Plusieurs laboratoires travaillent, depuis des années, sur des nanodisques abritant des sortes de tourbillons magnétiques, dans l’espoir d’augmenter encore la densité des mémoires magnétiques. Une équipe de chercheurs tchèques et américains vient de montrer que l’on devrait pouvoir doubler le nombre de bits sur chaque nanodisque.
On oublie souvent que c’est la découverte de la magnétorésistance géante, ou GMR (Giant Magnetoresistance en anglais), par Albert Fert et Peter Grünberg, qui a permis la spectaculaire miniaturisation des mémoires magnétiques. Grâce à elles, les ordinateurs ont considérablement envahi notre quotidien, ce qui était encore inimaginable il y a 50 ans.
Les mémoires de nos ordinateurs utilisent, pour stocker un bit d’information, des unités de matériaux ferromagnétiques dont les éléments, ayant la taille d’une centaine d’atomes, peuvent s’aimanter à volonté. Les spins orientés vers le haut d’une population d’atomes d’un de ces éléments correspondront par exemple à « 0 », et ceux orientés vers le bas à « 1 ». On cherche à réduire encore la densité de l’information portée par desmémoires magnétique dans le cadre de la spintronique. Plus généralement avec cette nouvelle électronique, on manipule des courants et des états de spin, plutôt que de charge. Cela permet non seulement de miniaturiser des dispositifs électroniques, mais aussi de les rendre moins gourmands en énergie.
Des bits stockés sous forme de tourbillons magnétiques
L’un des thèmes de recherches majeurs, depuis quelques années, concernant les mémoires magnétiques est celui des « tourbillons magnétiques ». Ces tourbillons représentent les orientations des spins d’une population d’atomes. Les bits d’informations sont stockables en relation avec le sens de rotation des tourbillons, auxquels on cherche par exemple à donner la forme de skyrmions émergeant dans un réseau d'atomes magnétiques.
Parvenir à réaliser et à manipuler des tourbillons similaires sur des nanodisques ferromagnétiques permettrait de développer des mémoires non-volatiles rapides à haute densité, des Random Access Memory (Ram) donc, qui soient économes en énergie.
Sur un tel type de nanodisque on est en présence d'un vortex magnétique. Il correspond à un état d'équilibre où l'aimantation statique tourne dans le plan du disque, dans un sens donné, mais en laissant une anomalie dans la région centrale appelée cœur, où l'aimantation ne peut que pointer hors du plan, vers le haut ou vers le bas. Ces deux états possibles, appelés polarité, sont stables. On nomme en revanche circularité le sens dans lequel tourne l’aimantation dans le disque, et elle peut aussi présenter deux états.
Des nanodisques magnétiques avec leurs aimantations, suivant différentes polarités et circularités. Les spins des atomes pointent dans une même direction en formant des lignes tourbillonnantes dans le plan du disque, sauf en son centre où les spins pointent en dehors du disque. Selon le sens de rotation des lignes de spins alignés et la direction dans laquelle ils pointent en dehors du disque, on peut définir quatre états, associés à des bits d'informations. © Lawrence Berkeley National Laboratory
Des bits manipulés avec des champs magnétiques oscillants
Auparavant, on ne savait changer la polarité d’un vortex qu’au moyen d’un champ magnétique extérieur statique et intense, ce qui constituait un obstacle à la réalisation de dispositifs électroniques pratiques. En outre, on n’arrivait pas de cette façon à inverser la polarité suffisamment rapidement et à volonté. Toutefois, une astuce pour contourner ce problème avait été trouvée : il suffisait d’utiliser des champs magnétiques faibles mais oscillants appropriés, pour faire migrer le cœur vers l’extérieur du disque et provoquer un basculement de polarisation.
Une équipe de chercheurs, de la Brno University of Technology (République tchèque) et du Center for Magnetic Recording Research (CMRR) de l’université de Californie à San Diego, vient d’avancer qu’il était aussi possible de manipuler d’une manière similaire la circularité desnanodisques. Pour le prouver, comme ils l’expliquent dans un article publié dans Nature, ils ont utilisé les faisceaux de rayons X disponibles à l’Advanced Light Source (ALS) du célèbre Lawrence Berkeley National Laboratory (LBNL).
Une Ram ferromagnétique améliorée pour les ordinateurs
Pour leurs travaux ils ont employé des nanodisques de NiFe (nickel-fer)ferromagnétiques. Les chercheurs ont montré qu’en déplaçant le cœur du vortex de manière à lui faire quitter le bord d’un disque, cela provoque dans un premier temps la destruction du vortex. Or, celui-ci se reforme, en prenant une circularité de sens opposé. La rapidité de ce phénomène de changement de circularité dépend de la taille du disque : plus le disque est petit, plus rapide est ce basculement. Ainsi avec un nanodisque de 30 nm d’épaisseur et quelques milliers de nanomètres de diamètre, l’inversion de circularité se fait en 3 nanosecondes, alors qu’elle n’en prend qu’une demie avec un nanodisque de 20 nm d'épaisseur et 100 nm de diamètre.
En contrôlant à la fois la polarité et la circularité sur un seul disque, on dispose donc de quatre états et non plus deux pour stocker des bits d’informations. Des recherches sont encore nécessaires pour obtenir des dispositifs vraiment utilisables. Il faut par exemple pouvoir contrôler simultanément la polarité et la circularité. Les travaux en cours visent à résoudre ce problème.
En ce qui concerne le futur, comme le dit l’un des auteurs, Peter Fischer : « C'est la base scientifique pour de possibles applications à venir. Nous étudions déjà les moyens de contrôler les spins avec la température et de la tension. Et même des façons de coupler des chaînes de nanodisques ensemble pour construire des dispositifs logiques, pas seulement donc pour la mémoire, mais pour aussi pour des calculs ».Par Laurent Sacco,Futura-Sciences
La microscopie électronique à rayons X permet de former des images de l'aimantation des nanodisques magnétiques. On voit ici deux images d'une colonne de ces nanodisques dont la circularité de l'aimantation a été changée. © Lawrence Berkeley National Laboratory