Mélenchon: "Le premier pourvoyeur de voix de l’extrême droite est à l’Elysée"

Publié le 16 juin 2013 par Lino83

Mélenchon: "Le premier pourvoyeur de voix de l’extrême droite est à l’Elysée"  

   Entretien: Dorian de Meeûs  La Libre Belgique 

   Mis en ligne le 15/06/2013  

"On voit bien le calcul : les socialistes veulent que Marine Le Pen passe devant la droite traditionnelle afin de l’avoir en face d’eux au 2ème tour en 2017."  

Le candidat du Front de gauche à la présidentielle évoque pour nous la politique de François Hollande face à la crise, la mort du jeune activiste Clément, les municipales à venir, le marché transatlantique, la présidentielle 2012 et les attaques dont lui et le Front de gauche font l’objet. Jean-Luc Mélenchon est l’Invité du samedi de LaLibre.be.

On ne voit toujours pas le bout du tunnel de l’actuelle crise économique. Pourquoi dites-vous que le président Hollande joue un rôle dans cet enlisement ?

Cette crise va s’aggraver à cause des politiques de contraction de la dépense publique et des salaires. En bref, on produit n’importe quoi, n’importe comment et au plus bas coût possible et cela fait que les moteurs de la consommation populaire s’éteignent. L’Allemagne impose cette politique à tous les autres pays européens, car son gouvernement dépend entièrement des rentiers allemands. 15% de cette population dépend de retraites par capitalisation, il lui faut un euro fort et des dividendes élevés. L’Allemagne joue donc un rôle particulièrement néfaste en Europe… Mais la France, qui est 2ème économie, propose aussi cette politique d’austérité qui mène à davantage de désastres économiques, toujours plus de pauvreté, ainsi qu’une montée de la droite extrémiste. François Hollande a une responsabilité aggravée, car il a été élu – avec 4 millions de voix provenant du Front de gauche - pour une politique annoncée comme exactement inverse à celle qu’il pratique. Après la stupeur et la sidération, les classes populaires sont entrées dans une phase de résignation... ce qui aggrave la situation.

Vous êtes souvent taxé  - comme cette semaine - d’ainsi faire de l’anti-germanisme.

Le fait de dénoncer la politique du gouvernement de droite de Merkel et son impact sur les individus et la paupérisation de la population allemande n’a rien à voir avec de l’anti-germanisme. Pourquoi m’insulter ainsi ? Le président de l’Assemblée nationale Claude Bartolone (PS) a appelé à avoir une ‘confrontation’ tout court avec l’Allemagne…  L’accuse-t-on de vouloir faire la guerre ?

Si vous étiez à la manœuvre, quelles seraient vos mesures prioritaires ?

La première décision à prendre, c’est de cesser d’être la remorque du gouvernement allemand. Il faut ensuite relancer l’économie en stimulant la demande : augmenter les salaires et rassurer la population en régularisant la masse des travailleurs et fonctionnaires précaires. Du fait de leur précarité, ils s’interdisent de consommer. Enfin, il faut donner un nouveau souffle à notre économie, qui doit passer par une extension de notre économie maritime. Savez-vous que la France a le 2ème domaine maritime au monde ? Nous avons là un potentiel pour entrer dans l’économie de la mer. Cette planification écologique serait plus efficace que d’attendre bêtement que surgisse spontanément je ne sais quel miracle de la loi du marché.  

La Commission européenne table - entre autres - sur le marché transatlantique entre les États-Unis et l’Europe pour relancer l’économie. Vous n’y voyez vraiment aucun potentiel ?

La Commission européenne a tous les cynismes! Orwell a bien décrit cette tendance qu’ont les organisations à caractère autoritaire à habiller de mots doux des objets blessants. La  Commission ne recule devant RIEN ! Il s’agit de créer un marché USA-UE avec des normes sociales, écologiques et économiques communes. C’est clair que dans tous les cas et à chaque instant, c’est la norme la moins contraignante qui sera considérée comme étant la meilleure. J’ignore comment la Commission espère qu’une déréglementation transatlantique donnera des meilleurs résultats que ce qu’on a subi avec la déréglementation au sein de l’Union. On aura un dumping social et fiscal avec une amplification de la pauvreté. La Commission reconnaît elle-même qu’il y aura des pertes massives d’emplois dans toute une série de secteurs, à commencer par la métallurgie. 

Revenons en France. Quels éléments vous permettent d’affirmer que la droite française s’extrême-droitise ?

Traditionnellement en France, nous avons toujours eu 2 camps, l’un qui privilégie l’égalité dans tous les domaines et l’autre qui ne croit qu’à l’inverse, l’inégalité. Malgré la défaite électorale de la droite française, elle est parvenue à se reconstruire contre l’égalité devant le mariage dans une confrontation frontale. Sous nos yeux, on a vu la droite idéologique se reconstruire autour de l’Eglise.

Mais cette idéologie n’est pas pour autant 'd’extrême droite'.

