La nuit venait de déposer son voile noir sur Caen. Les derniers badauds encore dehors se précipitaient en direction de la réconfortante chaleur des cafés du centre-ville. Assise dans sa cuisine, Maria observe avec la plus grande attention son téléphone portable posé sur une table en Formica qui rappelle ces publicités sur papier jauni où des ménagères aux chignons improbables vantaient les mérites de l’invention du Tupperware. L’air sévère, un sèche-cheveux dans la main gauche, elle s’apprête à disséquer l’appareil quand une sonnerie résonne. Maria se lève et décroche le combiné d’un vieux téléphone à cadran posé sur son buffet.
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— Maman ! Quoi ! Oh... Arrête de pleurer. Non je ne te fais pas la tête... Je n’ai pas pu te répondre. Mon portable est foutu. Il est tombé dans une flaque à cause d’un chien. Tu m’écoutes ! Non, je ne te baratine pas ! — Le sèche-cheveux. Oui... C’est ce que je suis en train de faire ! Maria s’interrompt. Elle lève la tête, le luminaire de la cuisine balance de gauche à droite tandis que des pas résonnent au-dessus d’elle. — Maria, tu vas répondre à ta mère ! s’exclame une voix au téléphone. La jeune femme se met à rire, dans son esprit apparaît l’image d’un caniche obèse grimpant la façade de son immeuble et vêtu d’une combinaison moulante comme Tom Cruise dans Mission Impossible. Les pas redoublent. La jeune femme se lève sans prêter d’attention aux cris de sa mère provenant du combiné. Elle ouvre une porte-fenêtre et s’avance sur son balcon. Devant elle, les toitures en ardoise de la ville composent une mer immobile et silencieuse. Le vent fait virevolter quelques mèches rousses sur son visage. Elle ferme les yeux et lève la tête quand une voix retentit au-dessus d’elle. La surplombant, assis sur une sortie de cheminée, une boîte en métal jaune marquée d’un point d’interrogation sous le bras, un homme en costume noir et chapeau haut de forme discute avec une étrange créature. Ce petit être haut d’une cinquantaine de centimètres est une flamme rougeoyante à travers laquelle on discerne deux yeux et une bouche couleur cendre.
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— Reviens dans cette boîte ! — J’ai des droits, espèce de magicien de pacotille. J’en ai marre de te servir de larbin pour tes tours minables. Ma vie, ce sont les cheminées et les conduits pleins de charbon ! répond la créature. — On avait un accord, tu ne peux pas t’enfuir à chaque gala. J’ai dû visiter tous les toits de la ville pour te retrouver ! Tu veux aller où avec tous ces chauffages électriques ? L’époque a changé, plus personne n’utilise de charbon. Reviens maintenant ! La créature émet des grognements avant de se jeter dans la boîte que l’homme referme aussitôt. Maria qui s’est retournée prend une grande respiration et interpelle l’homme : — Hé vous ? Oui, vous ! Sur mon toit ! L’homme se retourne, glisse sur les ardoises et chute dans le vide. Maria pousse un cri. La boîte marquée d’un point d’interrogation atterrit dans ses bras alors qu’elle vient de se pencher à la rambarde du balcon. — Bonsoir ! William Larsan magicien, pour vous servir, s’exclame une voix au-dessus d’elle. Maria recule d’un pas. Devant elle, lévite l’homme au costume. — Vous... Vous êtes qui ? C’est pour la télé, c’est ça ! balbutie Maria L’homme vole jusqu’à Maria, ses pieds se posent sur la rambarde. Il ôte son chapeau pour la saluer. Maria recule, l’homme se met à sourire habitué à être observé de la sorte. Son visage est à la fois celui d’un jeune homme et d’un homme d’âge mûr, ses traits sont durs et pourtant une infinie bonté émane de lui. Son visage semble être le reflet de nombreuses personnalités humaines. — Vous pourriez me rendre cette boîte maintenant ? demande-t-il en tendant la main. — La boîte... Ah oui ! Tenez, répond-elle timidement. La porte du balcon explose dans un nuage de fumée. Un homme au visage buriné et mal rasé, les cheveux gris et portant un imperméable, surgit.
Retrouvez la suite le vendredi 21 juin !