Si, entendre leMinistre du Tourisme défendre un quelconque projet est devenu une torture pour tout passionné de la politique, voir le Ministre duBudget expliquer la décision duGouvernement « d’exonérer, provisoirement pour l’année 2013-2014, les tours opérateurs du paiement du visa d’entrée des touristes » est une humiliation de plus pour toutsénégalais préoccupé de cohérence et de rationalité administrative et financière.
Expliquant que sa décision de dispense exceptionnelle « entre dans le cadre de l’amélioration de l’environnement des affaires dans notre pays, au bénéfice du secteur privé national et de la population sénégalaise qui fait de la Téranga une valeur nationale », le communiqué du même Ministère, repris prudemment par Mr Youssou Ndour à la RTS, précise que c’est sur « instruction du Président de la République. »
La réciprocité des visas est une mesure de souveraineté. La dignité nationale peut l’exiger à bon droit. Et les finances de l’Etat ne peuvent que s’en réjouir. C’est une obligation légale et réglementaire que tout législateur peut édicter pour défendre ses intérêts dans ses relations avec d’autres pays. Et l’Etat du Sénégal en a le droit si tant est qu’il respecte les règles minimales de concertation, d’élaboration minutieuse et d’organisation sans lesquelles toutepolitique aussi vertueuse soit- t-elle est vouée à l’échec.
Suspendue en 1996 par l’ancien Président Abdou Diouf et instrumentalisée maladroitement par Me Abdoulaye Wade en 2011 qui renoncera sous la pression du secteur touristique, la perception d’un visa pour tous les ressortissants de pays qui exigent des sénégalais un droit d’entrée, est un serpent de mer dont le dernier rebondissement est la reculade gouvernementale accordée aux tours opérateurs.
Annoncée pour le 1er juillet prochain ce visa de tourisme, qui vise quasi exclusivement les pays de l’Union européenne où de fortes communautés sénégalaises résident depuis plusieurs siècles, est l’objet d’une tension politico-sociale entre nationalisme cajoleur et amateurisme politique, administratif et financier indignes d’une grande nation comme le Sénégal. D’une valeur de 32.500 Fcfa (50€), ce visa serait exigible à tous les visiteurs au Sénégal à l’exception des nationaux des 14 pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), du Maroc et de la Mauritanie.
Mais son organisation est déjà problématique. La mal gouvernance et la corruption sont les maux les plus courants, les plus dramatiques et les plus dénoncées qui affectent le Continent africain. A moins de quinze jours de l’application de cette mesure, la déroute et le ridicule guettent à n’en pas douter l’Etat du Sénégal. Aucun Ministère ni aucun service administratif, ni aucun site internet d’un quelconque consulat n’est en mesure d’informer les populations sénégalaises et les touristes des modalités pratiques de délivrance de ces visas. Quand on sait que la plupart des touristes, qu’ils soient sénégalais de la diaspora, investisseurs, volontaires de la solidarité internationale ou simples vacanciers prévoient leurs séjours plusieurs mois à l’avance, on ne peut qu’imaginer le désarroi dans lequel ils doivent se trouver.
Et quid du visa biométrique pour la confection duquel la SNEDAI, société déjà présente en Cote d’Ivoire, est déjà entrée en action ? La procédure décrite par cette société sur un site web aussi artisanal que médiocre, snedai.sn, est digne du parcours d’un esclave sur un bateau négrier. Le demandeur télécharge ses documents de voyage et paye son visa en ligne. Une fois enregistré, un pré-visa est envoyé (par mail ?) sous 48h. Mais ce n’est pas fini, il faut ensuite s’enrôler dans un Consulat sénégalais ou à l’arrivée à l’Aéroport Léopold Sédar Senghor. Quand on connaît la pagaille dans les ambassades, les passe-droits, les pots de vin et dessous de table, le manque de formation du personnel, les abus et la mesquinerie qui y sont érigés en cardinales vertus, on peut craindre pour l’image désastreuse que notre pays et son administration risquent encore de propager.
Et le Gouvernement sénégalais s’occupe mieux des Tours opérateurs que de sa Diaspora. Dénoncée depuis toujours par le secteur touristique et hôtelier comme contre-productive et mortelle pour une économie déjà à bout de souffle, l’application d’un visa a, selon le Ministre des Affaires Etrangères, un double intérêt : renflouer les caisses de l’Etat et surtout répondre aux frustrations d’une partie de l’opinion devant le traitement réservé par l’Espace Schengen aux sénégalais.
Après la dérobade d’Abdoulaye Wade qui avait reculé en 2011 devant la pression des organisations professionnelles du tourisme, c’est autour de Macky Sall de céder de la façon la plus incompréhensible qui soit. Car, enfin l’impréparation de l’Etat sénégalais est patente. Aucune concertation avec les professionnels et les sénégalais de la diaspora n’ayant été faite, on grignote morceau par morceau une aussi importante loi de souveraineté.
Les tours opérateurs pourront, donc, sous condition “d’envoi, au préalable, au ministère du Tourisme et des Loisirs, de la liste complète des touristes sous leur responsabilité” (sic) être généreusement dispensés du paiement des 50€ exigibles. Sous prétexte d’une perte prévisible d’environ 105 milliards selon le milieu du tourisme, le gouvernement a donc décidé de renoncer à son dû et par conséquent d’augmenter la marge bénéficiaire déjà exponentielle de ces professionnels dont on devrait s’intéresser aux conditions de travail et de rémunération des salariés.
Quant au 3 millions de sénégalais de la diaspora (20% de la population nationale), qui injectent chaque année rien que par le circuit formel 690 milliards de Fcfa pour assister leurs familles, lutter contre la pauvreté et soutenir des projets de développement, ils restent redevables des 50€ pour revenir dans leur pays. Si par malheur ils ont oublié, tardé ou retardé par une vie harassante et des lourdeurs administratives et consulaires subies, de renouveler leur passeport, de déclarer leurs enfants ou leurs épouses, alors ils devront s’acquitter d’un visa pour eux et pour chaque membre de leur famille pour rentrer dans un pays qui les maltraite et qui leur doit tant. L’amour d’un pays est décidément bien tyrannique.
Refusons donc de payer le visa. Cette loi est manifestement inapplicable cette année. Le gouvernement s’y est mal préparé. Les consulats sont aphones. Les sous traitants bricolent. Et nos amis étrangers se bidonnent.
Car, ni le Ciel ni la Terre ne peuvent promulguer contre nous un tel tribut. Et la Justice qui, avec les déesses souveraines, couche chaque lune dans son foyer, ne peut avoir, pour les invincibles Gaïndés de la diaspora, que la douceur des joues de jeunes nubiles. Et nul parmi les Précaires d’aujourd’hui ne saurait déclencher le trouble et la dispute de lois dont la négligence et le bricolage forcenés sont morts-nés. D’impérissables et souveraines règles protègent cette diaspora. Ni d’hier ni d’ajourd’hui, elles sont éternelles.
Il faut surseoir à l’application du visa cette année. Prendre le temps de la concertation, de la préparation, de l’élaboration et de son organisation en impliquant aussi bien les professionnels que les associations de sénégalais de la diaspora. Le temps de l’autorité compétente car légitime. Le pays reste une excellente destination. Stabilité politique, structures et infrastructures de qualité, professionnels compétents et culture d’accueil ancrée et bien reconnue. Mais attention à trop de précipitation et de négligence !
Karfa Sira Diallo