C’est un des aphorismes qui accompagne une série de photos, de lui ou trouvées, dans l’exposition d’Emmanuel Lagarrigue à la galerie Alain Gutharc jusqu’au 17 Mai. Sur un des murs de la galerie, on tente de (se) raconter une histoire, avec des bribes, des fragments, des images indécises, des textes improbables (”On avait choisi de l’oublier, et c’est ce qui s’est passé”). Un peu comme une exposition désactivée où le spectateur peut se projeter, rêves et fantasmes confondus, cette série “To be continued” est une fiction ouverte, pleine de souvenirs d’un ailleurs lointain, jeu de mémoire et d’oubli.
A côté, ces longues barres transparentes, posées négligemment contre le mur comme des Cadere, semblent fragiles et éphémères; elles sont là sans l’être vraiment, dénuées de matérialité, presque invisibles, jusqu’à ce que l’on tente de déchiffrer le texte qui y est écrit, à peine visible. Faut-il les embuer pour le lire ? Ou passer une feuille de papier derrière elles pour le déchiffrer ? C’est avec ma main comme fond d’écran que j’y suis parvenu; que ces sentences ne puissent se lire qu’en présence de chair, qu’un corps soit nécessaire pour accéder à ce savoir caché m’a ravi (It is a separate world).
Lagarrigue, dont j’avais surtout vu auparavant les installations sonores, se penche ici sur la mémoire, sur son évanescence, sur les traces et sur l’oubli. Il y a aussi dans le même espace deux cubes pointus, bardés de hauts-parleurs et diffusant un texte de John Cage (Pristine prisms).
Mais il faut surtout aller voir (jusqu’au 26 avril seulement), à deux pas, une installation qui occupe toute une salle annexée à la galerie pour l’occasion : une lumière bleutée baigne tout l’espace, qui est peuplé de mâts lumineux portant des hauts-parleurs (Still no guides). Hypnotisé par cette lumière sorcière, on peine à discerner les dialogues, il s’agit d’un film, rejoué, commenté. Quel film ? qu’importe ! C’est une machine à triturer la mémoire que nous avons là, une alchimie pour distiller le souvenir.
Photos courtoisie Emmanuel Lagarrigue et Galerie Alain Gutharc (excepté la dernière photo, de l’auteur).