Vous parlez comme vous voulez, mais permettez-moi de parler comme je veux. Jusqu’à présent, jamais la droite républicaine ne basait son raisonnement sur une inégalité qui serait de l’ordre de la nature. Un évêque français a même souligné que le fait de fausser un ordre supérieur engendre une violence légitime. Ce sont des idées d’extrême droite! Une bonne partie de vos confrères en France ont passé la semaine à nous expliquer qu’il n’y avait pas de liens entre le groupuscule qui a tué le jeune Clément et le Front National. Il faut faire très attention, les idées de droite en Europe sont de plus en plus extrémistes. Ce n’est pas une affabulation de ma part, c’est un raisonnement. Je ne pense pas les insulter en le disant…

Vous dites être devenu une ‘cible’. La cible de qui et pourquoi ?

On constate de manière très étrange, une dé-diabolisation de Marine Le Pen, avec une droite qui adopte ses idées, et dans le même temps une diabolisation du Front de gauche et de ma personne. On nous accuse d’être d’extrême gauche, ce qu’on n’a jamais été. Celle-ci est représentée en France par Lutte ouvrière ou le NPA. A tous propos, je suis présenté dans des conditions effroyables et les plus caricaturales. Pourquoi ? Tout simplement parce que j’empêche la comédie qui se joue de se mettre en place. Les socialistes ont laissé monter la violence d’extrême droite et n’ont jamais rien mis en place pour confronter Marine Le Pen. On voit bien le calcul : les socialistes veulent que Marine Le Pen passe devant la droite traditionnelle afin de l’avoir en face d’eux au 2ème tour en 2017.

Ce serait une stratégie pour gagner en 2017 ? C’est grave comme accusation.

La vérité, c’est que le premier pourvoyeur de voix de l’extrême droite est à l'Élysée. Sa politique sème de la désespérance sociale. Les socialistes ont ouvert un boulevard à Marine Le Pen et ils laissent l’extrême droite étendre son audience. J’en veux pour preuve que malgré tous les signalements de violences (avec couteaux et bombes à acide) faites par des groupuscule d’extrême droite, le ministre de l’Intérieur n’a pas bougé ou juste alors indiqué en octobre dernier qu’il allait ‘étudier’ la possibilité de les dissoudre. Huit mois après, il n’y a toujours rien de fait ! Ces groupes se sentent complètement impunis, car ils ont recommencé des attaques le lendemain. Le ministre Valls n’a rien fait ! Sur le plan idéologique aussi, les socialistes ne mènent aucun combat contre l’extrême droite. La seule chose qu’ils font, c’est s’en prendre à moi et au Front de gauche !

Vous attaquez Manuel Valls et les socialistes, mais si vous voulez décrocher des postes aux Municipales de 2014, vous allez devoir faire des accords avec eux, non ?

Nous ne souhaitons pas décrocher des postes, mais changer la politique de ce pays, c’est ce qui fait notre originalité. Nous abordons cela à travers le respect des principes, sinon nous serions actuellement au gouvernement après avoir – comme les Verts – signé n’importe quoi sur un coin de table pour décrocher des députés. Personnellement, je veux des listes autonomes partout où c’est possible au premier tour, mais d’autres estiment qu’il y a danger dans certains endroits… Il y a donc un débat interne à trancher au niveau local.

Être qualifié de 'populiste’, c’est un compliment ou une insulte pour vous ?

Il est évident que ceux qui l’utilisent ont l’intention de m’insulter. Pourtant le mot ne veut rien dire… Dès qu’il y a le mot ‘peuple’, les belles personnes font les écœurées. Puis, il n’y a pas de rapport entre tous ceux qui sont appelés ‘populistes’ à travers le monde. Dites-moi à quoi sert un mot qui confond dans le même sac Madame Le Pen et moi ?

Après avoir fait une campagne remarquée lors de la présidentielle, n’avez-vous pas été déçu par le résultat (11.1%)?

Je ne cache pas ma déception, j’aurais préféré être élu au premier tour. L’Histoire est lente et cruelle. Il faut beaucoup trop de temps pour que les gens comprennent qu’ils n’y a rien à attendre des socialistes. Mais j’ai pris la mesure historique du moment. Mon résultat a permis de faire sortir des catacombes un courant qui a failli disparaître du paysage politique français. Notre capacité de mobilisation démontre que ce n’était pas un champignon électoral. 

L’ancien journaliste politique Albert du Roy indiquait récemment à LaLibre.be que ‘votre avenir était derrière vous’. Sincèrement, vous ne le pensez pas aussi ?

Et le sien ? C’est toujours la même histoire, les sondages et les journalistes annoncent des choses qui ne se produisent pas... et ce sont les mêmes qui après réécrivent les évènements. Tout cela ne me concerne pas, j’ai pour moi l’infinie patience du peuple.

Mais votre avenir, vous le voyez comment ?

Il est clair que je n’ai pas 20 ans, mais mes idées - elles – ont de l’avenir. A la fin, vous aurez le choix entre les propositions du Front de gauche ou celles de l’extrême droite! Tout le reste est inconsistant ou aura fait faillite. Je vous souhaite à tous que mes idées soient devant et pas derrière... Sinon, cela voudrait dire que les bruns l’ont emporté.

Entretien : Dorian de Meeûs