Du nil à alexandrie. histoires d'eaux - 9. investigations à propos d'une reine à mariemont : 2. circonstances d'une découverte

Publié le 18 juin 2013 par Rl1948

   Mon cher Sir Gardner,

 

   Mr. Harris, notre ami commun, m'a dit que vous désiriez avoir les mesures des fragments faisant partie des statues (découvertes par lui, ou lui appartenant) qui se trouvent dans un champ dans la direction N.E. à environ 20 minutes (à l'allure d'un âne) de la porte de Rosette, à Alexandrie (...)

Joseph BONOMI

Lettre à Sir J. Gardner Wilkinson

(18 octobre 1842)

dans B. van de Walle,

Un nouveau document concernant le prétendu groupe d'Antoine et Cléopâtre,

  Chronique d'Égypte n° 49, (25ème année)

Bruxelles, Musées royaux d'Art et d'Histoire,

Janvier 1950,

pp. 32-3.

   Vous souvenez-vous, amis visiteurs, de l'intervention de Gaston Maspero à la séance de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres du 3 mars 1899 qu'accompagnait la photographie d'un moulage de tête d'une statue féminine que je m'étais autorisé à reproduire pour vous la semaine dernière ?

   L'égyptologue français, après avoir erronément indiqué que le buste dont ce visage faisait partie,

ainsi qu'un imposant fragment de mains,

avaient été découverts par Mahmoud el-Falaki près d'une trentaine d'années plus tôt, y précisait qu'Albert Daninos-Pacha les avait remis au jour en 1892-1893.

   Si vous le permettez, je souhaiterais revenir sur ces deux points ; en un mot comme en cent, mettre à profit notre rendez-vous pour expliciter les circonstances de la présence aujourd'hui à Mariemont de ces remarquables monuments.

   Et pour ce faire, de reprendre une partie de l'enquête précédemment entamée, en nous arrêtant sur cet extrait de la lettre que je vous ai d'emblée donné à lire.

   Il s'agit d'un document important et extrêmement intéressant dans la mesure où il est le plus vieux actuellement connu qui mentionne ces fragments de statues ; dans la mesure aussi où il n'a été décelé au sein des archives de Sir Gardner Wilkinson (MSS. XVII., H. 39-41) conservées au Griffith Institute, Ashmolean Museum d'Oxford, qu'au milieu du XXème siècle, ignoré donc qu'il fut de tous les historiens, archéologues et égyptologues qui s'étaient avant cela interrogés à leurs propos ; dans la mesure également où il permet de clarifier les assertions prônées ici ou là au sujet de leur découverte : l'endroit, la date et celui qui l'effectua ; dans la mesure ensuite où il accroît nos connaissances quant à la personnalité d'Anthony Charles Harris (1790-1869), consul britannique officiant à l'époque à Alexandrie et par ailleurs, je l'ai récemment indiqué, grand collectionneur de papyri, dont les plus essentiels pour notre approche de la littérature antique portent maintenant les dénominations de Papyrus Harris I, Harris II, Harris 500 et Harris 501 dans le vocabulaire égyptologique.

     Dans la mesure enfin, - et ce n'est peut-être pas le moindre des intérêts de cette missive -, où son auteur, le sculpteur d'origine italienne Joseph Bonomi (1796-1878), un des dessinateurs membres de l'expédition de l'égyptologue prussien Karl Richard Lepsius, assortit ses propos de sept croquis légendés qui prouvèrent que le buste ptolémaïque de Mariemont n'était pas le seul vestige gisant en cet endroit marécageux ; les autres étant aujourd'hui perdus, une tête masculine de 1,30 mètre de hauteur et une partie de jambe gauche de 2,50 m., mises à part, devenues propriété du Musée gréco-romain d'Alexandrie.

   Remarquez toutefois qu'il ne fait nullement allusion aux deux mains ...

   Bizarre, ne trouvez-vous pas ?

     Cette lettre que la bibliographe anglaise Rosalind Moss débusqua dans le fonds des manuscrits Wilkinson, elle en transmit un fac-similé à l'égyptologue belge Baudouin van de Walle qui précisément avait publié une étude de ces pièces alexandrines dans la Chronique d'Égypte (Bulletin périodique de la Fondation égyptologique Reine Élisabeth) n° 47, de janvier 1949

(C'est la traduction qu'il en a réalisée pour un nouvel article dans la CdE de l'année suivante, référencé ci-dessous, que j'ai citée.)

   Après avoir pris connaissance des assertions de Bonomi, Wilkinson entreprit la rédaction d'un ouvrage sur les fouilles de son ami Harris : Modern Egypt and Thebes, being a Description of Egypt, qu'il publia en 1843.

   A la page 172 du premier volume, l'on peut lire (traduit par B. van de Walle) :

   ... à environ 3/4 de milles au-delà des lignes françaises - (il fait manifestement référence à des vestiges militaires datant de l'Expédition de Bonaparte) -, qui recouvrent l'ancien mur et la porte de Canope, il y a deux statues de granit, découvertes par M. Harris, représentant apparemment l'un des Ptolémées, ou un empereur romain, et son épouse, dans le style égyptien.

