Thierry Jarrin
Depuis que je travaille à la coopération régionale on s’applique à la « construction de la Grande Caraïbe »…. j’ai l’impression d’être toujours à préparer la pose de la première pierre. Il en faut des échanges pour mettre en place des accords de coopération, réaliser des projets en partenariat, adhérer aux organisations régionales… l’intégration rêvée est nécessaire, mais tant que cette intégration restera au niveau institutionnel elle ne sera pas effective.
La vraie intégration se passe quand la société civile s’empare de l’affaire. Le rôle de la culture y est primordial. C’est l’histoire de l’œuf et de la poule, il faut de l’intégration pour que la culture soit partagée, il faut du partage culturel pour que l’intégration soit effective.
C’est pourquoi la Global Caribean IV réunissant des artistes de Martinique-Guadeloupe-Guyane dans le cadre prestigieux d’Art Basel à Miami est une initiative aussi intéressante. A plusieurs titres, d’ailleurs. D’abord parce qu’elle permet de poser nos artistes au niveau international, de les confronter à des artistes venant d’autres horizons et surtout les offrir au regard d’un autre public. Ensuite parce que portée par une institution privée avec un appui institutionnel. Et il faut saluer le travail pionnier de la Fondation Clément dans le domaine de la culture et du patrimoine.
Intéressante aussi par sa proposition. Le titre déjà, Global Caribbean : la Caraïbe dans sa relation avec le monde. Il faut l’équilibre d’un funambule pour naviguer cette dénomination sans prôner la régionalisation de nos artistes, ni sacrifier au tout global… L’art est toujours et partout singulier et universel. Et ce n’est pas au titre d’une appartenance géographique que nos artistes seront appelés a évoluer sur la scène internationale mais bien parce que leurs travaux auront la qualité artistique requise.
C’est là le défi. Le positionnement international de nos artistes. Le concept Global Caribbean, financé par cultures France représente une vraie opportunité.
Après Miami les œuvres sont visibles chez Clément. Merci du partage, comme on dit, et voici donc une liste des « j’aime » :
Christian Bertin
J’aime l’harmonie qui se dégage du choix et de la disposition des œuvres y compris dans les tonalités, les questionnements. Les pièces les plus dissonantes (par leurs couleurs du moins) placées aux deux bouts de la salle, les autres travaillent quasiment sur un continuum de tonalités. Les thématiques varient d’un artiste à l’autre, mais des constantes sont repérables : l’identité (Pedurand, Tian-Sio-Po), le corps en grand absent comme chez Bertin ou au contraire bien présent chez Body de Jarrin, la verticalité (Laouchez, mert, Breleur, Luz), la coexistence passé-présent (Tian-Sio-Po, Pedurand, Hunt…), l’objet artistique lui même (Ano, Luz Severino…).
J’aime l’idée d’ajouter à l’exposition l’épaisseur du travail de l’ethnomusicologue Alan Lomax (même si je n’ai pas encore eu l’occasion d’entendre les enregistrements).
J’aime voir les totems lumineux de Mert (2010) dialoguer avec ses ainés de Laouchez (1993) d’un bout à l’autre de la salle. Et la façon comme la pièce de Breleur, d’une beauté absolue, trône au milieu de la place. Dommage qu’on n’ait pas connecté les petites lumières qu’illuminent en principe l’œuvre du dedans. Dommage aussi par ailleurs qu’on n’ait pas signalé par des étiquettes les noms, les auteurs, les dates de création des installations (Breleur, Pedurant, Severino). C’est pourtant bien utile pour in/former le public.
J’aime la dramaticité des photos de Linguet qui vous aspirent tout entier vers le regard inévitable de ces personnages trop proches. Et les chaussures de Luz si joliment ficelées, évoquant pour moi un amoncellement de destins tragiques.
J’aime, tout au fond, les toiles de Hunt, sur lesquelles quelque chose d’inquiétant fait apparition dans un prime abord si plaisant, et du coup on ne sait plus….
Jean Marc Hunt
La question du choix des artistes est intéressante. Vu l’importance de l’exposition, il s’agissait de faire quelque chose d’emblématique. M Duval-Carrié avait la lourde tache de définir les thématiques, les artistes devant/pouvant représenter l’état de l’art contemporain antillo-guyanais, ce qui revient donc à établir une sorte de paradigme.
Les choix sont toujours difficiles à faire. Il en manquera toujours, des noms… j’espère seulement qu’on leur fera la place qu’ils méritent par la suite, mais en définitif, j’aime beaucoup y trouver Jarrin dont le travail m’enchante tout simplement.
Matilde dos Santos, juin 2013