Beloved

Publié le 16 juin 2013 par Lorraine De Chezlo
de Toni Morrisson
Roman - 380 pages
Editions C. Bourgeois - 1989
Prix Pulitzer 1988
Prix Nobel de Littérature - 1993
Sethe est une ancienne esclave, échappée enceinte il y a 18 ans du Bon Abri, une mère de famille qui a vu partir ses fils, qui vit avec sa fille Denver tout en souffrant de la disparition provoquée de ses mains, de son jeune bébé, un enfant qu'elle a voulu soustraire à la servitude qui aurait été son destin. Son mari Halle n'est plus, sa belle-mère Baby Suggs si admirable ... n'est plus. Mais un jour Paul D, également ancien esclave au Bon Abri, apparaît sur le seuil de sa maison du 124. A la même époque vient et s'installe une jeune fille mystérieuse, Beloved, qui s'entend tout de suite à merveille avec Denver, et fait resurgir de façon douloureuse les fantômes du passé de Sethe.
Je suis assez fière de moi, modestement. Il y a de longues années, à plusieurs reprises, j'avais essayé de lire un roman de Toni Morrisson, sans succès : l'écriture exigeante, la construction alambiquée du récit, l'incorporation d'éléments irrationnels avaient à chaque fois raison de mon cerveau peu vif. Mais après avoir écouté un extrait de Beloved dans l'émission de Guillaume Gallienne sur France Inter ("Ca peut pas faire de mal", du 22 septembre 2012), j'avais des mots glaçants qui me restaient en tête et l'envie irrépressible de me replonger coûte que coûte dans ce roman, convaincue qu'au moins un passage saurait me remplir d'émotions. Chose faite. Lecture laborieuse cependant, il m'a fallu plusieurs semaines pour achever le roman. 
Extrait :
"Le meilleur d'elle, c'étaient ses enfants. Les Blancs pouvaient bien la salir, elle, mais pas ce qu'elle avait de meilleur, ce qu'elle avait de beau, de magique -la partie d'elle qui était propre. Pas question de rêves impossibles à rêver, à se demander si le torse sans tête, sans pieds, pendu à un arbre avec un signe dessus était son mari ou Paul D. ; si, parmi les filles qui rôtissaient dans l'incendie de l'école pour gens de couleur allumé par les patriotes, il y avait sa fille ; si une bande de Blancs avaient pénétré les parties intimes du corps de sa fille, souillé les cuisses de sa fille, puis jeté sa fille à bas du chariot. Elle pouvait être obligée de travailler dans la cour de l'abattoir, mais pas sa fille. Et personne, personne sur cette terre, ne dresserait la liste des caractéristiques de sa fille dans la partie de la feuille de papier réservée aux animaux. Non. Oh ! non. C'était peut-être bon pour Baby Suggs de se tracasser à ce propos, de vivre avec cette probabilité. Sethe l'avait refusée et la refusait toujours."
Il y a toujours ce style torturé, poétique et exigeant, une construction qui enchaîne les flash backs sans prévenir, les souvenirs des personnages par bribes, les personnages survenus de nulle part, les nombreux protagonistes, les histoires qui ne se dessinent que très lentement, en reconstituant laborieusement les éléments d'un puzzle, mais il y a aussi cette musique, ces métaphores terrifiantes, ces images marquantes, ce tragique tout droit issu de l'Histoire, de celle de l'esclavage aux Etats-Unis, et rendu palpable, fait chair grâce au talent de Toni Morrison. De cette lecture on sort péniblement indemne mais riche de l'épaisseur d'un souvenir partagé dans la douleur.
Résumé virtuose - xoarum