    

   Et toujours pas le moindre mot à propos des mains !

   Bizarre, ne trouvez-vous pas ?

   Il faut savoir que, même si d'autres voyageurs, d'autres archéologues qui les croisèrent, qui les firent même dessiner pour leurs archives personnelles, ces différents vestiges colossaux en partie immergés indiqués par Harris reposèrent, superbement négligés semble-t-il, bien des années encore là où, le premier, il les avait vus.

   Le premier ?

   Vraiment ? 

   Non, je vous l'accorde ...

   En réalité, un siècle plus tôt, l'Anglais Richard Pococke (1704-1765), à la page 12 du premier volume - Observations on Egypt -, librement téléchargeable ici, de son ouvrage A Description of the East and some other countries, publié à Londres en 1743, avait déjà signalé que : about two miles nearer Alexandria, are ruins of an an[c]ient temple in the water.

   Il avait aussi relevé la présence de plusieurs autres fragments ... 

   Et c'est donc là que, comme le remarque Maspero le 3 mars 1899 s'adressant aux membres de l'Académie, Albert Daninos-Pacha a remis au jour en 1892-1893 la tête féminine en même temps qu'il exhumait les imposantes mains ... ; que Pococke avait jusque-là été le seul à mentionner, (page 12 toujours) : ... the hands, which from the wrist to the knuckles measured eighteen inches et qui, pour je ne sais quelle raison, "disparurent" de la mémoire collective.

   Après plusieurs tentatives infructueuses de vendre les deux pièces au Musée gréco-romain d'Alexandrie d'abord, au Louvre ensuite, Daninos-Pacha se résolut à les faire transporter dans le jardin de sa propre villa d'Aboukir.

   Et c'est là que Raoul Warocqué les vit en 1912.

Et les acquit pour 15000 francs belges de l'époque, aux fins de les installer, dans un premier temps, ainsi que le prouve le cliché ci-après, dans le parc de son domaine de Mariemont,


puis, deux années plus tard, dans l'une des deux ailes qu'il avait tout nouvellement adjointes à son château. 

   Se basant sur les renseignements topographiques des récits des différents voyageurs et savants des XVIIIème et XIXème siècles, l'égyptologue belge Marie-Cécile Bruwier, actuellement Directrice scientifique du Musée royal de Mariemont, et quelques collaborateurs, en particulier du Centre d'études alexandrines (CEAlex) dirigé par Jean-Yves Empereur, - que j'eus l'heur de tous deux rencontrer en avril dernier -, supputent que l'environnement marécageux duquel les vestiges des statues colossales furent finalement exhumés par Albert Daninos dans la dernière décennie du XIXème siècle, si souvent décrit à peu de distance de la Voie canopique, ne peut être que le faubourg oriental d'Alexandrie nommé un temps Hadra et aujourd'hui Smouha - en l'honneur de Joseph Smouha (1878-1961) qui fit assainir les lieux pour y créer un quartier résidentiel -, dans l'actuel arrondissement de Sîdi Gabîr.

   Et, après une prospection électro-magnétique préalable effectuée en novembre 2004, M.-C. Bruwier d'y investiguer régulièrement depuis 2008, comme l'indique le document photographique ci-dessous, notamment dans deux cours de récréation d'écoles qui ne sont bien évidemment accessibles aux archéologues qu'aux seules périodes de vacances scolaires.

   Si l'on se réfère aux descriptions de Pococke, il devait y avoir eu sur ce site un imposant temple égyptien précédé d'un portique, d'un pylône et d'un dromos, entendez : une allée bordée de sphinx.

     Du portique comme du pylône, les fouilleurs ont mis au jour, lors des campagnes de 2010 et de 2011, qui des blocs, qui des fragments de colonnes, corroborant ainsi avec bonheur non seulement les propos de Richard Pococke mais surtout les intuitions de Madame Bruwier qui espère, - qui en douterait ? -, mettre au jour d'autres monuments en rapport avec ceux de Mariemont.

   Car, je vous le rappelle, mes investigations pour le moins pugnaces ne nous ont pas encore formellement instruits  sur l'identité de cette personne : une reine ?, une déesse ?

Ni à qui appartenaient les deux mains enlacées ...

   Désireux de persévérer à mes côtés ? Notez alors, amis visiteurs, le nouveau rendez-vous que je vous fixe, le dernier - déjà ! - rendant compte de cette longue quête : ce sera le 25 juin prochain.

   Et tel le Don Quichotte de Brel qui se proposait

de rêver un impossible rêve,

de brûler d´une possible fièvre,

de partir où personne ne part,


je voudrais avec vous

tenter, sans force et sans armure, d'atteindre l'inaccessible étoile ...

   A mardi ? 

(Bruwier : 1989, 25-43 : Ead. : 2009, 83-9 ; Ead. : 2011, 29-40 ; Ead. :  2012, 178-87 ; Van de Walle : 1949, 19-32 ; Id. : 1950, 31-5)