Dépression Tropicale : C’est quoi le Fiu ?

Publié le 17 juin 2013 par Lagrandedepression

Le docteur Michel Le Quané nous écrit depuis Tahiti où il exerce depuis 35 ans. Il contribue au site de la grandedepression.com pour tordre le cou aux idées reçus autour de la Polynésie Française, car le tahitien ce n’est pas qu’un gros qui chante toute la journée « Over the rainbow » le sourire au lèvres. Voici la vérité que nous livre le docteur Le Quané : «  tu vis sous les cocotiers, et tu déprimes pas ? Non mais aloha ». Aujourd’hui, Michel nous explique ce qu’est le Fiu.

Le docteur Le Quané en 1973. Il fait aussi de la musique thérapeutique.

Episode n°1 : « Complètement Fiu de toi »
par le Docteur Michel Le Quané

« Dans mes jeunes années, j’ai eu le malheur de tenir les consultations du dispensaire de Tahaa. De longues et interminables matinées à attendre des patients qui, au pire, avaient pris une noix de coco sur la poire. Je ne vous ai pas précisé, mon cher Yves, que Tahaa, c’est en Polynésie française, à un jet de coquillage de Bora Bora, sauf qu’il n’y a pas de touristes.

Pas une seule Américaine à me mettre sous la main, aucun accident de plongée sous marine, je me faisais copieusement chier. Les gamines du coin, je ne vous le conseille pas. Depuis le passage de Gauguin, elles ont compris la manœuvre, et si elles caftent au paternel, vu comme les locaux sont taillés, c’est au mieux une fracture de la pommette et au pire un petit voyage en première classe au fond du lagon.

Deux semaines après ma prise de fonction sur ce petit bout de France, je peux vous dire que j’en menais pas large. Le stock de bourbon en provenance de la Côte Ouest via Tahiti commençait à descendre dangereusement et ma voisine, une infirmière tout aussi blanche que mes fesses, se plaignait de mes cantates nocturnes. J’ai toujours eu un faible pour Mike Brandt.

Un matin, impossible de me lever. Impossible, vraiment. Pas envie, mais pas envie du tout. Mon cher Yves, j’ai ressenti une sorte de… lassitude extrême. C’était au delà de la fatigue et au delà de la petite dépression automnale que nous autres, scientifiques éclairés, connaissons si bien.

Un autochtone qui s’inquiétait de ne pas me voir au dispensaire courut me chercher. En me voyant trainasser sous la galerie de mon chez moi, il comprit instantanément ! « Fiu » dit-il en souriant avec ce qui lui restait de dents. « Fiu, répétais-je ? » Ce brave pêcheur avait mis un mot sur mon mal.

Le fiu est un vague à l’âme bien connu des Polynésiens. Dans ces petites îles paradisiaques où il ne se passe jamais rien, tout le monde est souriant. C’est presque un devoir d’être heureux. Mais parfois, on n’en peut plus. On est « fiu ». Et n’allez pas demander à quelqu’un de fiu de rire à vos petites blagues, non, son regard se porte vers l’horizon bleuté, il soupire, et instinctivement vous comprenez que cela signifie quelque chose comme « tu me fais profondément chier, va parler des chanteurs de charme sous un autre cocotier ».

Pour conclure, je vous propose ce titre d’un chanteur local qui explique très bien qu’il n’a pas envie, mais pas envie du tout, d’aller bosser. On le comprend.

T.MIKE – Fiu de Travailler