la gestion quotidienne de la structure.
- Amorçage du fonds avec un apport de capitaux à gérer : l’incubateur apporte le fameux « seed money » afin d’amorcer le fonds et permettre au gérant de légitimer son expertise, sa stratégie et de générer le fameux « alpha ». Cet apport se fait pour une durée minimale de 3 ans durant laquelle l’apporteur s’engage à ne pas retirer ses fonds. A l’échéance, ce dernier peut laisser son apport en gestion ou bien le retirer sans mettre en péril la viabilité du fonds qui aura alors atteint la taille critique d’encours sous gestion.
- Participation aux résultats « revenue sharing » : l’incubateur confie des capitaux à gérer sans pour autant prendre une participation au capital. L’investisseur fait un pari sur la réussite de la stratégie d’investissement et il demande en retour une participation aux résultats de la société de gestion tant qu’il est investi dans le fonds.
Bien évidemment, ces stratégies peuvent se cumuler mais l’autre valeur ajoutée essentielle mise à disposition par les incubateurs est leur structure opérationnelle. Les incubateurs sont souvent des entités de sociétés de gestion reconnues et ses dernières apportent leurs moyens humains et logistiques qui sont autant de coĂťt fixe en moins au démarrage. Le gérant peut alors se consacrer exclusivement sur sa gestion et bénéficier des ressources marketing, juridique, risques, middle-office, informatiques, logistique de son incubateur mais également de son réseau de distribution pour promouvoir et commercialiser son fonds.
L’évolution des principaux acteurs français
Après avoir dressé le portrait de cette activité de l’ombre, intéressons-nous aux acteurs français qui sont nombreux et qui sont en pleine mutation depuis le début de cette année 2013. Le contexte économique difficile, la décollecte ininterrompue des encours et la faiblesse des marges sur les fonds monétaires et obligatoires poussent les sociétés de gestion à se recentrer sur leur gestion propre et à lancer des chantiers d’efficacité opérationnelle. Face à ce constat, les structures d’incubation n’apparaissent plus comme une activité stratégique pour leur maison mère et ces dernières voient leur capacité d’investissement se tarir. La sélection des dossiers, qui a toujours été très stricte, se restreint encore plus à quelques dossiers par an (environ 5% des demandes sont acceptées) puisque la mise à disposition de « seed money » implique une prise de risque et surtout une immobilisation des fonds.
Les décisions les plus drastiques ont poussé les sociétés de gestion à mettre en veille leur activité d’incubation à l’image d’AMlab (La Banque Postale Asset Management) qui va fermer sa structure et reprendre en direct ses participations dans Mandarine Gestion et Delta AM notamment.
Les deux principaux acteurs français ont choisi d’unir leurs forces pour créer un leader européen capable de rivaliser avec les structures anglo-saxonnes au niveau mondial. NewAlpha AM (groupe OFI) et NExT AM (groupe La Française) vont fusionner leur activité d’incubation afin de mutualiser leurs moyens et devenir un acteur incontournable. Cette stratégie vise à rationaliser l’activité et à lui offrir de nouvelles capacités d’investissements afin de lancer les futurs Ginjer AM, Convictions AM, Eiffel Investment Group pour n’en citer que quelque uns de leurs protégés.
Les autres acteurs, qui n’ont pas constitué de structure d’incubation à proprement dit comme Financière de l’échiquier, vont continuer à investir sur de jeunes entrepreneurs car ils souhaitent rester fidèle à leur ADN d’entrepreneur ayant bénéficié d’un tel appui à leur origine. La sélection n’en sera que plus sévère mais avec la possibilité de dénicher des expertises nouvelles et des stratégies d’investissement novatrices et diversifiées à l’image d’Amiral Gestion et d’123Venture.
Une nouvelle approche soutenue par la place parisienne
Début 2012, une nouvelle approche de place a émergée sous l’impulsion du pôle de compétitivité mondial Finance Innovation et de Paris Europlace sous la forme du premier fonds d’incubation destiné à soutenir le développement des jeunes sociétés du secteur en France. Cette idée novatrice, soutenue par de grands investisseurs institutionnels français, prend la forme d’une SICAV structurée en compartiments dont le premier, doté de 120 millions d’euros, sera dédié à la « performance absolue » avec NewAlpha AM comme gérant délégataire. Le succès a été au rendez-vous puisque 3 tickets de 30 millions ont déjà été alloués. Devant cet engouement, un appel à candidature pour le gérant délégataire du deuxième compartiment « actions » est en train de s’achever pour une levée de fonds comprise entre 200 et 400 millions d’euros.
Un retour d’expérience plébiscité
Afin de se faire une idée plus précise de la valeur ajoutée de cette activité, la parole des incubés est révélatrice. La très grande majorité reconnait le rôle crucial de leur « mentor » dans leurs premières années d’existence. Aujourd’hui, plus que jamais, la collecte de « seed money » après d’un investisseur passif et inscrit dans le moyen terme, couplé à la mise à disposition de moyens tout en fournissant une caution de notoriété constitue le triptyque gagnant pour les gestionnaires souhaitant voler de leurs propres ailes. La sélection est drastique mais le succès est au rendez-vous pour le bonheur des investisseurs finaux et l’image d’excellence de la gestion française.
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